Curiosités Infernales par P. L. JACOB
Chapitre 1 : Existence des démons
Chapitre II : Apparitions du Diable
Chapitre III : Enlèvements par la Diable
Chapitre IV : Métamorphoses du Diable
Chapitre V : Signes de la possession du Démon
Chapitre VI : Sabbat
Chapitre VII : Union charnelle avec le Diable. Incubes et Succubes
Chapitre VIII : Pacte avec le Diable. Marque des sorciers
Chapitre IX : Fourberies et méchancetés du Diable
Chapitre X : Ensorcelés
Chapitre XI : Hommes changés en bêtes.
Chapitre XII : Sortilèges
Chapitre XIII : Possédés, Démoniaques
I.
Existence des démons
«Il y en a plusieurs, dit Loys Guyon[1], tant incrédules de nostre temps, qui ne veulent croire qu'il y ait des demons ou malins esprits qui habitent en certaines maisons (qui sont cause que personne n'y peut fréquenter) ou par les deserts qui font fourvoyer les voyageurs. Et aussi en d'autres lieux... Ce qui m'a donné occasion d'escrire de ces demons, c'est que lisant le livre du voyage de Marc Paul, Venétien, des Indes Orientales, il escrit d'un desert, qu'il appelle Lop, qui est situé dans les limites de la grande Turquie qui est entre les villes de Lop et de Sanchion, qu'on ne sçauroit passer en vingt-cinq ou trente journées, et pour ce qu'il est nécessaire à aucuns, pour la négotiation qu'ont ceux de Lop avec ceux de Sanchion ou de la province du Tanguth, de passer par ces deserts, combien qu'ils s'en passeroyent bien, s'ils pouvoyent, veu les dangers et grandes difficultez qui s'y trouvent... C'est chose admirable qu'en ce desert l'on void et oid de jour, et le plus souvent de nuict, diverses illusions et fantosmes, de malins esprits, au moyen de quoy, ja n'est besoin à ceux qui y passent de s'eslongner à la trouppe, et s'escarter de la compagnie. Autrement, à cause des montagnes et costaux, ils perdroyent incontinent la veüe de leurs compagnons. Et les appellent par leurs propres noms, feignans la voix d'aucuns de la trouppe et par ce moyen les destournent et divertissent de leur vray chemin, et les meinent à perdition tellement qu'on ne sçait qu'ils deviennent. On oid aussi quelquefois en l'air des sons et accords d'instrumens de musique, et le plus souvent des bedons et tabourins, et pour ces causes ce desert est fort dangereux et perilleux à passer.
Voilà ce qu'en a laissé par escrit, Marc Paul qui y a esté, qui vivoit l'an 1250, je pensoy que ce fussent choses fabuleuses (et controuvées à plaisir ou pour quelque autre raison). Mais ayant leu les oeuvres de Teuet, cosmographe, pour la plus grand part tesmoin oculaire de beaucoup de choses que plusieurs autheurs ont laissé par escrit, et entre autres de ce desert de Lop, je n'ay plus creu que ce fussent fables.
«Que semblables choses ne se voyant ailleurs, il se void en ce qu'on a escrit de plusieurs grands et illustres personnages qui s'estoyent retirez aux deserts d'Égypte, comme sainct Machaire, sainct Anthoine, sainct Paul l'hermite, lesquels ont trouvé tous les deserts lieux pleins de grande solitude, remplis de démons. Comme fit sainct Anthoine qui estant sorti de sa cellule, ayant envie de voir jour et Paul l'hermite, qui demeuroit en un desert plus haut que luy trois journées, trouva en chemin, une forme monstrueuse d'homme, qui estoit un cheval, et tel que ceux que les poëtes anciens ont appelé Hippocentaures. Auquel il demanda le chemin du lieu où demeuroit ledict Paul Hermite, lequel parla. Mais il ne peut estre entendu et monstra de l'une de ses mains le chemin et puis après il s'osta de devant luy, s'enfuyant d'une grande vitesse. Or si c'est homme estoit point quelque illusion du Diable, faite pour espouvanter le sainct homme ou si (comme les solitudes sont coustumieres de produire diverses formes d'animaux monstrueux) le desert avoit engendré cest homme ainsi difforme, nous n'en avons rien de certain.
«Sainct Anthoine donc s'esbahissant de ceste occurrence, et resvant, sur ce que desja il avoit veu, ne discontinua son voyage, et de passer outre. Mais il ne fut gueres avant, qu'estant en un vallon pierreux et plein de rochers, il vid un autre homme d'assez basse stature, mais laid, et difforme, ayant le nez crochu et deux cornes qui lui armoyent horriblement le front, et le bas du corps, lequel alloit en finissant ainsi que les cuisses et pieds d'un bouc. Le vieillard sans s'estonner de ceste forme si hideuse, ne s'esmouvant d'un tel spectacle, si effroyable, se fortifia, comme estant bon gendarme chrestien vestu des armes de Jésus-Christ,... et, voicy ce monstre susdit qui lui présenta des dattes et fruicts de palmier comme pour gage d'amitié et asseurance. Ceci encouragea ce bon hermite qui, apprivoisé du monstre, s'arresta un peu et s'enquit de son estre et que c'est qu'il faisoit en ceste solitude, auquel cest animal inconu respondit: Je suis mortel et un des citoyens et habitans de ce desert, que les gentils et idolatres aveugles et deçeus sous l'illusion diverse d'erreur, adorent et reverent sous le nom de faunes, pans, satyres et incubes. Je suis venu de la part de ceux de ma trouppe, et compagnie vers toy pour te requerir qu'il te plaise de prier le commun Dieu et Seigneur de nous tous, pour nous misérables, lequel sçavons estre venu au monde pour le salut et rachat de tous les hommes, et que le son de sa parole a esté semé et espandu par toute la terre. Ce monstre parlant ainsi, le voyager chargé d'ans et vénérable hermite Anthoine pleuroit à chaudes larmes, lesquelles couloyent le long de sa face honnorable, non de douleur, ains de joye.
«En Hirlande, il s'y void et entend des malins esprits parmi les montagnes, et combien qu'aucuns disent que ce ne sont que des fausses visions qui proviennent de ce que les habitans usent de viandes et breuvages vaporeux, comme de pain faict de chair de poisson seché. Et leur boire sont bieres fortes. Mais i'ay sceu (asseurement) des Anglois qui y ont demeuré quelques années, qui vivoyent civilement et delicatement, qu'il y avoit des esprits malins parmy les montagnes, lesquels molestent par leurs façons de faire et font peur aux voyageurs soit de jour et de nuict.
«Plusieurs autres démons luy ont donné de grandes fascheries en son desert, lui jettans sur son chemin des vaisselles d'or et d'argent, lesquelles choses il voyoit soudain s'esvanouir.»
«Les Arabes qui, communément voyagent par les deserts de leurs pays, y voyent des visions espouvantables et quelquefois des hommes qui s'esvanouissent incontinent, entre autres Teuet atteste avoir ouy dire à un truchement arabe qui le conduisoit par l'Arabie déserte nommée Geditel, qu'un jour conduisant une caravanne par les deserts du royaume de Saphavien, le sixiesme de juillet, à cinq heures du matin, luy Arabe et plusieurs de sa suite ouyrent une voix assez esclattante, et intelligible qui disoit en la mesme langue du pays: Nous avons longuement cheminé avec vous. Il fait beau temps, suivons la droitte voye. Avint qu'un folastre nommé Berstuth, qui conduisoit quelques trouppes de chameaux, qui toutesfois n'apercevoit homme vivant, la part d'où venoit ceste voix, respond: Mon compagnon, je ne sçay qui tu es, suy ton chemin. Lors ces paroles dites, l'esprit espouvanta si bien la trouppe composée de divers peuples barbares qu'un chascun estoit presque esperdu, et n'osoyent à grand peine passer outre.
«Jésus-Christ fut tenté au desert par le malin esprit.
«Et voilà comme l'on peut recueillir que ce ne sont fables (de dire) qu'il y a des esprits malins par les deserts; et qu'il semble que Dieu permet qu'ils habitent plus tost en ces lieux escartez que là où demeurent les hommes à fin qu'ils n'en soyent si communément offensez. Comme fit l'ange Raphael duquel est parlé en la saincte Escriture, au livre de Tobie, qui confina le demon qui avoit fait mourir sept maris à la fille de Raguel aux deserts de la haute Egypte.
«D'autres démons fréquentent la mer et les eaux douces, et dans icelles, et causent des naufrages aux navigeans et plusieurs autres maux, et y apparoissent des phantosmes. Et d'iceux esprits, comme escrit Torquemada, il s'en void journellement sur la rivière Noire, en Norvege, qui sonnent des instrumens musicaux et lors cest signe qu'il mourra bien tost quelque grand du pays. J'ay veu et fréquenté avec un Espagnol qui par tourmente de mer fut jetté jusques aux mers, qui sont environ les terres du grand Khan de Tartarie, qu'il a veu souvent en ces régions-là de ces phantosmes tant sur mer que sur terre, notamment aux grandes solitudes de Mangy et deserts de Camul, et choses si estranges que je ne les auseroy mettre par escrit, de peur qu'on ne les voulust croire.
«Quelqu'un pourra objecter qu'il n'est pas vraysemblable que les demons qui sont aux deserts de Lop, et d'ailleurs appellent les voyageans par leurs noms, d'autant qu'iceux n'ont organes pour pouvoir parler suivant ce que Jésus-Christ dit que les esprits n'ont ni chair ni os. Je respon, suivant en l'opinion de S. Augustin, S. Basile, Coelius Rodigin et Appulée, que les anges se peuvent former des corps aeriens, de la nature la plus terrestre, et par le moyen d'iceux parler comme firent ces trois anges qui apparurent à Abraham. Et l'ange Gabriel, qui annonça la conception de Jésus-Christ à la Vierge Marie. Et que les demons s'en peuvent aussi forger non pas d'une matiere si pure, mais plus abjecte.
«J'ay parlé d'un monstre chevre-pied qui apparut à sainct Anthoine, que je pense avoir esté engendré par le moyen de Satan, d'autre façon que les autres demons. Neantmoins il requit ce sainct personnage de prier Dieu pour luy et pour d'autres monstres habitans ce desert. Son corps n'estoit point aérien mais charnel, comme ceux des boucs. Il fut prins et mené tout vif en Alexandrie vingt ans après, au grand estonnement de tous ceux qui le virent, et combien qu'on le voulust nourrir curieusement quelques jours après sa prise il mourut, et son corps fut salé et embaumé et puis porté à Antioche et présenté à Constantin, fils du grand Constantin.
«Lycosthène escrit estre avenu à Rotwille en Alemagne, l'an de grâce 1545, que le diable fut veu en plein midi allant et se pourmenant par la place: cest ici que les citoyens s'effroyèrent, craignans qu'ainsi qu'il avoit fait ailleurs, il ne bruslast toute la ville. Mais chascun s'estant mis en devotion de prier Dieu, et ordonner des jeunes et aumosnes, ce malin esprit lors s'en alla, et jaçoit que le diable vienne peu souvent vers nous si est ce que Dieu le souffrant, il n'y vient point sans de bien grandes occasions, et pour estre l'executeur de la vengeance divine. Et ne nous faut point tourmenter sur ce que les demons sont si corporels, ainsi que vrayement tient la doctrine des chrestiens, veu que Dieu le veut ainsi.
«Ils se rendent sensibles et visibles par les moyens des corps empruntez ou formez en l'air ou en esblouissant le sens des personnes, et leur présentant des idées en l'âme, qu'ils pensent voir par la veüe extérieure ainsi que S. Augustin dit, qu'aucuns de son temps pensoyent estre transmuez par quelques sorcières en bestes à corne, là où le bon sainct ne voyoit autre cas que la figure de l'homme, mais le sens visible de ceux-cy estant ensorcelé et perverti par la force de l'imagination causoit l'opinion de leur changement où l'effect estoit tout au contraire. Suivant ces discours, il se void que par tout les demons ou diables s'efforcent de nuire à l'homme, encor qu'il se retire au plus hideux et inhabitable desert du monde, soit qu'il habite dans les plus populeuses villes, tousiours taschera-il de le faire tresbucher.»
Lavater[1], ministre calviniste, admet avec beaucoup de méfiance les faits surnaturels; son ouvrage est précédé de plusieurs chapitres où il raconte des faits merveilleux en apparence et qui pour lui ne sont que des supercheries; ils ont pour titres:
[Note 1: _Trois livres Des apparitions des esprits, fantosmes, prodiges, etc. composez par Loys Lavater, plus trois questions proposées et résolues, par M. Pierre Martyr_. Geneve, Fr. Perrin, 1571, in-12.]
«CH. I. Les mélancholiques et insensez s'impriment en la fantasie beaucoup de choses dont il n'est.
«CH. II. Gens craintifs se persuadent de voir et ouïr beaucoup de choses espouvantables dont il n'est rien.
«CH. III. Ceux qui ont mauvaise vue et ouïe imaginent beaucoup de choses qui ne sont pas.
«CH. IV. Beaucoup de gens se masquent, pour faire que ceux ausquels ils s'adressent, pensent avoir veu et ouï des esprits.
«CH. V. Les prestres et moines ont contrefait les esprits et forgé des illusions comme un nommé Mundus abusa de Paulina par ce moyen, et Tyrannus de beaucoup de nobles et honnestes femmes.
«CH. VI. Timothée Aelurus ayant contrefait l'ange, usurpe une couschée: quatre jacopins de Berne ont forgé beaucoup de visions et de ce qui s'en est ensuivi.
«CH. VII. L'histoire du faux esprit d'Orléans.
«CH. VIII. D'un curé de Clavenne qui apparut à une jeune fille et luy fit croire qu'il estoit la Vierge Marie et d'un autre qui contrefit l'esprit; ensemble du cordelier escossois et du jésuite qui contrefit le le diable à Ausbourg.»
Voici cette dernière histoire:
«Pendant que j'escrivois cet oeuvre, j'ay entendu par des gens dignes de foy, qu'en l'an 1569 il y avoit à Ausbourg, ville fort renommée d'Allemagne, une servante et quelques serviteurs d'une grande famille qui ne tenoyent pas grand compte de la secte des jésuites au moyen de quoy l'un de ceste secte promit au maistre qu'il feroit aisément changer d'opinion à ses serviteurs. Pour ce faire, après s'estre déguisé en diable, il se cacha en quelque lieu de la maison où la servante allant quérir quelque chose de son gré, ou y estant envoyée par son maître, trouva ce jésuite endiablé qui luy fit fort grand peur. Elle conta incontinent le tout à un de ses serviteurs, l'exhortant de n'aller en ce lieu-là. Toutefois peu après il y vint, et comme ce diable desguisé vouloit se ruer dessus, il desgaine son poignard et perce le diable de part en part, tellement qu'il demeure mort sur la place. Cette histoire a esté écrite et imprimée en vers allemans, et est maintenant entre les mains de tout le monde.
II.
Apparitions du Diable
Le Loyer[1] prétend que les démons paraissent plus volontiers dans les carrefours, dans les forêts, dans les temples païens et dans les lieux infestés d'idolâtrie, dans les mines d'or et dans les endroits où se trouvent des trésors. [Note 1: _Discours et histoires des spectres, visions et apparitions_, par P. Le Loyer. Paris, Nic. Buon, 1605, in-4°, p. 340.]
Nous lui empruntons l'histoire suivante:
«Un gendarme nommé Hugues avait été pendant sa vie un peu libertin et mesme soupçonné d'hérésie. Comme il étoit près de la mort, une grande trouppe d'hommes se présenta à luy et le plus apparent d'entre eux luy dit: Me connois-tu bien, Hugues?--Qui es-tu, répondit Hugues?--Je suis, dit-il, le puissant des puissants, et le riche des riches. Si tu crois que je te puis préserver du péril de mort, je te sauveray et ferai que tu vivras longuement. Afin que tu sçaches que je te dis vray, sçaches que l'empereur Conrad est à ceste heure paisible possesseur de son empire et a subjugué l'Allemagne et l'Italie en bien peu de temps. Il luy dit encore plusieurs autres choses qui se passoient par le monde. Quand Hugues l'eut bien escouté, il haussa la main dextre pour faire le signe de la croix, disant: J'atteste mon Dieu et Seigneur Jésus-Christ, que tu n'es autre qu'un diable menteur. Alors le diable lui dit: Ne hausse pas ton bras contre moy et tout aussitost ceste bande de diables disparut comme fumée. Et Hugues, le même jour de la vision, trespassa le soir.»
Le Loyer raconte aussi[1] cette autre apparition du diable: [Note 1: _Discours et histoires des spectres_, etc., page 317.]
«En la ville de Fribourg, du temps de Frédéric, second du nom, un jeune homme bruslé par trop ardemment de l'amour d'une fille de la mesme ville, pratiqua un magicien auquel il promit argent, s'il pouvoit par son moyen jouir de l'amour de la fille. Le magicien le mene de belle nuit en un cellier escarté où il dresse son cercle, ses figures et ses caractères magiques, entre dans le cercle et y fait pareillement entrer l'escolier. Les esprits appelez se présentent mais en diverses formes, fantosmes et illusions... Enfin le plus meschant diable de tous se montre à l'escolier en la forme de la fille qu'il aymoit et en contenance fort joyeuse s'approche du cercle. L'escolier aveuglé et transporté d'amour, estend sa main hors le cercle pour penser prendre la fille, mais tout content, le diable lui saisit la main, l'arrache du cercle et le rouant ou tournant deux ou trois tours lui casse et brise la tête contre la muraille du celier, et jeta le corps tout mort sur le magicien, et ce fait luy et les autres esprits disparurent.
«Il ne faut pas demander si le magicien fut bien effrayé à ce piteux spectacle, se voyant en outre chargé du pesant fardeau de l'escolier. Il ne bougea de la nuit de l'enclos de son cercle, et le lendemain matin il se fit si bien ouïr criant et lamentant, qu'on accourt à son cry et est trouvé à demy mort avec le corps de l'escolier et est dégagé à toute peine.»
«Au surplus, dit Le Loyer[1], quant aux hérétiques et hérésiarques de nostre temps, ils ne se trouveront pas plus exempts d'associations avec le diable et de ses visions. Car Luther a eu un démon, et a esté si impudent que de le confesser bien souvent par ses écrits. Je ne le veux faire voir que par un traicté qu'il a faict de la messe angulaire, où il se descouvre ouvertement et dit qu'entre luy et le diable y avoit familiarité bien grande, et qu'ils avoient bien mangé un muy de sel ensemble. Que le diable le visitoit souvent, parloit à luy fort privément, le resveilloit de nuict, et le provocquoit d'escrire contre la messe, luy enseignant des arguments dont il se pourroit servir pour l'impugner. [Note 1: Même ouvrage, p. 297.]
«Mais Luther est-il seul qui à sa confusion est contraint de confesser sa conférence avec le diable? Il y a aussi Zwingle, sacramentaire qui dit que resvant profondément une nuict sur le sens des paroles de Jésus-Christ: Cecy est mon corps, se présente à luy un esprit, qu'il est en doute s'il estoit blanc ou noir, qui lui enseigna d'interpreter le passage de l'Écriture sainte d'une autre façon que l'Église des catholiques ne l'interprétoit et dire que ces mots: Cecy est mon corps, valaient tout autant comme qui diroit: Cecy signifie mon corps...
«Alors que Bucere, disciple de Luther, estoit en l'agonie de la mort, un diable s'apparut en la chambre où il estoit et s'approchant peu-à-peu auprès de son lit, non sans essayer les présens poussa rudement Bucere et le fit tomber en la place où il trespassa à l'instant.
«C'est aussy chose qu'on tient pour toute véritable et ainsi l'affirme Érasme Albert, ministre de Basle, que trois jours devant que Carolostade trespassa, le diable fut veu près de luy en forme d'homme de haute et énorme stature, comme Carolostade preschoit. Ce fut un présage de la mort future de cet hérétique.»
Dans l'affaire des possédées de Louviers, suivant le Père Bosroger[1], [Note 1: _La Piété affligée, ou Discours historique et théologique de la possession des religieuses dictes de Saincte-Élisabeth de Louviers, etc._, par le R.P. Esprit de Bosroger. Rouen, Jean Le Boulenger, 1652, in-4°, p. 137.]
«La soeur Marie de Saint-Nicholas apperceut deux formes effroyables, l'une représentait un vieil homme avec une grande barbe, lequel ressemblait à nostre faux spirituel; ce phantosme qu'elle apperceut à quatre heures du matin, environ le soleil levant s'assit sur les pieds de sa couche, et luy dit d'un ton d'homme désespéré: Je viens de voir Madelène Bauan, et la soeur du Saint-Sacrement; ah que Madelène est méchante! elle est entièrement à nous, mais l'autre nous ne la sçaurions gagner. Ce spectre obligea la soeur Marie de Saint-Nicholas de recourir à Dieu en faisant le signe de la croix, et aussitost elle fut délivrée de ce phantosme; l'autre estoit seulement comme une teste grosse et fort noire, que cette fille envisagea en plein jour à la fenestre d'un grenier, laquelle donnoit dans celui où elle travailloit; cette teste la regarda long-temps, et luy causa une grande frayeur, elle ne laissa pourtant de la considérer attentivement, jusqu'à ce qu'elle remarqua que cette teste commençoit à descendre de la fenestre; car pour lors elle fut saisie de peur, et se retira, puis aussitost ayant pris courage, elle alla dans le grenier où la forme avoit paru, mais elle n'y trouva plus rien, sinon quelque temps après qu'elle avisa dans le meme endroit des cordes qui se rouloient d'elles-memes et l'on voyoit tomber le linge dont elles étoient chargées; souvent on renversoit les meubles et on entendoit des bruits épouvantables.»
D'après le même auteur, dans la même affaire[1], [Note 1: _La Piété affligée_, p. 421.]
«Un homme ayant apporté à Picard une lettre d'importance arriva à onze heures de nuit à son presbytère passant au travers de la cour close d'un mur, et entra dans la cuisine qui étoit ouverte, où il trouva Picard courbé sur la table, et un homme noir et inconnu vis-à-vis de luy. Picard luy feit sa réponse de bouche, passa de la cuisine dans une chambre basse, laquelle il trouva pareillement ouverte; aussitost le déposant entendit un cry effroyable dont il avoit eu grand peur: ce vilain homme noir et inconnu luy reprocha qu'il trembloit, et avoit peur.»
Crespet[1] cite d'autres apparitions du diable: [Note 1: _Deux livres de la hayne de Sathan et malins esprits contre l'homme et de l'homme contre eux_, par P. P. Crespet, prieur des Célestins de Paris. 1590, in-12, p. 379.]
«Or le bon Père Cesarius dans ses exemples dit bien autrement d'une concubine de prestre, laquelle voyant que son paillard désespéré s'estoit tué soy-mesme, s'alla rendre nonnain où estant à cause qu'elle n'avoit entièrement confessé ses pechez, fut vexée d'un diable incube qui la tourmentoit toutes les nuicts, pour a quoy obvier, elle s'advisa de faire une confession générale de tous ses péchez. Ce qu'ayant faict, jamais le diable n'approcha d'elle depuis.
«Je ne puis omettre, ajoute-t-il, ce que à ce propos je trouve ès archives de ce monastère où je réside, qu'un bon religieux plein de foy (1504) voyant que le diable se meslant parmy les esclairs de tonnerre estoit entré en l'église où les religieux estoient assemblez pour prier Dieu, et qu'il vouloit tout renverser et prophaner les choses dédiées à Dieu, se vint constamment présenter armé du signe de la croix et commanda au nom de crucifix à Sathan de désister et sortir de la maison de Dieu, à la voix duquel il fut forcé d'obéir, et se retirer sans aucune offence.»
«Mais entre tous les contes, desquels j'aye jamais entendu parler, ou veu, dit Jean des Caurres[1], cestui-cy est digne de merveille, lequel est advenu depuis peu de temps à Rome. Un jeune homme, natif de Gabie, en une pauvre maison, et de parents fort pauvres, estant furieux, de mauvaise condition et de meschante conversation de vie, injuria son père, et luy fit plusieurs contumélies; puis estant agité de telle rage, il invoqua le diable, auquel il s'estoit voué: et incontinent se partit pour aller à Rome, et à celle fin entreprendre quelque plus grande meschanceté contre son père. Il rencontra le diable sur le chemin, lequel avoit la face d'un homme cruel, la barbe et les cheveux mal peignez, la robe usée et orde, lequel lui demanda en l'accompagnant la cause de sa fascherie et tristesse. Il lui respondit qu'il avoit eu quelques paroles avec son père, et qu'il avoit délibéré de luy faire un mauvais tour. Alors le diable luy fit réponse que tel inconvénient luy estoit advenu; et ainsi le pria-il de le prendre pour compagnon, et à celle fin que ensemble ils se vengeassent des torts qu'on leur avoit faicts. La nuit doncques estant venue, ils se retirèrent en une hostelerie, et se couchèrent ensemble. Mais le malheureux compagnon print à la gorge le pauvre jeune homme, qui dormoit profondément et l'eust estranglé, n'eust esté qu'en se réveillant il pria Dieu. Dont il advint que ce cruel et furieux se disparut, et en sortant estonna d'un tel brui et impétuosité toute la chambre que les solives, le toict et les thuilles en demeurèrent toutes brisées. Le jeune homme espouvanté de ce spectacle, et presque demy mort, se repentit de sa meschante vie et de ses meffaicts, et estant illuminé d'un meilleur esprit, fut ennemy des vices, passa sa vie loing des tumultes populaires et servit de bon exemple. Alexandre escrit toutes ces choses.»
[Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées en histoires, etc._, par Jean des Caurres. Paris, Guill. Choudière, 1584, in-8°, p. 390.]
«Lorsque j'étudiais en droit en l'académie de Witemberg, dit Godelman[1], cité par Goulart[2], j'ay ouy souvent reciter à mes précepteurs qu'un jour, certain vestu d'un habit estrange vint heurter rudement à la porte d'un grand théologien, qui lors lisoit en icelle académie, et mourut l'an 1516. Le valet ouvre et demande qu'il vouloit? Parler à ton maistre, fit-il. Le théologien le fait entrer: et lors cest estranger propose quelques questions sur les controverses qui durent sur le fait de la religion. A quoi le théologien ayant donné prompte solution, l'estranger en mit en avant de plus difficiles, le théologien lui dit: Tu me donnes beaucoup de peine: car j'avois le présent autre chose à faire et la dessus se levant de sa chaire montre en un livre l'exposition de certain passage dont ils débatoyent. En cest estrif il aperçoit que l'estranger avoit au lieu de doigts des pattes et des griffes comme d'oyseau de proye. Lors il commence à lui dire: Est-ce toi donc? Escoute la sentence prononcée contre toi (lui monstrant le passage du troisième chapitre de Genese): La semence de la femme brisera la teste du serpent. Il adjousta: Tu ne nous engloutiras pas tous. Le malin esprit tout confus, despité et grondant, disparut avec grand bruit, laissant si puante odeur dedans le poisle qu'il s'en sentit quelques jours après, et versa de l'encre derrière le fourneau.»
[Note 1: Jean-George Godelman, docteur en droit à Rostoch, au traité _De magis, veneficis, lamis, etc._, livre 1, ch. III.]
[Note 2: _Thrésor d'histoires admirables et mémorables de nostre temps, recueillies de divers autheurs, mémoires et avis de divers endroits._ Paris, 1600, 2 vol. in-12.]
Le même auteur fournit encore cette autre histoire à Goulart:
«En la ville de Friberg en Misne, le diable se présente en forme humaine à un certain malade, lui monstrant un livre et l'exhortant de nombrer les péchez dont il se souviendroit, pour ce qu'il vouloit les marquer en ce livre. Du commencement le malade demeura comme muet: mais recouvrant et reprenant ses esprits, il respond. C'est bien dit, je vay te deschifrer par ordre mes péchez. Mais escri au dessus en grosses lettres: La semence de la femme brisera la teste du serpent. Le diable, oyant cette condamnation sienne s'enfuit, laissant la maison remplie d'une extrême puanteur.»
Goulart emprunte celle-ci à Job Fincel[1]: [Note 1: Job Fincel, au premier livre _Des Miracles_.]
«L'an mil cinq cens trente quatre, M. Laurent Touer, pasteur en certaine ville de Saxe, voyant quelques jours devant Pasques à conférer avec aucuns du lieu, selon la coustume, des cas divers et scrupules de conscience, Satan en forme d'homme lui apparut et le pria de permettre qu'il communiquast avec lui; sur ce il commence à desgorger des horribles blasphèmes contre le Sauveur du monde. Touer lui résiste et le réfute par tesmoignages formels recueillis de l'Escriture sainte, que ce malheureux esprit tout confus, laissant la place infectée de puanteur insupportable s'esvanouit.»
«Un moine nommé Thomas, dit Alexandre d'Alexandrie[1], personnage digne de foy, et la preud'hommie duquel j'ay esprouvée en plusieurs afaires m'a raconté pour chose vraye, avec serment, qu'ayant eu debat de grosses paroles avec certains autres moines, après s'estre dit force injures de part et d'autre, il sortit tout bouillant de cholere d'avec eux et se promenant seul en un grand bois rencontra un homme laid, de terrible regard, ayant la barbe noire, et robe longue. Thomas lui demande où il alloit? J'ay perdu, respondit-il, ma monture, et vai la cercher en ces prochaines campagnes. Sur ce ils marchent de compagnie pour trouver ceste monture, et se rendent pres d'un ruisseau profond. Le moine commence à se deschausser pour traverser ce ruisseau: mais l'autre le presse de monter sur ses espaules, promettant le passer à l'aise. Thomas le croid, et chargé dessus l'embrasse par le col: mais baissant les yeux pour voir le gué, il descouvre que son portefaix avoit des pieds monstrueux et du tout estranges. Dont fort estonné, il commence à invoquer Dieu à son aide. A ceste voix, l'ennemi confus jette sa charge bas, et grondant de façon horrible disparoît avec tel bruit et de si extraordinaire roideur, qu'il arrache un grand chesne prochain et en fracasse toutes les branches. Thomas demeura quelque temps comme demy-mort, par terre, puis s'estant relevé, reconnut que peu s'en estoit falu que ce cruel adversaire ne l'eust fait perir de corps et d'ame.»
[Note 1: Au IVe livre, chap. XIX de ses _Jours géniaux_, cité par Goulart, _Thrésor d'histoires admirables_, t. Ier, p. 535.]
III.
Enlèvements par la Diable
J. Wier[1] rapporte cette histoire d'une femme emportée par le diable:
[Note 1: _Histoires, disputes et discours des illusions et impostures des diables, des magiciens, infames, sorciers et empoisonneurs, le tout compris en 5 livres_, traduit du latin, de Jean Wier, sans date, vers 1577.]
«L'an 1551 il advint près Mégalopole joignant Wildstat, les festes de la Pentecoste, ainsi que le peuple se amusoit à boire et ivrongner, qu'une femme que estoit de la compagnie, nommoit ordinairement le diable parmy ses jurements, lequel en la présence d'un chacun l'enleva par la porte, et la porta en l'air. Les autres qui estoyent présens sortirent incontinent tous estonnez pour voir où ceste femme estoit ainsi portée, laquelle ils virent hors du village pendue quelque temps au haut de l'air, dont elle tomba en bas et la trouvèrent après morte au milieu d'un champ.»
D'après Textor[1]: «Il y en eut un lequel ayant trop beu, se print à dire, en follastrant, qu'il ne pouvoit avoir une ame, puisqu'il ne l'avoit point veuë. Son compagnon l'acheta pour le prix d'un pot de vin, et la revendit à un tiers là présent et inconnu lequel tout à l'heure saisit et emporta visiblement ce premier vendeur au grand estonnement de tous.»
[Note 1: En son _Traicté de la nature du vin_, liv I, ch. XIII, cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. III, p. 67.]
Crespet[1] cite d'autres exemples d'enlèvements par le diable: «Tesmoing, dit-il, ce grand usurier qui dernièrement voyant que les bleds estoient à bon prix se desespera et appellant le diable il le veit incontinent à son secours, qui l'emporta au haut d'un chesne et le jectant du haut en bas, lui rompit le col.
[Note 1: _De la hayne de Sathan_, p. 379.]
«Un autre qui avoit perdu son argent au jeu; apres qu'il eut blasphemé le nom de Dieu et de la Vierge Marie, fut visiblement emporté par le diable, auquel il s'estoit voué.»
Chassanion[1] rapporte que «Jean François Picus, comte de la Mirande, tesmoigne avoir parlé à plusieurs lesquels s'estant abusez après la veine espérance des choses à venir, furent par apres tellement tourmentez du diable avec lequel ils avoyent fait certain accord, qu'ils s'estimeroyent bien heureux d'avoir la vie sauve. Dit d'avantage que de son temps il y eut un certain magicien, lequel promettoit à un trop curieux et peu sage prince de lui représenter comme en un théâtre du siège de Troyes, et lui faire voir Achilles et Hector en la manière qu'ils combattoyent. Mais il ne peut l'exécuter se trouvant empesché par un autre spectacle plus hideux de sa propre personne. Car il fut emporté en corps et en âme par un diable sans que depuis il soit comparu.»
[Note 1: En son _Histoire des jugemens de Dieu_, liv. I, ch. II, cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 718.]
Le Loyer[1] raconte encore cette histoire d'un diable noyant un anabaptiste:
[Note 1: _Discours et histoires des spectres, etc._, p. 332.]
«En Pologne, dit-il, un chef et prince d'anabaptistes invita aucuns de sa secte à son baptesme les assurant qu'ils y verroient merveilles et que le saint esprit descendrait visiblement sur luy. Les invitez se trouvent au baptesme, mais comme cet anabaptiste qui devait être baptisé mettait le pied dans la cuve pleine d'eau, incontinent, non le saint esprit, qui n'assiste point les hérétiques, ains l'esprit de septentrion qui est le diable, apparoist visiblement devant tous, prend l'anabaptiste par les cheveux, l'éleve en l'air et tant et tant de fois luy froisse la teste et le plonge en l'eau qu'il le laissa mort et suffoqué dans la cuve.»
«Nous lisons aussi que le baillif de Mascon, magicien, fut emporté, dit J. des Caurres[1], par les diables à l'heure du disner, il fut mené par trois tours à l'entour de la ville de Mascon, en la présence de plusieurs où il cria par trois fois: Aydez-moy, citoyens, aidez-moy. Dont toute la ville demeura estonnée, et luy perpétuel compagnon des diables, ainsi que Hugo de Cluny le monstre à plein.»
[Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées et histoires_, p. 392.]
«Un homme de guerre voyageant par le marquisat de Brandebourg, à ce que rapporte Simon Goulart[1], d'après J. Wier[2], se sentant malade et arresté à une hostellerie, bailla son argent à garder à son hostesse. Quelques jours après estant guéri il le redemanda à ceste femme, laquelle avoit déjà délibéré avec son mari de le retenir, par quoy elle lui nia le dépost, et l'accusa comme s'il lui eust fait injure: le passant au contraire, se courrouçoit fort, accusant de desloyauté et larcin cette siene hostesse. Ce que l'hoste ayant entendu, maintint sa femme, et jetta l'autre hors de sa maison, lequel choléré de tel affront tire son espée et en donne de la pointe contre la porte. L'hoste commence à crier au voleur, se complaignant qu'il vouloit forcer sa maison. Ce qui fut cause que le soldat fut pris, mené en prison, et son procès fait par le magistrat, prest à le condamner à mort. Le jour venu que la sentence devoit estre prononcée et exécutée le diable entra en la prison, et annonça au prisonnier qu'il estoit condamné à mourir; toutefois que s'il vouloit se donner à lui, il lui promettoit de le garantir de tout mal. Le prisonnier fit response qu'il aimoit mieux mourir innocent que d'estre délivré par tel moyen. Derechef le diable lui ayant représenté le danger où il estoit, et se voyant rebuté, fit néantmoins promesse de l'aider pour rien et faire tant qu'il le vengeroit de ses ennemis. Il lui conseilla donc lorsqu'il seroit appelé en jugement de maintenir qu'il étoit innocent et de prier le juge de lui bailler pour advocat celui qu'il verroit là présent avec un bonnet bleu: c'est assavoir lui qui plaideroit la cause. Le prisonnier accepte l'offre et le lendemain, amené au parquet de justice, oyant l'accusation de ses parties et l'advis du juge, requiert (selon la coustume de ces lieux là), d'avoir un advocat qui remonstrast son droit: ce qui lui fut accordé. Ce fin Docteur es loix commence à plaider et à maintenir subtilement sa partie, alléguant qu'elle estoit faussement accusée, par conséquent mal jugée; que l'hoste lui détenoit son argent et l'avoit forcé; mesmes il raconta comme tout l'affaire estoit passé, et déclaira le lieu où l'argent avoit esté serré. L'hoste au contraire se défendoit, et nioit tant plus impudemment, se donnant au diable, et priant qu'il l'emportast, s'il estoit ainsi qu'il l'eust pris. Alors ce Docteur au bonnet bleu, laissant les plaids, empoigne l'hoste, l'emporte dehors du parquet, et l'esleve si haut en l'air que depuis on ne peut sçavoir qu'il estoit devenu.» Paul Eitzen[3] dit que ceci avint l'an 1541 et que ce soldat revenoit de Hongrie.
[Note 1: _Thrésor d'histoires admirables_, tome I, p. 285.]
[Note 2: Au IVe livre _de Praestigiis Daemonum_, ch. XX.]
[Note 3: Au VIe livre de ses _Morales_, ch. XVIII.]
Les mêmes auteurs nous font encore connaître les deux histoires suivantes:
«Un autre gentilhomme coustumier de se donner aux diables, allant de nuict par pays, accompagné d'un valet, fut assailli d'une troupe de malins esprits, qui vouloyent l'emmener à toute force. Le valet désireux de sauver son maistre, commence à l'embrasser. Les diables se prennent à crier: «Valet lasche prise»; mais le valet perséverant en sa délibération, son maistre eschappa.»
«En Saxe, une jeune fille fort riche promit mariage à un beau jeune homme mais pauvre. Lui prevoyant que les richesses et la légèreté du sexe pourroyent aisement faire changer d'avis à ceste fille, lui descouvrit franchement ce qu'il en pensoit. Elle au contraire commence à lui faire mille imprécations, entre autres celle qui s'ensuit: Si j'en épouse un autre que le diable m'emporte le jour des nopces. Qu'avient-il? Au bout de quelque temps l'inconstante est fiancée à un autre, sans plus se soucier de celui-ci, qui l'admonneste doucement plus d'une fois de sa promesse, et de son horrible imprécation. Elle hochant la teste à telles admonitions s'appreste pour les espousailles avec le second: mais le jour des nopces, les parens, alliés et amis faisans bonne chere, l'espousée esveillée par sa conscience se monstroit plus triste que de coustume. Sur ce voici arriver en la cour du logis où se faisoit le festin, deux hommes de cheval, qu'on ameine en haut, où ils se mettent à table, et après disné, comme l'on commençoit à danser, on pria l'un d'iceux (comme c'est la coustume du pays d'honorer les estrangers qui se rencontrent en tels festins) de mener danser l'espousée. Il l'empoigne par la main et la pourmeine par la salle: puis en présence des parens et amis, il la saisit criant à haute voix, sort de la porte de la salle, l'enleve en l'air, et disparoit avec son compagnon et leurs chevaux. Les pauvres parens et amis l'ayans cherchée tout ce jour, comme il continuoyent le lendemain, esperans la trouver tombée quelque part, afin d'enterrer le corps, rencontrent les deux chevaliers, qui leur rendirent les habits nuptiaux avec les bagues et joyaux de la fille, adjoutans que Dieu leur avoit donné puissance sur ceste fille et non sur les acoustremens d'icelle, puis s'esvanouirent.»
Goulard répète aussi cette attaque du diable rapportée par Alexandre d'Alexandrie[1]:
[Note 1: Au IIe livre de ses _Jours géniaux_.]
«Un mien ami, homme de grand esprit, et digne de foy estant un jour à Naples chez un sien parent, entendit de nuit la voix d'un homme criant a l'aide, qui fut cause qu'il aluma la chandelle, et y courut pour voir que c'estoit. Estant sur le lieu, il vid un horrible fantosme, d'un port effroyable et du tout furieux, lequel vouloit à toute force entrainer un jeune homme. Le pauvre misérable crioit et se défendoit, mais voyant aprocher celui-ci soudain il courut au devant, l'empoigne par la main et saisit sa robe le plus estroitement qu'il lui fut possible et après s'estre long temps débattu commence à invoquer le nom et l'aide de Dieu et eschappe, le fantosme disparoissant. Mon ami meine en son logis ce jeune homme, pretendant s'en desfaire doucement, et le renvoyer chez soy. Mais il ne sceut obtenir ce poinct, car le jeune homme estoit tellement estonné qu'on ne pouvoit le rassurer, tressaillant sans cesse de la peur qu'il avoit pour si hideuse rencontre. Ayant enfin reprins ses esprits, il confessa d'avoir mené jusques alors une fort méchante vie, esté contempteur de Dieu, rebelle à père et à mère, ausquels il avoit dit et fait tant d'injures et outrages insupportables qu'ils l'avoyent maudit. Sur ce il estoit sorti de la maison et avoit rencontré le bourreau susmentionné.»
Goulart[1] raconte encore d'autres histoires d'enlèvements par le diable d'après divers auteurs:
[Note 1: _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 538.]
«Un docteur de l'académie de Heidelberg ayant donné congé à certain sien serviteur de faire un voyage en son pays, au retour comme ce serviteur aprochoit de Heidelberg, il rencontre un reître monté sur un grand cheval, lequel par force l'enlève en croupe, en tel estat il essaye d'empoigner son homme pour se tenir plus ferme; mais le reître s'esvanouit. Le serviteur emporté par le cheval bien haut en l'air, fut jetté bas près d'un pont hors la ville, où il demeura quelques heures sans remuer pied ni main: enfin revenu à soi, et entendant qu'il estoit près de son lieu, reprint courage, se rendit au logis, où il fut six mois entiers attaché au lict, devant que pouvoir se remettre en pied[1].»
[Note 1: Extrait du _Mirabiles Historiae de spectris_, Leipzig, 1597.]
«Près de Torge en Saxe, certain gentilhomme se promenant dans la campagne, rencontre un homme lequel le salue, et lui offre son service. Il le fait son palefrenier. Le maistre ne valoit gueres. Le valet estoit la meschanceté mesme. Un jour le maistre ayant à faire quelque promenade un peu loin, il recommande ses chevaux, spécialement un de grand prix à ce valet, lequel fut si habile que d'enlever ce cheval en une fort haute tour. Comme le maistre retournoit, son cheval qui avoit la teste à la fenestre le reconnut, et commence à hennir. Le maistre estonné, demande qui avoit logé son cheval en si haute escuirie. Ce bon valet respond que c'estoit en intention de le mettre seurement afin qu'il ne se perdist pas, et qu'il avoit soigneusement executé le commandement de son maistre. On eut beaucoup de peine à garrotter la pauvre beste et la devaler avec des chables du haut de la tour en bas. Tost après quelques uns que ce gentilhomme avoit volez, deliberans de le poursuivre en justice, le palefrenier lui dit: Maistre, sauvez-vous, lui monstrant un sac, duquel il tira plusieurs fers arrachez par lui des pieds des chevaux, pour retarder leur course au voyage qu'ils entreprenoyent contre ce maistre: lequel finalement attrappé et serré prisonnier, pria son palefrenier de lui donner secours. Vous estes, respond le valet, trop estroitement enchaisné; je ne puis vous tirer de là. Mais le maistre faisant instance, enfin le valet dit: Je vous tireray de captivité moyennant que vous ne fassiez signe quelconque des mains pour penser vous garantir. Quoi accordé, il l'empoigne avec les chaines, ceps et manottes, et l'emporte par l'air. Ce misérable maistre esperdu de se voir en campagne si nouvelle pour lui conmence à s'escrier: Dieu éternel, où m'emporte-on? Tout soudain le valet (c'est-à-dire Satan) le laisse tomber en un marest. Puis se rendant au logis, fait entendre à la damoiselle l'estat et le lieu ou estoit son mari, afin qu'on l'allast desgager et delivrer.»
Des Caurres[1] raconte que «à la montagne d'Ethna, non guères loin de l'île de Luppari, montagne qu'on appelle la gueule d'enfer, Dieu monstra la peine des damnez. Il y a si long temps qu'elle brusle et tout demeure en son entier, comme fera enfer, quand elle auroit autant entier que toute l'Italie, elle devroit estre consommée. On entend là cris et complainctes, et les ennemis et mauvais esprits meinent là grand bruict, et suscitent de grandes tempestes sur la mer près de ceste montagne. De nostre temps un prélat après son trespas, fut trouvé en chemin par ses amis, lequel se disoit estre damné et qu'il s'en alloit en ceste montaigne. Il n'y a pas encor longtemps qu'une nef de Sicile aborda là, en laquelle y avoit un père gardien de ce pays-là avec son compagnon, le Diable luy dit qu'il le suivist pour faire quelque chose que Dieu avoit ordonné. Et soudain fut porté par luy en une cité assez loin de là. Et quand il fut là, le mauvais esprit le conduit au sépulchre de l'Evesque du lieu, qui estoit mort depuis trois mois: Et lui commanda de despouiller ses habillemens épiscopaux, et lui dit apres: Ces habillemens soyent à toy, et le corps à moy comme est son âme; dans une demie heure, ledit religieux fut rapporté audit navire, et racompta ce qu'il avoit veu. Pour vérifier cecy le patron du navire fit voile vers ceste cité: le sépulchre fut ouvert et trouvèrent que le corps n'y estoit point. Et ceux qui l'avoient revestu après sa mort recogneurent les dicts habillemens épiscopaux. Un homme de bien, et grand prescheur d'Italie, a mis cecy en escript, qui a cogneu ces gens-là.»
[Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées_, p. 378.]
«En ce mesme temps, continue des Caurres, y avoit en Sicile un jeune homme addonné à toute volupté, à jeux, et reniemens: lequel le vice-roy de Sicile, envoya un soir, en un monastère pour quérir une salade d'herbes: en chemin soudain il fut ravy en l'air, et on ne le vit plus. Un peu de temps après un navire passoit auprès de ceste montagne, et voicy une voix qui appelle par deux fois le patron du navire, et voyant qu'il ne respondoit point pour la troisième, ouit que s'il n'arrestoit il enfondroit le navire. Le patron demande ce qu'il vouloit, qui respondit: Je suis le diable, et di au vice-roy qu'il ne cerche plus un tel jeune homme, car je l'ay emporté, et est icy avec nous: voicy la ceinture de sa femme qu'il avoit prinse pour jouer; laquelle ceinture il jette sur le navire.»
IV.
Métamorphoses du Diable
Le diable apparaît sous toutes sortes de figures.
«Que diray-je davantage? lit-on dans l'ouvrage de Le Loyer[1]. Il n'y a sorte de bestes à quatre pieds que le diable ne prenne, ce que les hermites vivans es déserts ont assez éprouvé. A sainct Anthoine qui habitoit es déserts de la Thébaïde les loups, les lions, les taureaux se présentoient à tous bouts de champ; et puis à sainct Hilarion faisant ses prières se monstroit tantost un loup qui hurloit, tantost un regnard qui glatissoit, tantost un gros dogue qui abbayoit. Et quoy? le diable n'auroit-il pas été si impudent mesmes, que ne pouvant gaigner les hermites par cette voye, il se seroit montré, comme il fit à sainct Anthoine, en la forme que Job le dépeint sous le nom de Léviathan, qui est celle qui lui est comme naturelle et qu'il a acquise par le péché, voire qui lui demeurera es enfers avec les hommes damnés. Ce n'est point des animaux à quatre pieds seulement que les diables empruntent la figure, ils prennent celles des oyseaux, comme de hiboux, chahuans, mouches, tahons... Quelquefois les diables s'affublent de choses inanimées et sans mouvement, comme feu, herbes, buissons, bois, or, argent et choses pareilles... Je ne veux laisser que quand les esprits malins se monstrent ils ne gardent aucune proportion parce qu'ils sont énormément grands et petits comme ils sont gros et grêles à l'extrémité.»
[Note 1: _Discours et histoires des spectres, etc._ p. 353.]
«J'ai entendu, dit Jean Wier, cité par Goulart[1], que le diable tourmenta durant quelques années les nonnains de Hessimont à Nieumeghe. Un jour il entra par un tourbillon en leur dortoir, où il commença un jeu de luth et de harpe si mélodieux, que les pieds frétilloyent aux nonnains pour danser. Puis il print la forme d'un chien se lançant au lict d'une soupçonnée coulpable du péché qu'elles nomment muet. Autres cas estranges y sont advenus, comme aussi en un autre couvent près de Cologne, le diable se pourmenoit en guises de chiens et se cachant sous les robes des nonnains y faisoit des tours honteux et sales autant en faisoit-il à Hensberg au duché de Cleves sous figures de chats.»
[Note 1: _Thrésor d'histoires admirables, etc._]
«Les mauvais esprits, dit dom Calmet[1], apparoissent aussi quelquefois sous la figure d'un lion, ou d'un chien, ou d'un chat, ou de quelque autre animal, comme d'un taureau, d'un cheval ou d'un corbeau: car les prétendus sorciers et sorcières racontent qu'au sabbat on le voit de plusieurs formes différentes, d'hommes, d'animaux, d'oyseaux.»
[Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. Ier, p. 44.]
«Le diable n'apparoit aux sorciers dans les synagogues qu'en bouc, dit Scaliger[1]; et en l'Escriture lors qu'il est reproché aux Israëlites qu'ils sacrifioient aux demons, le mot porte aux boucs. C'est une chose merveilleuse que le diable apparoisse en cette forme.
[Note 1: _Scaligerana_, Groeningue, P. Smith, 1669, in-12. 2e partie, article _Azazel_.]
«Les diables, dit-il plus loin[1], ne s'addressent qu'aux foibles; ils n'auroient garde de s'addresser à moy, ie les tuerois tous.»
[Note 1: Même ouvrage, article _Diable_.]
Quelquefois le diable apparaît sous la forme empruntée d'un corps mort.
«Je ne puis, dit Le Loyer[1], pour vérifier que les diables prennent des corps morts qu'ils font cheminer comme vifs, apporter histoire plus récente que celle-ci. Ceux qui ont recueilliz l'histoire de notre temps de la démoniaque de Laon disent qu'un des diables qui étoit au corps d'elle appelé Baltazo print le corps mort d'un pendu en la plaine d'Arlon pour tromper le mary de la démoniaque, et la fraude du diable fut descouverte en ceste façon. Le mary estoit ennuyé des frais qu'il faisoit procurant la santé de sa femme, n'y pouvant plus fournir. Il s'addresse donc à un sorcier, qui l'asseure qu'il délivrera sa femme des diables desquels elle estoit possédée. Le diable Baltazo est employé par le sorcier et mené au mary qui leur donne à tous à souper, où se remarque que Baltazo ne but point. Après le souper, le mary vint trouver le maître d'escole de Vervin en l'église du lieu, où il vaquoit aux exorcismes sur la démoniaque. Il ne luy cele point la promesse qu'il avoit du sorcier, et réitérée de Baltazo durant le souper qu'il guériroit sa femme, s'il le vouloit laisser seul avec elle: mais le maître d'escole avertit le mary de prendre bien garde de consentir cela. Quelque demie heure apres le mary qui s'étoit retiré, amène Baltazo dans l'église, que l'esprit Baalzebub qui possédoit la femme appela incontinent par son nom, et luy dit quelques paroles. Depuis Baltazo sort de l'église, disparoit et ne sçait-on ce qu'il devint. Le maistre d'escole qui voit tout cecy, conjure Baalzebub, et le contraint de confesser que Baltazo étoit diable et avoit prins le corps d'un mort, et que si la démoniaque eut esté laissée seule, il l'eust emportée en corps et en âme.»
[Note 1: _Discours et histoires des spectres, visions, etc._ p. 244.]
«L'exemple de Nicole Aubry, démoniaque de Laon est plus que suffisant pour montrer ce que je dis, ajoute Le Loyer[1]. Car devant que le diable entrast en son corps, il se presenta à elle en la forme de son père décédé subitement, luy enjoignit de faire dire quelques messes pour son âme, et de porter des chandelles en voyage. Il la suivoit partout où elle alloit sans l'abandonner. Cette femme simple obéit au diable en ce qu'il lui commandoit, et lors il leve le masque, se montre à elle, non plus comme son père, mais comme un phantosme hideux et laid, qui luy persuadoit tantost de se tuer, tantost de se donner à luy.--Cela se pouvoit attendre par les réponses que la démoniaque faisoit au diable, luy résistant en ce qu'elle pouvoit.--Je me veux servir de l'histoire de la démoniaque de Laon attestée par actes solennels de personnes publiques, tout autant que si elle estoit plus ancienne. Il y a des histoires plus anciennes qu'elle n'est, où à peine on pourroit remarquer ce qui s'est veu en ceste femme démoniaque. Ce fut pour nostre instruction que la femme fut ainsi tourmentée au coeur de la France, mais notre libertinisme fut cause que nous ne les peusmes apprendre.»
[Note 1: _Discours et histoires des spectres, visions, etc._, p. 320.]
Bodin[1] fait connaître une histoire analogue:
[Note 1: _Démonomanie_, livre III, ch. VI.]
«Pierre Mamor récite, dit-il, qu'à Confolant sur Vienne, apparut en la maison d'un nommé Capland un malin esprit se disant estre l'âme d'une femme trespassée, lequel gemissoit et crioit en se complaignant bien fort, admonestant qu'on fist plusieurs prières et voyages, et révéla beaucoup de choses véritables. Mais quelqu'un lui ayant dit: Si tu veux qu'on te croye dis _Miserere mei Deus, secundum magnam misericordiam tuam_. Sa réponse fut: Je ne puis. Alors les assisants se mocquerent de lui, qui s'enfuit en fremissant.»
Le diable prend même parfois la forme de personnes vivantes.
Voici par exemple ce que rapporte Loys Lavater[1]:
[Note 1: _Trois livres des apparitions des esprits, fantasmes, prodiges, etc., composez par Loys Lavater, plus trois questions proposées et résolues par M. Pierre Martyr_. Geneve, Fr. Perrin, 1571, in-12.]
«J'ai ouï dire à un homme prudent et honnorable baillif d'une seigneurie dépendante du Zurich, qui affirmoit qu'un jour d'esté allant de grand matin se promener par les prez, accompagné de son serviteur, il vid un homme qu'il cognoissoit bien, se meslant meschamment avec une jument: de quoy merveilleusement estonné retourna soudainement, et vint frapper à la porte de celuy qu'ils pensoyent avoir veu, où il trouva pour certain qu'il n'avoit bougé de son lict. Et si ce bailli, n'eust diligemment seu la vérité, un bon et honneste personnage eust esté emprisonné et gehenné. Je récite ceste histoire, afin que les juges soyent bien avisez en tels cas. Chunégonde, femme de l'empereur Henry second, fut soupeçonnée d'adultere, et le bruit courut qu'elle s'accointoit trop familierement d'un gentilhomme de la cour. Car on avoit veu souvent la forme d'iceluy (mais c'estoit le diable qui avoit pris ce masque) sortant de la chambre de l'empereur. Elle monstra peu après son innocence en marchant sur des grilles de fer toutes ardentes (comme la coutume estoit alors) et ne se fit aucun mal.»
«En l'île de Sardaigne, dit P. de Lancre[1] et en la ville de Cagliari, une fille de qualité, de fort riche et honnorable maison, ayant veu un gentilhomme d'une parfaicte beauté et bien accompli en toute sorte de perfections s'amouracha de luy, et y logea son amitié avec une extrême violence. (Elle sut dissimuler et le gentilhomme ne s'apperceut de rien). Un mauvais démon pipeur, plus instruit en l'amour et plus affronteur que luy, embrassant cette occasion, recognut aisément que cette fille esprise et combatue d'amour seroit bientôt abbatue... Et pour y parvenir plus aisément, il emprunta le masque et le visage du vray gentilhomme, prenant sa forme et figure, et se composa du tout à sa façon, si bien qu'on eut dit que c'estoit non seulement son portrait, mais un autre luy-même. Il la vit secretement et parla à elle, lui feignit des amours et des commoditez pour se voir. De manière que le mauvais esprit qui trouve les sinistres conventions les meilleures abusa non seulement de la simplicité de ceste jeune fille, ains encore du sacrement de mariage par le moyen duquel la pauvre damoyselle pensoit aucunement couvrir sa faute et son honneur. De sorte que, l'ayant espousé clandestinement, adjoustant mal sur mal, comme plusieurs s'attachent ordinairement ensemble pour mieux assortir quelque faict execrable tel que celuy-ci, ils jouyrent de leurs amours quelques mois, pendant lesquels cette fille faussement contente cachoit le plus possible ses amours... Il advint, que sa mère luy donna quelque chose sainte qu'elle portoit par dévotion, qui lui servit d'antidote contre le démon et contre son amour, brouillant ses entrées et troublant ses commoditez. Le diable lui avait recommandé de ne pas lui envoyer de messager, mais la jalousie la poussant, elle en envoya un au gentilhomme pour le prier de se rendre auprès d'elle, lui reprocha son abandon, etc. Le gentilhomme tout étonné lui déclara qu'elle a été pipée et établit qu'à l'époque du prétendu mariage il était absent. La damoyselle reconnut alors l'oeuvre du démon et se retira dans un monastère pour le reste de sa vie.»
[Note 1: _Tableau de l'inconstance des mauvais anges_, p. 218.]
Wier[1] raconte cette histoire d'une jeune fille servante d'une religieuse de noble maison, à qui le diable voulut jouer un mauvais tour. «Un paysan lui avoit promis mariage; mais il s'amouracha d'une autre: dont ceste-ci fut tellement contristée, qu'estant allée environ une demie lieue loin du couvent, elle rencontra le diable en forme d'un jeune homme, lequel commença à deviser familièrement avec elle, lui descouvrant tous les secrets du paysan, et les propos qu'il avoit tenus à sa nouvelle amie: et ce afin de faire tomber cette jeune fille en désespoir et en résolution de l'estrangler. Estans parvenus près d'un ruisseau, lui print l'huile qu'elle portoit, afin qu'elle passast plus aisément la planche, et l'invita d'aller en certain lieu qu'il nommoit; ce qu'elle refusa, disant: Que voulez-vous que j'aille faire parmi ces marest et étangs? Alors il disparut, dont la fille conçeut tel effroy qu'elle tomba pasmée: sa maistresse, en estant avertie la fit rapporter au couvent dedans une lictière. Là elle fut malade, et comme transportée d'entendement, estant agitée de façon estrange en son esprit, et parfois se plaignoit estre misérablement tourmentée du malin, qui vouloit l'oster de là et l'emporter par la fenestre. Depuis elle fut mariée à ce paysan et recouvra sa première santé.»
[Note 1: _Histoires, disputes et discours des illusions et impostures des diables_.]
Le même auteur[1] rapporte cette histoire singulière d'une métamorphose du diable:
[Note 1: _Histoires des impostures des diables_, p. 196.]
«La femme d'un marchand demeurant à deux ou trois lieues de Witemberg, vers Slésic, avoit, dit-il, accoustumé pendant que son mary estoit allé en marchandise, de recevoir un amy particulier. Il advint donc pendant que le mary étoit aux champs que l'amoureux vint veoir sa dame, lequel après avoir bien beu et mangé, il faict son devoir, comme il luy sembloit, il apparut sur la fin en la forme d'une pie montée sur le buffet, laquelle prenoit congé de la femme en cette manière: Cestuy-ci a esté ton amoureux. Ce qu'ayant dit, la pie disparut, et oncques depuis ne retourna.»
Bouloese rapporte cette singulière aventure arrivée à Laon[1]:
[Note 1: _Le Trésor et entière histoire de la triomphante victoire du corps de Dieu sur l'esprit en colère de Beelzebub, obtenue à Laon l'an 1566_, par Bouloese. Paris, Nic. Chesneau, 1578, in-4°.]
«Lors ce médecin réformé, sans en communiquer au catholique, ne perdant cette occasion de bouche ouverte, tira de sa gibessière une petite phiole de verre contenant une liqueur d'un rouge tant couvert qu'à la chandelle il apparoissoit noir, et luy jetta en la bouche. Et Despinoys esmeu par la puanteur, haulsant la main droicte au devant s'escria disant: Fy, fy, Monsieur nostre maistre que luy avez-vous donné? Et en tomba sur sa main de ce rendue pour un temps fort puante (dont par après il fut contraint de manger avec la gauche tenant cependant la droicte derrière le dos) comme aussi toute la chambre fut remplie de cette puantueur. Le corps devint roide comme une buche, sans mouvement ny sentiment quelconque. Dont ce médecin réformé fort étonné, dist que c'estoit une convulsion. Et retira une autre bouteille pleine de liqueur blanche, qu'il disoit notre eau de vie avec la quintessence de romarin pour faire revenir à soy la patiente, et faire cesser la convulsion. Et pour exciter la patiente lui feist frotter et battre les mains en criant: Nicole, Nicole, il faut boire. Cependant une beste noire (avec révérence semblable à un fouille-merde: aussi à Vrevin s'était montrée une autre sorte de grosse mouche a vers que par ses effets l'on a jugée estre ce maistre mouche Beelzebub), beste noire que peu après appela le diable escarbotte, fut veue et se pourmena sur le chevet du lict et sur la main du dict Despinoys en l'endroit de la susdite puante liqueur respandue... Toutefois ce médecin disant estre une ordure tombée du ciel du lit, secoua, mais en vain, pour en faire tomber d'autres. Et se voyant ne pouvoir exciter la patiente et avoir esté reprins d'avoir jeté en la bouche d'icelle, ceste liqueur tant puante, print une chandelle et s'en alla.»
V.
Signes de la possession du Démon
«Combien qu'il y ait parfois quelques causes naturelles de la phrénésie ou manie, dit Mélanchthon en une de ses epistres[1], c'est toutes fois chose asseurée que les diables entrent en certaines personnes et y causent des fureurs et tourmens ou avec les causes naturelles ou sans icelles; veu que l'on void parfois les malades estre gueris par remedes qui ne sont point naturels. Souvent aussi tels spectacles sont tout autant de prodiges et prédictions de choses à venir. Il y a douze ans qu'une femme du pays de Saxe, laquelle ne sçavoit ni lire ni escrire, estant agitée du diable, le tourment cessé, parloit en grec et en latin des mots dont le sens estoit qu'il y auroit grande angoisse entre le peuple.»
[Note 1: Cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 142.]
Le docteur Ese[1] donne comme marques conjecturales de la possession: [Note 1: _Traicté des marques des possédés et la preuve de la véritable possession des religieuses de Louvein_, par P. M. Ese, docteur en médecine. Rouen, Ch. Osmont, 1644, in-4°.]
1° Avoir opinion d'être possédé;
2° Mener une mauvaise vie;
3° Vivre hors de toute société;
4° Les maladies longues, les symptômes peu ordinaires, un grand sommeil, les vomissements de choses estranges;
5° Blasphémer le nom de Dieu et avoir souvent le diable en bouche;
6° Faire pacte avec le diable;
7° Estre travaillé de quelques esprits;
8° Avoir dans le visage quelque chose d'affreux et d'horrible;
9° S'ennuyer de vivre et se désespérer;
10° Estre furieux, faire des violences;
11° Faire des cris et hurlemens comme les bestes.
Nous trouvons dans une histoire des possédées de Loudun[1] les questions proposées à l'université de Montpellier par Santerre, prêtre et promoteur de l'évêché et diocèse de Nîmes, touchant les signes de la possession, et les réponses judicieuses de cette université.
[Note 1: _Histoire des diables de Loudun, ou de la possession des religieuses ursulines et de la condamnation et du supplice d'Urbain Grandier, curé de la même ville_. Amsterdam, Abraham Wolfgang, 1694, in-12, p. 314.]
_Question._
Si le pli, courbement et remuement du corps, la tête touchant quelque fois la plante des piés, avec autres contorsions et postures étranges sont un bon signe de possession?
_Réponce._
Les mimes et sauteurs font des mouvements si étranges, et se plient, replient en tant de façons, qu'on doit croire qu'il n'y a sorte de posture, de laquelle les hommes et femmes ne se puissent rendre capables par une sérieuse étude, ou un long exercice, pouvant même faire des extensions extraordinaires et écarquillemens de jambes, de cuisses et autres parties du corps à cause de l'extension des nerfs, muscles et tendons, par longue expérience et habitude; partant telles opérations ne se font que par la force de la nature.
_Question_.
Si la vélocité du mouvement de la tête par devant et par derrière, se portant contre le dos et la poitrine est une marque infaillible de possession?
_Réponce_. Ce mouvement est si naturel qu'il ne faut ajouter de raison à celles qui ont été dites sur le mouvement des parties du corps.
_Question_. Si l'enflure subite de la langue, de la gorge et du visage, et le subit changement de couleur, sont des marques certaines de possession?
_Réponce_.
L'enflement et agitation de poitrine par interruption sont des effets de l'aspiration ou inspiration, actions ordinaires de la respiration, dont on ne peut inférer aucune possession. L'enflure de la gorge peut procéder du souffle retenu et celle des autres parties des vapeurs mélancoliques qu'on voit souvent vaguer par toutes les parties du corps. D'où s'ensuit que ce signe de possession n'est pas recevable.
_Question_.
Si le sentiment stupide et étourdi ou la privation de sentiment, jusques à être pincé et piqué sans se plaindre, sans remuer, et même sans changer de couleur, sont des marques certaines de possession?
_Réponce._
Le jeune Lacédémonien qui se laissait ronger le foye par un renard qu'il avoit dérobé, sans faire semblant de le sentir et ceux qui se faisoient fustiger devant l'autel de Diane jusques à la mort sans froncer le sourcil, montrent que la résolution peut bien faire soufrir des piqûres d'épingle sans crier, étant d'ailleurs certain que dans le corps humain il se rencontre en quelques personnes de certaines petites parties de chair, qui sont sans sentiment, quoique les autres parties qui sont alentour, soient sensibles, ce qui arrive le plus souvent par quelque maladie qui a précédé. Partant tel effet est inutile pour la possession.
_Question._
Si l'immobilité de tout le corps qui arrive à de prétendus possédés par le commandement de leurs exorcistes, pendant et au milieu de leurs plus fortes agitations est un signe univoque de vraie possession diabolique?
_Réponce._
Le mouvement des parties du corps étant involontaire, il est naturel aux personnes bien disposées de se mouvoir ou de ne se mouvoir pas selon leur volonté, partant un tel effet, ou suspension de mouvements n'est pas considérable pour en inférer une possession diabolique, si en cette immobilité il n'y a privation entière du sentiment.
_Question._ Si le japement ou clameur semblable à celui du chien, qui se fait dans la poitrine plutôt que dans la gorge est une marque de possession?
_Réponce._
L'industrie humaine est si souple à contrefaire toute sorte de raisonnements, qu'on voit tous les jours des personnes façonnées à exprimer parfaitement le raisonnement, le cri et le chant de toutes sortes d'animaux, et à les contrefaire sans remuer les lèvres qu'imperceptiblement. Il s'en trouve même plusieurs qui forment des paroles et des voix dans l'estomac, qui semblent plutôt venir d'ailleurs que de la personne qui les forme de la sorte, et l'on appelle ces gens les engastronimes, ou engastriloques. Partant un tel effet est naturel, comme le remarque Pasquier au chap. 38 de ses Recherches par l'exemple d'un certain boufon nommé Constantin.
_Question._
Si le regard fixe sur quelque objet sans mouvoir l'oeil d'aucun côté est une bonne marque de possession?
_Réponce._
Le mouvement de l'oeil est volontaire comme celui des autres parties du corps et il est naturel de le mouvoir, ou de le tenir fixe, partant il n'y a rien en cela de considérable.
_Question._
Si les réponces que de prétendues possédées font en françois, à quelques questions qui leur sont faites en latin, sont une marque de possession?
_Réponce._
Nous disons qu'il est certain que d'entendre et de parler les langues qu'on n'a pas aprises sont choses surnaturelles, et qui pourroient faire supposer qu'elles se font par le ministère du Diable, ou de quelque autre cause supérieure; mais de répondre à quelques questions seulement, cela est entièrement suspect, un long exercice ou des personnes avec lesquelles on est d'intelligence pouvant contribuer à telles réponces, paroissant être un songe de dire que les diables entendent les questions qui leur sont faites en latin et répondent toujours en françois et dans le naturel langage de celui qu'on veut faire passer pour un énergumène. D'où il s'ensuit qu'un tel effet ne peut conclure la résidence d'un démon, principalement si les questions ne contiennent pas plusieurs paroles et plusieurs discours.
_Question._
Si vomir les choses telles qu'on les a avalées est un signe de possession?
_Réponce._
Delrio, Bodin et autres auteurs disent que par sortilège les sorciers font quelquefois vomir des clous, des épingles et autres choses étranges par l'oeuvre du diable. Ainsi dans les vrais possédés le diable peut faire de même. Mais de vomir les choses comme on les a avalées, cela est naturel, se trouvant des personnes qui ont l'estomac faible, et qui gardent pendant plusieurs heures ce qu'elles ont avalées, puis le rendent comme elles l'ont pris et la Lientérie rendant les aliments par le fondement, comme on les a pris par la bouche.
_Question._
Si des piqûres de lancette dans diverses parties du corps, sans qu'il en sorte du sang, sont une marque certaine de possession?
_Réponce._
Cela doit se rapporter à la composition du tempérament mélancolique, le sang duquel est si grossier qu'il ne peut en sortir par de si petites plaies, et c'est par cette raison que plusieurs étant piqués, même en leurs veines et vaisseaux naturels, par la lancette d'un chyrurgien, n'en rendent aucune goutte comme il se voit par expérience. Partant il n'y a rien d'extraordinaire.»
J. Bouloese[1] raconte comment vingt-six diables sortirent du corps de Nicole, la possédée de Laon:
[Note 1: _Le trésor et entière histoire de la triomphante victoire du corps de Dieu sur l'esprit malin de Beelzebub, obtenue à Laon l'an 1566_, par J. Bouloese. Paris, Nic. Chesneau, 1578, in-4°.]
«A deux heures de l'après midy fut rapportée la dicte Nicole, estant possédée du diable, à la dicte église où furent faites par ledit de Motta les conjurations comme auparavant. Nonobstant toute conjuration le dit Beelzebub dit à haute voix qu'il n'en sortirait. Après dîner donc retournant le dit de Motta aux conjurations luy demanda combien ils en étoient sortis? Il répond 26. Il faut maintenant (ce disoit de Motta) que toy et tous tes adhérans sortiez comme les autres. Il répond: Non je ne sortiray pas icy; mais si tu me veux mener à sainte Restitute, nous sortirons là. Il te suffise s'ils sont sortis 26. Et puis le dit de Motta demande signe suffisant comment ils estoient sortis. Il dist pour tesmoignage que l'on regarde au petit jardin du trésorier qui est sur le portail; car ils ont prins et emporté trois houppes (c'est-à-dire branches) d'un verd may (d'un petit sapin) et trois escailles de dessus l'église de Liesse faicte en croix, comme les autres de France communément. Ce qui a été trouvé vray, comme a veu monsieur l'abbé de Saint-Vincent, monsieur de Velles, maistre Robert de May, chanoine de l'église Nostre-Dame de Laon, et autres.»
Le même auteur[1] rapporte les contorsions de la démoniaque de Laon:
[Note 1: _Le trésor et entière histoire de la triomphante victoire du corps de Dieu sur l'esprit malin de Beelzebub, etc._, p. 187.]
«Et autant, dit-il, que le révérend père évêque lui mettoit la saincte hostie devant les yeux, luy disant: Sors ennemy de Dieu: d'autant plus se jectoit-elle à revers de coté et d'autre, en se tordant la face devers les pieds et en muglant horriblement et les pieds à revers les orteils estant mis au talon, contre la force de huict ou dix hommes elle se roidissoit et eslançoit en l'air plus de six pieds, ou la hauteur d'un homme. De sorte que les gardes, voire mesme en l'air avec elle parfois élevés en suoient de travail. Et encore qu'ils s'appesantissent le plus qu'ils pouvoient, pour la retenir en bas: si ne la pouvoient-ils toutes fois maistriser que quasi elle ne leur eschapast, et fust arrachée des mains sans qu'elle se monstrast aucunement eschauffée.
«Le peuple voyant et oyant chose si horrible, monstrueuse, hydeuse et espouvantable crioient: Jésus, miséricorde! Les uns se cachoient ne l'osant regarder. Les autres cognoissant l'enragée cruauté de cet excessif indicible et incredible tourment pleuroient à grosses larmes piteusement redoublans: Jésus, miséricorde!»
«Après la patiente ainsi pis que morte dure, roide, contrefaite, courbée et diforme, estoit par la permission du révérend père évêque laissée à toucher et à manier à ceux qui vouloient. Mais principalement le fut-elle par les prétendus réformez, hommes très forts. Et nommeement Françoys Santerre, Christofle Pasquot, Gratian de la Roche, Marquette, Jean du Glas et autres très forts hommes assez remarqués entre eux de leur prétendue religion réformée, s'efforcèrent mais en vain de luy redresser les membres, de les poser en leur ordre, luy ouvrir les yeux et la bouche. Mais ils ne peurent en sorte que ce feust. Aussy eussiez vous plustost rompu que ployé quelque membre d'icelle, ou faict mouvoir ou le bout du nez ou des aureilles, ou autre membre d'icelle, tant elle estoit roide et dure. Et lors elle estoit tenue, comme elle parloit par après, déclarant qu'elle enduroit un mal incrédible. C'est à sçavoir le diable par le tourment de l'âme, faisant le corps devenir pierre ou marbre.»
Jean Le Breton rapporte les faits suivants sur les possédées de Louviers[1]:
[Note 1: _De la défense de la vérité touchant la possession des religieuses de Louviers_, par M. Jean Le Breton, théologien. Evreux, Nic. Hamillon, 1643, in-4°, p. 8.]
«Le quatrième fait est que plusieurs fois le jour, elles témoignent de grands transports de fureur et de rage, durant lesquels elles se disent démons, sans offenser néantmoins personne, et sans blesser mesmes les doigts de la main des prestres, lorsqu'au plus fort de leurs rages, ils les mettent en leur bouche.»
«La cinquiesme est que durant ces fureurs et ces rages, elles font d'estranges convulsions et contorsions de leurs corps, et entr'autre se courbent en arrière, en forme d'arc, sans y employer leurs mains, et ce en sorte que tout leur corps est appuyé sur leur front autant et plus que sur leurs pieds, et tout le reste est en l'air et demeurent longtemps en cette posture et la réitèrent jusqu'à sept ou huict fois: et après tous ces efforts et mille autres, continuez quelquefois quatre heures durant, principalement, dans les exorcismes, et durant les plus chaudes après disnées des jours caniculaires, se sont au sortir de là trouvées aussi saines, aussi fraisches, aussi tempérées, et le poulx aussi haut et aussi esgal, que si rien ne leur fut arrivé.»
«Le sixième est qu'il y en a parmy elles qui se pasment et s'esvanouissent durant les exorcismes, comme à leur gré, et en telle sorte que leur pasmoison commence lorsqu'elles ont le visage le plus enflammé et le poulx le plus fort... Elles reviennent de cette pasmoison sans que l'on y emploie aucun remède et d'une manière plus merveilleuse que n'en a esté l'entrée; car c'est en remuant premièrement l'orteil, et puis le pied, et puis la jambe, et puis la cuisse, et puis le ventre, et puis la poitrine, et puis la gorge, mais ces trois derniers par un grand mouvement de dilatation... le visage demeurant cependant tousjours apparemment interdit de tous ses sens, les quels enfin il reprend tout à coup en grimaçant et hurlant et la religieuse retournant en même temps en ses agitations et contorsions précédentes.»
Le docteur Ese[1] raconte comme suit ce qu'éprouvait la soeur Marie du couvent des religieuses de Louviers:
[Note 1: _Traicté des marques des possédés_, p. 51.]
«La dernière qui étoit soeur Marie du Sainct-Esprit, prétendue possédée par Dagon, grande fille et de belle taille un peu plus maigre, mais sans mauvais teint ny aucune sorte de maladie entra dans le réfectoire... le visage droict sans arrester ses yeux, et les tournant d'un costé et d'autre, chantant, sautant, dansant, et frappant doucement, qui l'un, qui l'autre, et en suite en se pourmenant tousjours, parla en termes très élégants et significatifs du contentement qu'il avoit (parlant de la personne du diable) de sa condition et de l'excellence de sa nature... et disoit tout cela en marchant avec une contenance arrogante, et le geste semblable, ensuite il commença à entrer en furie et prononcer quantité de blasphèmes, puis se prit à parler de sa petite Magdelaine, sa bonne amie, sa mignonne, et sa première maistresse, et de là se lança dans un panneau de vitre la teste la première sans sauter et sans faire aucun effort, et y passa tout le corps se tenant à une barre de fer qui faisoit le milieu, et comme elle voulut repasser de l'autre costé de la vitre, on lui fit commandement en langage latin _est in nomine Jesu rediret non per aliam sed per eadem viam_, ce qu'après avoir longuement contesté et dit qu'il n'y rentreroit pas, elle le fit pourtant et rentra par le même passage, et aussitost qu'elle fut revenue, les médecins l'ayant considérée, touché le poulx et fait tirer la langue, ce qu'elle permit en raillant et parlant d'autre chose, ils ne luy trouvèrent ny esmotion telle qu'ils avoient cru devoir estre, ny autre disposition conforme à la violence de tout ce qu'elle avoit fait et dit; et sortir de cette sorte contant tousjours quelque bagatelle et la compagnie se retira.»
Un autre historien des possédées de Louviers[1] rapporte ce fait surprenant:
[Note 1: _Histoire de madame Bavent, religieuse du monastère de Sainct-Louis de Louviers_. Paris, 1652, in-4°.]
«Au milieu de la nef de cette chappelle estoit exposé un vase d'une espèce de marbre qui peut avoir près de deux pieds de diamètre et un peu moins d'un pied de profondeur, les bords sont espais de trois doigts ou environ, et si pesant que trois personnes des plus robustes auront peine de le souslever estant par terre, ceste fille qui paroist d'une constitution fort débile entrant dans la chapelle ne fit que prendre ce vase de l'extrémité de ses doigts et l'ayant arraché du pied d'estal sur lequel il estoit posé, le renversa sans dessus dessoubs et le jetta par terre avec autant de facilité qu'elle auroit fait un morceau de carte ou de papier. Ceste force prodigieuse en un sujet si foible surprit tous les assistans; cependant la fille paraissant furieuse et transportée couroit de part et d'autre avec des mouvements si brusques et si impétueux qu'il estoit malaisé de l'arrester. Un des ecclésiastiques présents l'ayant saisy par le bras fut estonné de voir que ce bras, comme s'il n'eust esté attaché à l'espaule que par un ressort, n'empeschoit pas le reste du corps de tourner par dessus et par dessoubs par un certain mouvement que la nature ne souffre pas, ce qu'elle fit sept ou huit fois avec une promptitude et une agilité si extraordinaire qu'il est difficile de se l'imaginer.»
La _Relation des Ursulines possédées d'Auxonne_[1] contient les faits suivants:
[Note 1: Manuscrit de la Bibliothèque de l'Arsenal, n° 90, in-4°.]
«Mons de Chalons ne fut pas plutost à l'autel (à minuit) que dans le jardin du monastère et tout à l'entour de la maison fut ouy dans l'air un bruit confus, accompagné de voix incognues et de certains sifflemens, quelquefois de grands crix, de sons estranges et non articulés comme de plusieurs personnes ensemble, tout cela avoit quelque chose d'affreux parmy les tenebres et dans la nuit. En même temps des pierres furent jettées de divers endroits contre les fenestres du choeur où l'on célébroit la sainte messe, quoique ces fenestres soient fort esloignées des murailles que font la closture du monastere, ce qui fait croire que ne pouvoient pas venir du dehors. La vitre en fut cassée en un endroit mais les pierres ne tomberent point dans le choeur. Ce bruit fut entendu de plusieurs personnes dedans et dehors, celuy qui estoit en sentinelle en la citadelle de la ville de ce costé là, comme il déclara le jour suivant, en prit l'alarme et mons l'evesque de Chalons à l'autel ne peut s'empescher d'en concevoir du soupçon de quelque chose de si extraordinaire qui se passoit en la maison, que les demons ou les sorciers faisoient quelques efforts dans ce moment qu'il repoussoit du lieu où il estoit par de secrettes imprécations et des exorcismes intérieurs.»
«Les religieuses cordelieres en la mesme ville entendirent ce bruit et en demeurèrent effrayées. Elles creurent que leur monastere trembloit soubs leurs pieds et dans ceste consternation et ce bruit confus qu'elles entendirent furent obligées d'avoir recours aux prières.»
«Dans ce mesme temps furent entendues dans le jardin quelques voix faibles comme de personnes qui se plaignoient et sembloient demander du secours. Il estoit près d'une heure après minuit et faisoit fort mauvais temps et fort obscur. Deux ecclésiastiques furent envoyés pour voir que c'estoit et trouvèrent dans le jardin du monastere Marguerite Constance et Denise Lamy, celle-là montée sur un arbre et l'autre couchée au pied du degré pour entrer dans le choeur; elles estoient libres et dans l'usage de leur raison, mais néantmoins comme esperdues, particulièrement la dernière, fort faible et sans couleur et le visage ensanglanté comme une personne effrayée et qui avoit peine à se rassurer; l'autre avoit aussy du sang sur le visage mais elle n'estoit point blessée, les portes de la maison estoient bien fermées et les murailles du jardin élevées de dix ou douze pieds.»
«Le mesme jour après midy mons l'esveque de Chalons ayant dessein d'exorciser Denise Lamy après l'avoir envoyée quérir et n'ayant pas esté rencontrée, il lui commanda intérieurement de le venir trouver en la chappelle de Saincte-Anne où il estoit. Ce fut une chose assez surprenante de voir la prompte obéissance du demon à ce commandement qui n'avoit esté conceu que dans le fonds de la pensée, car environ l'espace d'un quart d'heure après, on entendit frapper impétueusement à la porte de la chappelle, comme une personne extremement pressée, et la porte estant ouverte on vit entrer cette fille brusquement sautant et bondissant dans la chappelle, le visage tout changé et fort différent de son naturel, la couleur haute, les yeux estincelans, un visage effronté et dans une agitation si violente qu'on eut de la peine à l'arrester, ne voulant pas souffrir qu'on mist l'estole à l'entour du corps qu'elle arrachoit et jettait en l'air avec une extrême violence, malgré les efforts de quatre ou cinq ecclésiastiques qui employoient tout ce qu'ils avoient de force et d'industrie pour l'arrester, de sorte qu'il fut proposé de la lier: mais on le jugeoit difficile dans les transports où elle estoit.»
«Une autre fois estant dans le fort de ses agitations... on commanda au démon de faire cesser le poulx en l'un de ses bras, ce qu'il fit incontinent avec moins de résistance et de peine que l'autre fois. On lui commanda ensuite de le faire retourner, et cela fut exécuté à l'instant... Le commandement lui ayant esté fait de rendre la fille absolument insensible à la douleur, elle protesta qu'elle estoit en cet estat, présentant son bras hardiment pour estre percé et brulé comme on voudroit: en effet, l'exorciste rendu plus hardi par les expériences précédentes ayant pris une aiguille assez longue, la lui enfonça tout entière entre l'ongle et la chair dont elle se moquoit tout haut, déclarant qu'elle n'en sentoit rien du tout. Tantost elle faisoit couler le sang et tantost le faisoit cesser selon qu'il lui estoit ordonné, elle-mesme prenoit l'aiguille et le perçoit en divers endroits du bras et de la main. On fit encor davantage: l'un des assistans ayant pris une espingle et lui ayant tiré la peau du bras un peu au-dessus du poignet la lui perça de part en part, de sorte que l'on voyoit l'espingle toute cachée dans le bras en sortir seulement par les deux extrémités, et tout cela sans qu'il en sortist une goutte de sang, sinon après lui avoir commandé d'en donner, et sans monstrer la moindre apparence de sentiment ou de douleur.»
La même relation donne comme preuves de la possession des religieuses d'Auxonne:
«Les grandes agitations du corps qui ne se peuvent concevoir que par ceux qui en sont tesmoins. Ces grands coups de teste qu'elles se donnent de toute leur force tantost contre le pavé, tantost contre les murs, et cela si souvent et si durement qu'il n'est aucun des assistans qui ne frémisse en le voyant sans qu'elles tesmoignent de sentir aucune douleur ny qu'il paroisse ny sang, ny blessure, ny contusion.»
«L'estat du corps dans une posture extremement violente, se tenant droictes sur les genoux, pendant que la teste renversée en arrière penche à un pied près ou environ vers la terre, en sorte qu'il paroist comme tout rompu. Leur facilité de porter la teste estant plus basse par derrière que la ceinture du corps sans bransler des heures entières, leur facilité de respirer en cet estat, l'égalité du visage qui ne change presque point dans ces agitations, l'égalité du poulx, la froideur dans laquelle elles sont pendant ces mouvements, la tranquillité dans laquelle elles demeurent au mesme instant qu'elles en sont revenues subitement sans que la respiration soit plus forte que l'ordinaire, les renversements de la teste en arrière jusque contre terre avec une promptitude merveilleuse. Quelquefois les trente et quarante fois de suite devant et arrière, la fille demeurant à genoux et les bras croisés sur l'estomach quelquefois et dans le mesme estat, la teste renversée tournant à l'entour du corps et faisant comme un demy cercle avec des effets apparemment insupportables à la nature.»
«Les convulsions horribles et universelles par tous les membres accompagnées de hurlemens et de cris. Quelquefois la frayeur sur le visage à la veue de certains fantosmes ou spectres dont elles se disoient estre menacées dans un changement si extraordinaire et des traits si différents de leur naturel qu'elles imprimoient la crainte dans l'âme des assistans, quelquefois avec une abondance de larmes que l'on ne pouvoit arrester, accompagnées de plaintes et de cris aigus. D'autrefois la bouche extraordinairement ouverte, les yeux égarés et la prunelle renversée au point qu'il n'y paroissoit plus que le blanc, tout le reste demeurant caché soubz les paupières mais retournants à leur naturel au simple commandement de l'exorciste assisté du signe de la croix.»
«Souvent on les a veu ramper et se traîner par terre sans aucun secours ou des pieds ou des mains, quelquefois le derrière de la teste ou le devant du front a esté veu se joindre à la plante des pieds, quelques unes couchées par terre qu'elles ne touchent que de l'extrémité de l'estomach, tout le reste du corps, la teste, les pieds et les bras portés en l'air en assez long espace de temps, quelquefois renversées en arrière en sorte que touchans le pavé du haut de la teste ou de la plante des pieds, tout le reste demeuroit en l'air estendu comme une table, elles marchoient en cet estat sans le secours des mains. Il leur est ordinaire de baiser la terre demeurans à genoux, le visage renversé par derrière, en sorte que le sommet de la teste va joindre la plante des pieds, les bras croisés sur la poitrine et dans cette posture faire un signe de la croix avec la langue sur le pavé.»
«On remarque une estrange différence entre l'estat dans lequel elles sont estans libres et dans leur naturel et dans celuy qu'elles font paroistre quand elles sont agitées dans la chaleur du transport et de la fureur: telle qui est infirme tant par la délicatesse de sa complexion et de son sexe que par maladie quand le démon l'a saisie et que l'autorité de l'église l'a forcée de paroistre devient si furieuse dans de certains momens que quatre ou cinq hommes avec toute leur force, sont empeschés à l'arrester; leurs visages mesmes se monstrent si diformes et si différents de leur naturel qu'on ne les reconoist plus et ce qui est de plus estonnant est qu'après des transports et des violences de ceste nature quelquefois pendant trois ou quatre heures après des efforts dont les corps les plus robustes seroient lassés à demeurer au lit plusieurs jours, après des hurlements continuels et des cris capables de rompre un estomach, estans retournés en leur naturel, ce qui se fait en un instant, on les void sans lassitude et sans émotion, l'esprit aussy tranquille, le visage aussy composé, l'haleine aussy lente, le poulx aussy peu altéré que si elles n'avoient pas bougé d'un siege.»
«Mais on peut dire que parmy toutes les marques de possession qui ont paru dans ces filles, une des plus surprenantes et des plus communes aussy parmy elles, est l'intelligence de la pensée et des commandemens intérieurs qui leur sont faits tous les jours par les exorcistes et les prestres, sans que ceste pensée soit manifestée au dehors ou par le discours ou par aucun signe extérieur. Il suffit qu'elle leur soit adressée intérieurement ou mentalement pour leur estre congneue et cela s'est vérifié par tant d'expériences pendant le séjour de mons l'evesque de Chalons, par tous les ecclésiastiques qui ont voulu l'esprouver que l'on ne peut douter raisonnablement de toutes ces particularités et de plusieurs autres, qu'il est impossible de spécifier icy par le détail.»
Plusieurs archevêques ou évêques et docteurs en Sorbonne émirent, à propos de l'affaire d'Auxonne, l'avis suivant:
«Que de toutes ces filles qui sont de différentes conditions il y en a de séculieres, de novices, de postulantes, de professes; il y en a de jeunes; il y en a qui sont âgées; quelques unes sont de la ville, les autres n'en sont pas, quelques sont de bonne condition, d'autres de basse naissance; quelques unes riches, d'autres pauvres et de moindre condition; qu'il y a dix ans ou plus que cette affliction est commencée dans ce monastère; qu'il est malaisé que depuis un si long temps un dessein de fourberie et de friponnerie put conserver le secret parmi des filles en si grand nombre, de conditions et d'intérêts si différents; qu'après une recherche et une enquête plus exacte, le dit seigneur evesque de Chalons n'a trouvé personne, soit dans le monastere, soit dans la ville, qui n'ait parlé avantageusement de l'innocence et de la régularité, tant des filles que des ecclésiastiques qui ont travaillé devant lui aux exorcismes, et qu'il témoigne avoir reconnu de sa part en leurs déportements pour des personnes d'exemples de mérite et de probité, témoignage qu'il croit devoir à la justice et à la vérité.»
«Joint à ce que dessus le certificat du sieur Morel, médecin présent à tout, qui assure que toutes ces choses passent les termes de la nature, et ne peuvent partir que de l'ouvrage du démon; le tout bien considéré nous estimons que toutes ces accusations extraordinaires en des filles excèdent les forces de la nature humaine et ne peuvent partir que de l'opération du démon, possédant et obsédant ces corps.»
VI.
Sabbat
J. Wier[1], qui pense que le sabbat n'existe que dans l'imagination des sorcières, donne la composition de leur onguent.
[Note 1: _Histoires, disputes et discours des illusions et impostures des diables_, p. 165.]
«Elles font bouillir un enfant dans un vaisseau de cuivre et en prennent la gresse qui nage au dessus, et font espessir le dernier bouillon en manière d'un consumé, puis elles serrent cela pour s'en aider à leur usage: elles y meslent du persil de eau, de l'aconite, des fueilles de peuple et de la suie; ou bien elles font en ceste manière: elles mélangent de la berle, de l'acorum vulgaire, de la quintefueille, du sang de chauve-souris, de la morelle endormante et de l'huile: ou bien, si elles font des autres compositions, elles ne sont dissemblables de ceste-cy. Elles oignent avec cet onguent toutes les parties du corps, les ayant auparavant frottées jusques à les faire rougir; à celle fin de attirer la chaleur, et relascher ce qui estoit estrainct par la froidure. Et à celle fin que la chair soit relaschée et que les pertuis du cuir soient ouverts elles y meslent de la gresse ou de l'huile, il n'y a point de doute que ce ne soit à fin que la vertu des sucs descende dedans et qu'elle soit plus forte et puissante. Ainsi pensent-elles être portées de nuict à la clarté de la lune par l'air aux banquets, aux musiques, aux dances et aux embrassements des plus beaux jeunes hommes qu'elles désirent.»
Suivant Delrio[1]:
[Note 1: _Les controverses et recherches magiques de Martin Delrio, etc._ traduit et abrégé du latin, par André du Chesne Tourangeau. Paris, Jean Petitpas, 1611, in-12.]
«Elles y sont portées le plus souvent sur un baston, qu'elles oignent de certain onguent composé de gresse de petits enfans que le diable leur fait homicidier, combien que quelquefois elles s'en frottent aussi les cuisses, ou autres parties du corps. Ainsi frottées elles ont coutume de s'asseoir sur une fourche, baguette, ou manche de ballay, mesme sur un taureau, sur un bouc ou sur un chien... puis mettant le pied sur la cramaillère s'envolent par la cheminée et sont transportées en leurs assemblées diaboliques où bien souvent elles trouvent des feux noirs et horribles tous allumez. Là le démon leur apparoist en forme de bouc ou de chien, lequel elles adorent en diverses postures, tantost pliant les genouils en terre, tantost debout et dos contre dos, tantost brandillants les cuisses contrehaut et renversant la teste en arrière, de sorte que le menton soit porté vers le ciel: voire pour plus grand hommage lui offrent des chandelles noires ou des nombrils de petits enfants et le baisant aux parties honteuses de derrière. Mais quoy pourroit-on écrire sans horreur que quelquefois elles imitent aussi le sacrifice de la saincte messe, l'eau béniste et semblables cérémonies des catholiques par mocquerie et dérision. Elles y présentent en outre leurs enfants au diable, luy dédient de leur semence espandue en terre, et luy apportent aucunes fois la sainte Hostie en leur bouche, laquelle elles foulent à beaux pieds en leur présence.»
Le même auteur[1] explique les banquets et les danses du sabbat:
[Note 1: _Les controverses et recherches magiques de Martin Delrio, etc._, p. 897.]
«Quelquefois elles dansent devant le repas et quelquefois après, ordinairement y a diverses tables, trois ou quatre, chargées quelquefois de morceaux friands et délicats, et quelquefois insipides et grossiers, selon les dignitez et moyens des personnes. Quelquefois elles ont chacune leur démon assis auprès d'elles, et quelquefois elles sont toutes rangées d'un coté et leur démon rangé à l'opposite. Elles n'oublient pas aussi de bénir leurs tables avant le repas, mais avec des paroles remplies de blasphèmes avouant Beelzebub pour créateur et conservateur de toutes choses. Elles luy rendent semblablement action de graces après le repas avec les mêmes blasphèmes. Et il ne faut pas oublier qu'elles assistent à ces banquets aucunes fois à face découverte et d'autres fois masquées ou voilées de quelque linge. Elles dancent peu après dos contre dos et en rond, chacune tenant son démon par les mains, ou bien quelquefois les chandelles ardentes, qu'elles luy avaient offertes en l'allant adorer et baiser. A ces ébats ne manquent aucunes fois le haubois et les ménétriers, si quelquefois elles ne se contentent de chanter à la voix. Finalement après la dance ausquels elles rendent après compte de ce qu'elles ont fait depuis la dernière assemblée, et sont celles là les mieux venues, lesquelles ont commis de plus énormes et de plus exécrables méchancetez. Les autres qui se sont comportez un peu plus humainement sont sifflées et mocquées, mises à l'écart et le plus souvent encore battues et maltraitées de leurs maîtres.»
Delrio[1] décrit la sortie du sabbat et fait connaître à quelle époque il se tient:
[Note 1: _Les controverses et recherches magiques de Martin Delrio, etc._, p. 199.]
«Elles recueillent en dernier lieu des poudres que quelques uns pensent être les cendres du bouc, dont le démon avait pris la figure et lequel elles avoient adoré, subitement consumé par les flames en leur présence, ou reçoivent d'autres poisons, qu'elles cachent pour s'en servir à l'exécution de leurs pernicieux desseins, puis enfin s'en retournent en leurs maisons celles qui sont près à pied, et les plus éloignées en la façon qu'elles y avoient été transportées. J'avois oublié que ces sabbats diaboliques se font le plus souvent environ la minuit, pour ce que Satan fait ordinairement ses efforts pendant les ténèbres: et qu'ils se tiennent encor à divers jours en diverses provinces: en Italie, la nuit d'entre le vendredy et le samedy, en Lorraine les nuits qui précèdent le jeudy et le dimanche et en d'autres lieux, la nuit d'entre le lundy et le mardy.»
Esprit de Bosroger[1] rapporte les aveux de Madeleine Bavan, à propos du sabbat:
[Note 1: _La piété affligée_, p. 389.]
«I. Qu'étant à Rouen dans la maison d'une couturière chés laquelle elle resta l'espace de trois ans elle fut débauchée par un magicien qui en abusa plusieurs, la fit transporter au sabbat avec trois de ses compagnes qu'il avait aussi débauchées: il y célébra la messe avec une chemise gatée de salletés luy appartenant, le dit magicien estant au sabbat, les fit signer dans un régistre d'environ deux mains de papier; Madeleine adjoute qu'elle emporta du sabbat la vilaine chemise de laquelle le magicien s'était servi, et étant de retour la prist sur soy, pendant lequel temps elle se sentit fort portée à l'impudicité jusqu'à ce qu'elle eust quittée par l'ordre d'un sage confesseur cette abominable chemise.»
«II. Madeleine Bavan a dit qu'il ne s'était presque point passé de semaine pendant l'espace de huit mois ou environ, que le magicien ne l'ait menée au sabbat, où une fois entr'autres ayant célébré une exécrable messe, il la maria avec un des principaux diables de l'enfer nommé Dagon qui parut alors en forme d'un jeune homme, et luy donna une bague; ce maudit mariage fait, le dit prétendu jeune homme luy mit la bague dans le doigt, puis se séparèrent chacun de leur costé, avec promesse faite par ce jeune homme qu'il ne seroit pas longtemps sans la revoir, aussy il luy apparut dès le lendemain, comme il a fait quantité de fois pendant plusieurs années, ayant souvent sa compagnie charnelle, qui excepté le plaisir qu'elle ressentoit dans son esprit lui causoit plus de douleur que de volupté, comme elle-mesme l'assure.»
«Madeleine Bavan a dit[1] qu'elle a vu trois ou quatre fois des femmes magiciennes accoucher au sabbat, après la délivrance desquelles on mettait leurs enfans sur l'autel qui y demeuroient pleins de vie pendant la célébration de leur détestable messe, laquelle étant achevée, tous les assistans (entre lesquelles était la dite Bavan) et les mères memes égorgeoient d'un commun consentement ces pauvres petits enfans, qu'ils déchiroient et après que chacun en avoit tiré les principales parties, comme le coeur et autres pour en faire charmes, maléfices et sortilèges; ils mettoient le reste en terre; ausquels égorgements elle a contribué avec Picard et a fait des maléfices des dits enfants qu'elle a rapportés à l'intention générale de celuy qui présidait au sabbat, et comme elle ne sçavoit sur qui les appliquer, elle les bailla aux premiers trouvés du sabbat.»
[Note 1: _La piété affligée_, p. 395.]
«Elle confesse avoir adoré le bouc du sabbat lequel paroist demy homme et demy bouc, lesquelles adorations du bouc se font tousjours à dessein de profaner le très saint sacrement de l'Eucharistie.»
«Elle avoue avoir plusieurs fois adoré d'autres diables, référant ses intentions à celles qu'ont les magiciens en général: celles qu'elle se formoit en particulier n'avoient point d'autre but que la charnalité.»
«Pour revenir aux sorciers et sorcières, quand ils vouloyent faire venir ces esprits à eux, dit Loys Lavater[1], ils s'oignoyent d'un onguent qui faisoit fort dormir; puis se couchoyent au lict, où ils s'endormoyent tant profondément qu'on ne les pouvoit esveiller, ni en les perçant d'aiguilles ni en les brûlant. Pendant qu'ils dormoyent ainsi, les diables leur proposoyent des banquets, des danses, et toutes sortes de passe-temps, par imagination. Mais puisque les diables ont si grande puissance, rien n'empêche qu'ils ne puissent quelquefois prendre les hommes, et les emporter dans quelque forest puis leur faire voir là tels spectacles...»
[Note 1: _Trois livres des apparitions, etc._, p. 297.]
«Il avint un jour que quelqu'un fort adonné à ces choses, fut soudainement emporté hors de sa maison en un lieu fort plaisant, où après avoir veu danser toute la nuict et fait grande chère, au matin tout cela estant esvanouy, il se vit enveloppé dans des épines et halliers fort espais. Mais outre ce qu'ils sont paillards aussi sont-ils fort cruels, car ils entrent es maisons en forme de chiens ou de chats et tuent ou despouillent les petits enfants.»
«Paul Grillaud, Italien qui vivoit l'an 1537, en son premier livre _de Sortilegiis_, tesmoigne, dit Crespet[1], qu'il y eut un pauvre homme sabin demourant près de Rome qui fut persuadé par sa femme de se gresser comme elle de quelques unguens pour estre transporté avec les autres sorciers. Pendant que ce transport se fist par la vertu de la gresse et de quelques paroles qu'on dit, et non pas par la vertu du diable, il se trouva donc au comté de Bénévent soubs un grand noyer, où estoient amassez infinis sorciers qui beuvoient et mangeoient a son advis, et se mit avec eux pour boire et manger; mais ne voyant point de sel sur table, en demanda ne se doubtant que les diables l'ont en horreur et aussitost qu'il eust nommé le nom de Dieu de ce que le sel lui fut apporté disant en son langage: _Laudato sia Dio pur e venuto questo sale_, incontinent tous les diables avec leurs sorciers disparurent, et demoura le pauvre home tout seul, nud comme il estoit et fut contraint de s'en retourner à pied mendiant son pain et vint accuser sa femme qui fut bruslée.»
[Note 1: _De la hayne de Satan pour l'homme_, p. 236.]
«D'après le même[1], Daneau... rend compte d'un procès fait à Genève... à une femme laquelle avoit publiquement confessé estant interrogée, qu'elle avoit souvent assisté au chapitre et assemblée des autres sorciers, tout joignant le chapitre de la grande église dédiée à saint Pierre (mais maintenant le repaire de Sathan où est annoncée sa volonté) et qu'après tous les autres qui là estoient congregez elle avoit adoré le diable en forme de renard roux, qui se faisoit appeler Morguet et déposa qu'on le baisoit par le derrière qui étoit fort froid et sentoit fort mauvais. Où une jeune fille étant arrivée, dédaignant baiser une place tant vilaine et infame, le dict renard se transforma en homme, et luy feit baiser son genoüil qui estoit aussi froid que l'autre lieu, et de son poulce luy imprima au front une marque qui lui causa une grande douleur; tout cela est dans le dit livre imprimé, et ce que s'ensuit à sçavoir, que la ditte femme déposa devant les juges que quand elle vouloit aller à l'assemblée, elle avoit un baston blanc tacheté de rouge, et comme les autres lui avoient appris, elle disoit à ce baston: «Baston blanc rouge, meyne-moi où le diable te commande.»
[Note 1: _De la hayne de Satan pour l'homme_, p. 231.]
«Barth à Spina raconte[1] qu'une jeune fille de Bergame fut trouvée à Venise, laquelle ayant veu lever de nuict sa mère, qui despouillant sa chemise s'estoit ointe, et chevauchant un baston estoit sortie par la fenestre et s'estoit esvanouye, par une curiosité en voulut autant faire, et incontinent elle fut portée au lieu où estoit sa mère arrivée, mais voyant le diable s'imprima le signe de la croix et invoqua le nom de la Vierge Marie, et incontinent elle fut délaissée seule, et se trouva toute nue comme le procès en fut fait d'elle et de sa mère et le tout vérifié.»
[Note 1: Même ouvrage, p. 241.]
«Il allegue un autre exemple d'une autre femme de Ferrare laquelle estant couchée auprès de son mary se leva de nuict pensant qu'il fust bien endormy mais il la contemploit comme elle print de l'onguent dans un vaisseau qu'elle tenoit caché, et aussitost fut enlevée, il se leve et en voulut autant faire, et se trouva incontinent au lieu où estoit sa femme qui estoit en une cave, mais n'ayant le moyen de retourner comme il étoit allé, se trouva seul et appréhendé comme larrons conta l'affaire, accusa sa femme qui fut convaincue et chastiée.»
Goulart[1] rapporte, d'après Baudouain de Roussey[2], le fait suivant:
[Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 178.]
[Note 2: _Épîtres médicinales_.]
«M. Théodore fils de Corneille, jadis consul de la ville de Goude en Hollande m'a récité l'histoire qui s'ensuit l'affirmant très véritable. En un village nommé Ostbrouch près d'Utrect se tenoit une veufve au service de laquelle estoit un quidam s'occupant en ce qui estoit requis pour les affaires de la maison. Icelui ayant prins garde, comme les valets sont curieux encores que ce ne fust comme en passant, que bien avant en la nuict et lorsque tous les domestiques estoyent couchez, cette veufve estoit d'ordinaire en l'estable vers un certain endroit, lors estendant les mains elle empoignoit le rastelier d'icelle estable où l'on met d'ordinaire le foin pour les bestes. Lui s'esbahissant que vouloit dire cela, délibere de faire le mesme au desceu de sa maistresse, et essayer l'effect de telle cérémonie. Ainsi donc tost apres, en suivant sa maistresse qui estoit entrée en l'estable y va et empoigne le rastelier. Tout soudain il se sent enlevé en l'air, et porté en une caverne sous terre, en une villette ou bourgade nommée Wych, où il trouve une synagogue de sorcieres, devisantes ensemble de leurs maléfices. La maistresse estonnée de telle présence non attendue lui demanda par quelle adresse, il s'estoit rendu en telle compagnie. Il lui deschiffre de poinct en poinct ce que dessus. Elle commence à se despiter et courroucer contre lui craignant que telles assemblées nocturnes ne fussent descouvertes. Néantmoins elle fut d'avis de consulter avec ses compagnes ce que seroit de faire en la difficulté qui se présentoit. Finalement elles furent d'avis de recueillir amiablement ce nouveau venu en stipulant de lui promesse expresse de se taire, et de jurer qu'il ne manifesteroit à personne les secrets qui lors luy avoyent esté descouverts contre son opinion et mérite. Ce pauvre corps promet mons et merveilles, flatte les unes et les autres et pour n'estre pas rudement admis en leur synagogue, feint avoir très grande envie d'être delà en avant admis en leur synagogue, s'il leur plaisoit. En ces consultations, l'heure se passe et le temps de déloger aprochoit. Lors se fait une autre consultation à l'instance de la maîtresse sçavoir si pour la conservation de plusieurs, il estoit point expédient d'égorger ce serviteur ou s'il faloit le reporter. D'un commun consentement fut encliné au plus doux avis de le reporter en la maison, puisqu'il avoit presté serment de ne rien déceler. La maistresse prend cette charge et après promesse expresse et réciproque, elle charge ce serviteur sur ses épaules promettant le reporter en sa maison. Mais comme ils eurent fait une partie du chemin, ils descouvrirent un lac plein de joncs et de roseaux. La maistresse rencontrant cette occasion et craignant toujours que ce jeune homme se repentant d'avoir été admis à ces festes d'enfer ne descouvrist ce qu'il avoit veu s'eslance impétueusement et secoue de dessus ses épaules le jeune homme espérant (comme il est à présumer) que ce malavisé perdroit la vie, tant par la violence de sa chute du fort haut, que par son enfondrement en l'eau bourbeuse de ce lac, où il demeureroit enseveli.»
«Mais comme Dieu est infiniment miséricordieux, ne voulant pas permettre la mort du pécheur, ains qu'il se convertisse et vive, il borna les furieux desseins de la sorciere, et ne permit pas que le jeune homme fut noyé, ains lui prolongea la vie, tellement que sa cheute ne fut pas mortelle, car roulant et culbutant en bas il rencontre une touffe espaisse de cannes et roseaux qui rabattirent la violence du coup en telle sorte toutes fois qu'il fut rudement blessé, et n'ayant pour aide que la langue, tout le reste de la nuict, il sentit des douleurs en ce lict de joncs et d'eau bourbeuse.»
«Le jour venu en se lamentant et criant, Dieu voulut que quelques passants estonnez de cette clameur du tout extraordinaire, après avoir diligemment cherché trouverent ce pauvre corps demi transi tout esrené et froissé ayant outre plus les deux cuisses dénouées. Ils s'enquirent d'où il estoit, qui l'avoit mis en tel point et entendant l'histoire précédente après l'avoir tiré de ce misérable gîte le chargerent et firent porter par chariot à Utrect. Le bourgmaistre nommé Jean le Culembourg, gentilhomme vertueux, esmeu et ravi en admiration d'un cas si nouveau, fit soigneuse enqueste du tout, deserna prinse de corps contre la sorciere, et la fit serrer en prison, où elle confessa volontairement, sans torture et de poinct en poinct, tout ce qui s'estoit passé, suppliant qu'on eust pitié d'elle. La conclusion de ce procès, par commun avis de tout le conseil produisit condamnation de mort tellement que ceste femme fut bruslée. Le serviteur ne fut de longtemps après guéri de sa froissure universelle et particulièrement de ses cuisses, chastié devant tous de sa curiosité détestable.»
Bodin[1] rapporte d'après Sylvestre Rieras qu'en Italie, dans la ville de Come, «l'official et l'inquisiteur de la foy, ayans grand nombre de sorcières qu'ils tenoyent en prison, et ne pouvans croire les choses estranges qu'elles disoyent, en voulurent faire la preuve, et se firent mener à la synagogue par l'une des sorcières, et se tenans un peu à l'escart virent toutes les abominations, hommages au diable, danses, copulations. Enfin le diable qui faisoit semblant de ne les avoir pas veu, les batit tant qu'ils en moururent quinze jours après.»
[Note 1: _Démonomanie_, préface.]
«Nous trouvons, dit Bodin[1], au 6e livre de Meyr, qui a escrit fort diligemment l'histoire de Flandres, que l'an 1459 grand nombre d'hommes et femmes, furent brulés en la ville d'Arras accusées les uns par les autres et confessèrent qu'elles estoient la nuit transportées aux danses et puis qu'ils se couplaient avecques les diables qu'ils adoraient en figure humaine.»
[Note 1: _Démonomanie_.]
«Jacques Sprenger et ses quatre compagnons inquisiteurs des sorciers escrivent qu'ils ont fait le procès à une infinité de sorciers en ayant fait exécuter fort grand nombre en Allemagne, et mesmement aux pays de Constance et de Ravenspur l'an 1485 et que toutes generallement sans exception, confessoient que le diable avoit copulation charnelle avec elle après leur avoir fait renoncer Dieu et leur religion.»
«Suivant P. de Lancre[1], Jeannette d'Abadie aagée de seize ans dict, qu'elle a veu hommes et femmes se mesler promiscuement au sabbat. Que le diable leur commandait de s'accoupler et de se joindre, leur baillant à chacun tout ce que la nature abhorre le plus, sçavoir la fille au père, le fils à la mère, la seur au frère, la filleule au parrain, la pénitente à son confesseur, sans distinction d'aage, de qualité ny de parentulle.»
[Note 1: _Tableau des inconstances des mauvais anges_, p. 222.]
«Vers l'année 1670, dit Balthazar Bekker[1], il y eut en Suède, au village de Mohra, dans la province d'Elfdalen, une affaire de sorcellerie qui fit grand bruit. On y envoya des juges. Soixante-dix sorcières furent condamnées à mort; une foule d'autres furent arrêtées, et quinze enfants se trouvèrent mêlés dans ces débats.»
[Note 1: _Le Monde enchanté_, liv. VI, ch. XXIX, d'après les relations originales.]
«On disait que les sorcières se rendaient de nuit dans un carrefour, qu'elles y évoquaient le diable à l'entrée d'une caverne, en disant trois fois:
--«Antesser, viens! et nous porte à Blokula!»
«C'était le lieu enchanté et inconnu du vulgaire, où se faisait le sabbat. Le démon Antesser leur apparaissait sous diverses formes, mais le plus souvent en justaucorps gris, avec des chausses rouges ornées de rubans, des bas bleus, une barbe rousse, un chapeau pointu. Il les emportait à travers les airs à Blokula, aidé d'un nombre suffisant de démons, pour la plupart travestis en chèvres; quelques sorcières, plus hardies, accompagnaient le cortège, à cheval sur des manches à balai. Celles qui menaient des enfants plantaient une pique dans le derrière de leur chèvre; tous les enfants s'y perchaient à califourchon, à la suite de la sorcière, et faisaient le voyage sans encombre.»
«Quand ils sont arrivés à Blokula, ajoute la relation, on leur prépare une fête; ils se donnent au diable, qu'ils jurent de servir; ils se font une piqûre au doigt et signent de leur sang un engagement ou pacte; on les baptise ensuite au nom du diable, qui leur donne des raclures de cloches. Ils les jettent dans l'eau, en disant ces paroles abominables:
--«De même que cette raclure ne retournera jamais aux cloches dont elle est venue, ainsi que mon âme ne puisse jamais entrer dans le ciel.»
«La plus grande séduction que le diable emploie est la bonne chère; et il donne à ces gens un superbe festin, qui se compose d'un potage aux choux et au lard, de bouillie d'avoine, de beurre, de lait et de fromage. Après le repas, ils jouent et se battent; et si le diable est de bonne humeur, il les rosse tous avec une perche, «ensuite de quoi il se met à rire à plein ventre.» D'autres fois il leur joue de la harpe.»
«Les aveux que le tribunal obtint apprirent que les fruits qui naissaient du commerce des sorcières avec les démons étaient des crapauds ou des serpents.
«Des sorcières révélèrent encore cette particularité, qu'elles avaient vu quelquefois le diable malade, et qu'alors il se faisait appliquer des ventouses par les sorciers de la compagnie.»
«Le diable enfin leur donnait des animaux qui les servaient et faisaient leurs commissions, à l'un un corbeau, à l'autre un chat, qu'ils appelaient _emporteur_, parce qu'on l'envoyait voler ce qu'on désirait, et qu'il s'en acquittait habilement. Il leur enseignait à traire le lait par charme, de cette manière: le sorcier plante un couteau dans une muraille, attache à ce couteau un cordon qu'il tire comme le pis d'une vache; et les bestiaux qu'il désigne dans sa pensée sont traits aussitôt jusqu'à épuisement. Ils employaient le même moyen pour nuire à leurs ennemis, qui souffraient des douleurs incroyables pendant tout le temps qu'on tirait le cordon. Ils tuaient même ceux qui leur déplaisaient, en frappant l'air avec un couteau de bois.»
«Sur ces aveux on brûla quelques centaines de sorciers, sans que pour cela il y en eût moins en Suède.»
On ne peut guère évoquer les démons avec sûreté sans s'être placé dans un cercle qui garantisse de leur atteinte, parce que leur premier mouvement serait d'empoigner, si l'on n'y mettait ordre. Voici ce qu'on lit à ce propos dans le _Grimoire du pape Honorius_:
«Les cercles se doivent faire avec du charbon, de l'eau bénite aspergée, ou du bois de la croix bénite... Quand ils seront faits de la sorte, et quelques paroles de l'Évangile écrites autour du cercle, sur le sol, on jettera de l'eau bénite en disant une prière superstitieuse dont nous devons citer quelques mots:--«Alpha, Oméga, Ely, Elohé, Zébahot, Elion, Saday. Voilà le lion qui est vainqueur de la tribu de Juda, racine de David. J'ouvrirai le livre et ses sept signes...»
On récite après la prière quelque formule de conjuration, et les esprits paraissent.
Le _Grand Grimoire_ ajoute «qu'en entrant dans ce cercle il faut n'avoir sur soi aucun métal impur, mais seulement de l'or ou de l'argent, pour jeter la pièce à l'esprit. On plie cette pièce dans un papier blanc, sur lequel on n'a rien écrit; on l'envoie à l'esprit pour l'empêcher de nuire; et, pendant qu'il se baisse pour la ramasser devant le cercle, on prononce la conjuration qui le soumet.»
Le _Dragon rouge_ recommande les mêmes précautions.
Il nous reste à parler des cercles que les sorciers font au sabbat pour leurs danses. On en montre encore dans les campagnes; on les appelle _cercle du sabbat_ ou _cercle des fées_, parce qu'on croyait que les fées traçaient de ces cercles magiques dans leurs danses au clair de la lune. Ils ont quelquefois douze ou quinze toises de diamètre, et contiennent un gazon pelé à la ronde de la largeur d'un pied, avec un gazon vert au milieu. Quelquefois aussi tout le milieu est aride et desséché, et la bordure tapissée d'un gazon vert. Jessorp et Walker, dans les _Transactions philosophiques_, attribuent ce phénomène au tonnerre: ils en donnent pour raison que c'est le plus souvent après des orages qu'on aperçoit ces cercles.
D'autres savants ont prétendu que les cercles magiques étaient l'ouvrage des fourmis, parce qu'on trouve souvent ces insectes qui y travaillent en foule.
On regarde encore aujourd'ui, dans les campagnes peu éclairées, les places arides comme le rond du sabbat. Dans la Lorraine, les traces que forment sur le gazon les tourbillons des vents et les sillons de la foudre passent toujours pour les vestiges de la danse des fées, et les paysans ne s'en approchent qu'avec terreur[1].
[Note 1: Madame Élise Voïart, Notes au livre Ier de la Vierge d'Arduène.]
VII.
Union charnelle avec le Diable. Incubes et Succubes.
«Le bruit commun, dit saint Augustin[1] est, et plusieurs l'ont essayé et encore entendu de ceux la foy desquels ne peut estre révoquée en doute que certains faunes et animaux silvestres appelez du commun incubes ont esté fâcheux et envieux aux femmes, tellement qu'ils ont souvent convoité d'habiter avec elles, et se trouvent certains démons que les François appellent _Dusii_, lesquels s'efforcent tant qu'ils peuvent de cognoistre les femmes et souvent ils accomplissent leur dessein; tellement que de nier cela est un traict d'un homme impudent.»
[Note 1: _Cité de Dieu_, livres XXIII et XIX.]
Crespet[1] rapporte que «Col. Rhodiginus livre II, chap. VI, des _Antiques leçons_, soustient que les diables peuvent habiter avec les femmes, _Daemones foecundos esse femine, et coïre, angelos vero bonos minime_. Et souvent on a trouvé des sorcières es lieux escartés, couchées à la renverse et se remuer comme estans en l'acte vénérien, et aussitost le diable se lever en forme de nuée espaisse et foetide.»
[Note 1: Crespet, _La hayne de Sathan_, p. 296.]
D'après Bodin[1] «Jeanne Herviller, native de Verbery près Compiegne, entre autres choses, confessa que sa mere avoit este condamnée d'estre bruslée toute vive par arrest du parlement, confirmatif de la sentence du juge de Senlis, qu'à l'aage de douze ans sa mère la présenta au diable en forme d'un grand homme noir et vestu de noir, botté, esperonné, avec une espée au costé et un cheval noir à la porte, auquel la mère dit: Voicy ma fille que je vous ay promise, et à la fille: Voicy vostre amy qui vous fera bien heureuse, et dès lors elle renonça à Dieu, à la religion, et puis coucha avec elle charnellement en la mesme sorte et manière que font les hommes avecques les femmes, hormis que la semence estoit froide. Cela, dit-elle, continua tous les quinze jours, mesmes icelle estant couchée près de son mary sans qu'il s'en apperceut. Et un jour le diable luy demanda si elle voulait estre enceinte de lui et elle ne voulut pas.»
[Note 1: _Démonomanie_.]
Merlin passait pour fils du diable. «Je pense, dit Le Loyer[1], que ce n'est point chose tant incroyable qu'il ait esté engendré du diable en une sorcière: car en la mesme isle vers le royaume d'Écosse, au pays de Marrée, y eut une fille qui se trouva grosse du fait du diable. Ce ne fut pas sans donner à penser à ses parents, qui la pouvoit avoir engrossée, parce qu'elle abhorroit les noces et n'avait voulu être mariée. Ils la pressent de dire qui l'avait engrossée: elle confesse, que c'estoit le diable qui couchoit toutes les nuicts avec elle, en forme de beau jeune homme. Les parents ne se contentent pas la responce de la fille, pratiquent sa chambrière qui de nuict les fit entrer dans la chambre avec torches. Ce fut lors qu'ils apperceurent au lict de la fille, un monstre fort horrible n'ayant forme aucune d'homme. Le monstre fait contenance de ne vouloir quitter le lict, et fait on venir le prestre pour l'exorciser. Enfin le monstre sort, mais c'est avec tel tintamarre et fracassement, qu'il brusla les meubles qui estoient en la chambre, et en sortant descouvrit le toict et couverture de la maison. Trois jours après, dict Hectore Boïce, la sorcière engendra un monstre, le plus vilain qui fust oncque né en Écosse, que les sages femmes estoufferent.»
[Note 1: _Discours et histoires des spectres, etc._, p. 315.]
«J'ai leu autrefois, dit le même[1], en Thomas Valsingham, Anglais, que la nuict d'une feste de Pentecote une femme du pays et de la paroisse de Kenghesla du diocèse de Wintchester et doyenné d'Aulton, nommée Jeanne, fut en songe, non tant admonestée, que pressée et sollicitée d'aller trouver un jeune homme qui l'entretenait par amourettes. Elle se mit en chemin dès le lendemain, et estant en la forêt de Wolmer, se présente à elle un démon en la forme de l'amoureux nommé Guillaume, qui l'accoste et jouyt d'elle. Ceste maladie elle pense luy avoir été causée par l'amoureux, qui se justifie et montre qu'il était impossible qu'il fust en la forest en la même heure dont elle se plaignoit et par là fut la vérité du démon incube descouverte. Cela rengrégea encore la maladie de la femme et advint cette merveille. La maison où gisait la femme fut tellement remplie de puanteur que personne n'y pouvoit durer, et trois jours après mourut ayant les lèvres fort livides, le ventre noir et enflé par tout le corps. A toute peine huict hommes la portèrent en terre tant elle pesoit.»
[Note 1: Même ouvrage, p. 340.]
Goulart rapporte cette singulière histoire d'après un personnage, dit-il, très digne de foy: L'an 1602, un gentilhomme françois se trouvant près d'un bois, en voit sortir une fille éplorée et échevelée qui lui demande appui et protection contre des voleurs qui avaient tué sa compagnie et avaient voulu la violer. Le gentilhomme, tirant son épée, prit cette demoiselle en croupe et traversa la forêt sans rencontrer personne. Il l'amena, dans une hôtellerie où elle ne voulut manger ni boire que sur les instances du gentilhomme. Cette demoiselle supplia ensuite son sauveur de la laisser coucher dans la même chambre que lui. Il y consentit après quelques difficultés, et l'on dressa deux lits. Le gentilhomme se coucha dans le sien. «Mais la damoiselle, environ une heure après, se despouilla près de l'autre lict, et comme feignant croire que le gentilhomme dormist, commence à se descouvrir, à se contempler en diverses parties. Le gentilhomme picqué d'infame passion attisée par l'indigne regard d'un masque qui lui paroissoit et sembloit le plus beau qui jamais se fust présenté à ses yeux, se laissa gaigner par l'infame convoitise de son coeur alléché par les redoutables attraits d'un très cauteleux ennemi, mettant le reverence de Dieu et le salut de son ame en oubli, se leve de son lict, s'en va dans celui de la damoiselle qui le receut et passèrent la nuict ensemble. Le matin venu, le pauvre miserable retourne trouver sa couche, et y estant s'endort. La damoiselle se lève et disparoit sans saluer gentilhomme, hoste ni hostesse. Le gentilhomme esveillé la demande, elle ne se trouve point: il l'attend jusques environ midi: lors n'en pouvant avoir de nouvelles il monte à cheval, et poursuit son chemin. A peine estoit-il à demie-lieue de la ville qu'il descouvre au bout d'une raze campagne un cavalier armé de pied en cap, lequel venoit à lui, bride abatue, les armes au poin. Le gentilhomme qui estoit bon soldat l'attend de pied ferme, et repousse vaillamment l'effort de cest ennemi couvert, lequel se retirant un peu à quartier, haussa la visière. Alors le pauvre gentilhomme conut la face de la damoiselle avec laquelle il avoit passé la nuict precedente, lui déclairant lors en termes expres qu'il avoit eu la compagnie du diable, que sa resistance estoit vaine, qu'il ne pouvoit s'en desdire.» Le gentilhomme invoqua l'assistance de Dieu, Satan disparut. Le gentilhomme tournant bride rebroussa vers sa maison où, désolé, se mit au lit, confessa ce qui lui était arrivé devant plusieurs personnes notables, et mourut peu de jours après, espérant à la miséricorde de Dieu.
Guyon[1] rapporte aussi l'histoire de quelques personnes qui ont eu commerce avec le diable:
[Note 1: _Diverses leçons_, t. II, p. 56.]
«Ruoffe en son livre de la _Conception et génération humaine_, tesmoigne que de son temps, une paillarde eut affaire à un esprit malin par une nuict, ayant forme d'homme, et que soudain après le ventre luy enfla, et que pensant estre grosse, elle tomba en une si étrange maladie que toutes ses entrailles tombèrent, sans que par aucun artifice des médecins, elle peust estre guérie.»
«En ce pays de Lymosin, environ l'an 1580, un gentilhomme cadet venant de la chasse du lièvre, à soleil couchant, trouva en son chemin un esprit transformé en une belle femme, cuydant à la vérité qu'elle fust telle: estant alleché par elle à volupté, eut affaire à elle, se sentit saisi soudain d'une si grande chaleur par tout son corps, que dans trois jours après il mourut, et persista de dire jusques à la mort, que ceste chaleur provenoit de ceste copulation et ne resvoit nullement, et que soudain après l'acte venerien ceste femme s'evanoüit.»
«Nous avons veu deux femmes du bourg de Chambaret à sçavoir la mère et la fille, qui disoyent et affermoient le diable avoir eu affaire avec elles par force visiblement et par violence, et leur ventre s'enfla grandement, et les touchay et visitay, et les trouvay telles; l'on les tenoit pour insensées de tenir telles paroles. Elles changerent de lieux, s'en allerent caymandant ailleurs et depuis j'ay entendu qu'elles n'estoyent plus grosses et qu'elles furent deschargées par beaucoup de fumées et ventositez qui sortirent de leurs corps, l'on m'a dit qu'elles estoyent encore en vie.»
Selon Crespet[1], «Hector Boëtius, hystoriographe escossois, sur la fin du livre VIII de son _Hystoire escossoise_, récite que l'an 1486 quelques marchans navigeans d'Escosse en Flandre, se voient à l'improviste assaillis d'une effroyable tempeste qui les environna, de sorte qu'ils pensaient aller au fond de l'Océan. L'air estoit troublé, les nues obscures et espaisses, le soleil avoit perdu sa clarté, dont ils soupçonnèrent qu'il y avoit de la malice de Sathan parmy tant de tourmente, ce que pensoit faire tomber en desespoir ces pauvres gens. Or de malheur en leur navire, il y avoit une femme, laquelle voyant si grand désordre et effroy commença à confesser sa faute et s'accuser, que de longtemps elle avoit souffert un dyable incube qui la venoit parfois vexer et qu'il ne faisoit que partir de sa compagnie, les suppliant qu'ils la jetassent en la mer, car elle se sentoit grandement coupable pour un crime tant horrible et infame. Toutefois, il y eut des gens catholiques au navire, et entre autres un prestre qui la confessa et remit en meilleure espérance devant lequel se prosternant en un lieu escarté pour confesser ses péchés avec une amertume de coeur, souspirs et sanglots, se confiant en la miséricorde de Dieu, et aussistost qu'il luy eust donné l'absolution sacramentale, les assistans veirent lever en l'air du navire une espaisse nuée avec une fadeur et fumée accompagnée de flame qui s'alla jetter en fond, et aussitost la sérénité fut rendue.»
[Note 1: _De la hayne de Sathan_, p. 296.]
«Le même auteur (Boëtius), au mesme livre, cité par Crespet, poursuit encore un autre exemple de la région, Gareotha, d'un jeune adolescent, beau et élégant en perfection, lequel confessa devant son evesque qu'il avoit souvent eu la compagnie d'une jeune fille qui le venoit de nuict chatouiller en son lit, et le baisotoit se supposant à luy, afin qu'il fust eschauffé pour faire l'oeuvre charnel, sans que jamais il peut sçavoir qui elle estoit, ou d'où elle venoit, car les portes et fenestres de sa chambre avoient toujours esté fermées, mais par le conseil des gens doctes il changea de demeure, et à force de prières, confessions, jeunes et autres dévots exercices il fut délivré.»
«J'ay aussi leu, dit Bodin[1], l'extraict des interrogatoires faicts aux sorcieres de Longwy en Potez qui furent aussi bruslées vives que maistre Adrian de Fer, lieutenant général de Laon m'a baillé. J'en mettrai quelques confessions sur ce point.»
[Note 1: _Démonomanie_.]
«Marguerite Bremont, femme de Noel de Lavatet, a dit que lundy dernier après avoir failli elle fut avec Marion sa mère à une assemblée près le moulin Franquis de Longwy en un pré et avoit sa dite mère un ramon entre ses jambes disant: Je ne mettray point les mots, et soudain elles furent transportées toutes deux au lieu où elles trouvèrent Jean Robert, Jeanne Guillemin, Marie femme de Simon d'Agneau et Guillemette femme d'un nommé Legras qui avoient chacun un ramon. Se trouvèrent aussi en ce lieu six diables, qui estoient en forme humaine, mais fort hideux à voir. Que après la danse finie les diables se couchèrent avecque elles, et eurent leur compagnie et l'un d'eux, qui l'avoit menée danser la print et la baisa par deux fois et habita avec elle l'espace de plus d'une demie heure mais délaissa aller sa semence bien froide.»
P. de Lancre[1] répète diverses histoires d'incubes et de succubes:
[Note 1: _Tableau de l'inconstance des mauvais anges_, p. 214.]
«Henry, institeur, et Jaques Spranger, qui furent esleus du pape Innocent VIII pour faire le procès aux sorciers d'Allemagne, racontent que bien souvent ils ont veu des sorcières couchées par terre le ventre en sus, remuant le corps avec la même agitation que celles qui sont en cette sale action, prenant leur plaisir avec ces esprits et démons incubes qui leur sont visibles mais invisibles à tous autres, sauf qu'ils voient après cet abominable accouplement une puante et sale vapeur s'eslever du corps de la sorcière de la grandeur d'un homme: si bien que plusieurs maris jaloux voyant les malins esprits acointer ainsi et cognoistre leurs femmes pensant que ce fussent vrayment des hommes mettoient la main à l'espée, et qu'alors les démons disparoissans ils demeuroient moquez et rudement baffouez par leurs femmes.»
«François Pic de la Mirandole dict avoir cognu un homme de soixante-quinze ans qui s'appeloit Benedeto Berna, lequel par l'espace de quarante ans eut accointance avec un esprit succube qu'il appeloit Harmeline et la conduisoit et menoit quant et luy en forme humaine, en la place et partout et parloit avec elle: de manière que plusieurs l'oyant parler, et ne voyant personne le tenoient pour fol. Et un autre nommé Pinet en tint un l'espace de trente ans sous le nom de Fiorina.»
«Sur quoy est remarquable ce que dict Bodin que les diables ne font paction expresse avec les enfants qui leur sont vouez, s'ils n'ont atteint l'aage de puberté et dict que Jeanne Herviller disposa que sa mère qui l'avait dédiée à Satan si tost qu'elle fut née, ne fut jamais désirée par Satan ny ne s'accoupla avec luy, qu'elle n'eust atteint l'aage de douze ans. Et Magdeleine de la Croix, abbesse de Cordoue, en Espagne, dict de même, que Satan n'eut cognoissance d'elle qu'en ce mesme aage.»
«Or cette opération de luxure n'est commise ou pratiquée par eux pour plaisir qu'ils y prennent, parce que comme simples esprits, ils ne peuvent prendre aucune joye ny plaisir des choses sensibles. Mais ils le font seulement pour faire choir l'homme dans le précipice dans lequel ils sont, qui est la disgrâce de Dieu très haut et très puissant.»
«Johannès d'Aguerre dict que le diable en forme de bouc avoit son membre au derrière et cognoissoit les femmes en agitant et poussant avec iceluy contre leur devant.»
«Marie de Marigrane, aagée de quinze ans, habitante de Biarrix dict, qu'elle a veu souvent le diable s'accoupler avec une infinité de femmes qu'elle nomme par nom et surnom: et que sa coutume est de cognoistre les belles par devant, et les laides au rebours.»
«Toutes les sorcières s'accordent en cela, dit Delrio[1], que la semence qu'elles reçoivent du diable, est froide comme glace, et qu'elle n'apporte aucun plaisir, mais horreur plutost, et par conséquent ne peut être cause d'aucune génération. Je répons que le démon, voulant décevoir la femme souz l'espèce et figure de quelque homme sans qu'elle s'apperçoive qu'il est un démon, imite lors le plus convenablement qu'il peut tout ce qui est requis en l'accouplement de l'homme et de la femme, et par ainsi met-il en peine s'il veut que la génération s'en ensuive (ce qui avient rarement) d'y employer tout ce qui est nécessaire à la génération, cherchant une semence prolifique, qu'il conserve et jette d'une si grande vitesse que les esprits vitaux ne s'évaporent. Mais quand il n'a point d'intention d'engendrer, alors il se sert de je ne sçay quoy de semblable à la semence, chaud toutefois de peur que son imposture ne soit descouverte et tempere aussi le corps qu'il a pris de peur que par son attouchement, il n'apporte de la crainte, de l'horreur ou de l'épouvantement. Au contraire quand ils se couplent avec celles qui n'ignorent pas que ce soit un démon, il jette le plus souvent une semence imaginaire et froide, de laquelle je confesse ingénûment qu'il ne peut rien provenir. Et qui plus est, toutes les sorcières s'accordent en cela, qu'il les interroge si elles conçoivent de ses oeuvres; et si d'aucunes se trouvent qui en aient envie, lors il se sert, comme je l'ay dit, de la vraye semence de l'homme.»
[Note 1: _Les controverses et recherches magiques_, p. 187.]
Les démons, selon Delrio[1], peuvent aussi produire de certains monstres inaccoutumés, tels que celuy qu'on a veu au Brésil, de dix-sept palmes de hauteur, couvert d'un cuir de lésard, ayant des tétins fort gros, les bras de lyon, les yeux étincelans et flamboïans et la langue de même: tels aussi que ceux qui furent pris aux forets de Saxe, en l'an 1240 avec un visage demy humain: si ce n'est par aventure qu'ils fussent nez de l'accouplement de quelques hommes avec des bêtes brutes: qui est la plus certaine origine de la plus part des monstres. Car ainsi jadis Alcippe enfanta-t'elle un éléphant, pendant la guerre Marsique. Ainsi trois femmes ont-elles accouché depuis l'une en Suisse d'un lyon, en l'an 1278, l'autre à Pavie d'un chat en l'an 1271 et l'autre d'un chien en la ville de Bresse. Ainsi encore l'an 1531 une autre femme a-elle enfanté d'une meme ventrée, premièrement un chef d'homme enveloppé d'une taye, par après un serpent à deux pieds et troisièmement un pourceau tout entier... Certainement en ces exemples ci-dessus allégués, je pense qu'il faut dire que c'est le démon, qui souz la figure de telles bestes a engrossé ces femmes.»
[Note 1: _Les controverses et recherches magiques_.]
VIII.
Pacte avec le Diable. Marque des sorciers.
Un auteur anonyme[1] nous a conservé l'engagement pris par Loys Gaufridy envers le diable:
[Note 1: _De la vocation des magiciens et magiciennes, etc._ Paris, Ollivier de Varennes, 1623, in-12.]
«Je, Loys prestre, renonce à tous et à chascun des biens spirituels et corporels, qui me pourroient estre donnez et m'arriver de la part de Dieu, de la Vierge, et de tous les saincts et sainctes: et principalement de la part de Jean Baptiste mon patron, et des saincts apôtres Pierre et Paul et de sainct François. Et à toy, Lucifer, que te voy, et scay estre devant moi, je me donne moy-mesme, avec toutes les bonnes oeuvres que je ferai, excepté la valeur et le fruit des sacrements, au respect de ceux à qui je les administreray, et en cette manière j'ay signé ces choses et les atteste.»
Lucifer prit de son côté à l'égard de Loys Gaufridy l'engagement suivant:
«Je Lucifer, promets sous mon seing, à toy seigneur Loys Gaufridy prestre, de te donner vertu et puissance, d'ensorceler par le soufflement de bouche toutes et chacunes les femmes et les filles que tu désireras: en foy de quoy j'ay signé Lucifer.»
Suivant Bodin[1], «Magdeleine de la Croix, native de Cordoue en Espagne, abbesse d'un monastère, se voyant en suspicion des religieuses, et craignant le feu, si elle estoit accusée, voulut prévenir pour obtenir pardon du pape, et confesse que dès l'âge de douze ans, un malin esprit en forme d'un More noir la sollicita de son honneur auquel elle consentit et continua trente ans et plus, couchant ordinairement avec luy: par le moyen duquel estant dedans l'église elle estoit élevée en haut et quand les religieuses communioient après la consécration l'hostie venoit en l'air jusqu'à elle, au veu des autres religieuses qui la tenoient pour saincte, et le pretre aussi, qui trouvoit alors faute d'une hostie.»
[Note 1: _Démonomanie_.]
«On voit à Molsheim, dit dom Calmet[1], dans la chapelle de saint Ignace en l'église des PP. Jésuites une inscription célèbre qui contient l'histoire d'un jeune gentilhomme allemand, nommé _Michel Louis_, de la famille de _Boubenhoren_, qui ayant été envoyé assez jeune par ses parents à la cour du duc de Lorraine pour apprendre la langue françoise perdit au jeu de cartes tout son argent. Réduit au désespoir il résolut de se livrer au démon, si ce mauvais esprit vouloit ou pouvoit lui donner de bon argent: car il se doutoit qu'il ne lui en fourniroit que de faux et de mauvais. Comme il étoit occupé de cette pensée, tout d'un coup il vit paraître devant lui comme un jeune homme de son âge, bien fait, bien couvert, qui lui ayant demandé le sujet de son inquiétude lui présenta sa main pleine d'argent, et lui dit d'éprouver s'il étoit bon. Il lui dit de le venir retrouver le lendemain. Michel retourne trouver ses compagnons, qui jouoient encore, regagne tout l'argent qu'il avoit perdu, et gagne tout celui de ses compagnons. Puis il revient trouver son démon, qui lui demanda pour récompense trois gouttes de son sang, qu'il reçut dans une coquille de gland: puis offrant une plume à Michel il lui dit d'écrire ce qu'il lui dicteroit. Il lui dicta quelques termes inconnus qu'il fit écrire sur deux billets différens[2] dont l'un demeura au pouvoir du démon et l'autre fut mis dans le bras de Michel au même endroit d'où le démon avoit tiré du sang. Et le démon lui dit: Je m'engage de vous servir pendant sept ans, après lesquels vous m'appartiendrez sans réserve. Le jeune homme y consentit, quoique avec horreur, et le démon ne manquoit pas de lui apparaître jour et nuit sous diverses formes, et de lui inspirer diverses choses inconnues et curieuses, mais toujours tendantes au mal. Le terme fatal des sept années approchoit, et le jeune homme avoit alors environ vingt ans. Il revint chez son père: le démon auquel il s'étoit donné lui inspira d'empoisonner son père et sa mère, de mettre le feu à leur château et de se tuer soi-même. Il essaya de commettre tous ces crimes: Dieu ne permit pas qu'il y réussît, le fusil dont il vouloit se tuer ayant fait faute jusqu'à deux fois, et le venin n'ayant pas opéré sur ses père et mère. Inquiet de plus en plus, il découvrit à quelques domestiques de son père le malheureux état où il se trouvoit, et les pria de lui procurer quelques secours. En ce même temps le démon le saisit, et lui tourna tout le corps en arrière, et peu s'en fallut qu'il ne lui rompit les os. Sa mère qui étoit de l'hérésie de Suenfeld, et qui y avoit engagé son fils, ne trouvant dans sa secte aucun secours contre le démon qui le possedoit ou l'obsedoit, fut contrainte de le mettre entre les mains de quelques religieux. Mais s'en retira bientôt et s'enfuit à l'Islade d'où il fut ramené à Molsheim par son frère, chanoine de Wirsbourg, qui le remit entre les mains des PP. de la Société. Ce fut alors que le démon fit les plus violens efforts contre lui, lui apparoissant sous la forme d'animaux féroces. Un jour entre autres le démon sous la forme d'un homme sauvage et tout velu jetta par terre une cédule ou pacte différent du vrai qu'il avoit extorqué du jeune homme, pour tâcher sous cette fausse apparence de le tirer des mains de ceux qui le gardoient et pour l'empêcher de faire sa confession générale. Enfin on prit jour au 20 octobre 1603, pour se trouver en la chapelle de sainct Ignace, et y faire rapporter la véritable cédule contenant le pacte fait avec le démon. Le jeune homme y fit profession de la foi catholique et orthodoxe, renonça au démon, et reçut la sainte Eucharistie. Alors jettant des cris horribles, il dit qu'il voyoit comme deux boucs d'une grandeur démesurée, qui, ayant les pieds de devant en haut, tenoient entre leurs ongles chacun de leur côté l'une des cédules ou pactes. Mais dès qu'on eût commencé les exorcismes et invoqué le nom de sainct Ignace les deux boucs s'enfuirent, et il sortit du bras ou de la main gauche du jeune homme presque sans douleur et sans laisser de cicatrice, le pacte qui tomba aux pieds de l'exorciste. Il ne manquoit plus que le second pacte qui étoit resté au pouvoir du démon. On recommença les exorcismes, on invoqua sainct Ignace et on promit de dire une messe en l'honneur du sainct: en même temps parut une grande cigogne difforme, mal faite, qui laissa tomber de son bec cette seconde cédule, et on la trouva sur l'autel.»
[Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires, ou les revenans de Hongrie, de Moravie, etc._, par le R.P. dom Augustin Calmet, abbé de Senones. Nouvelle édition, Paris, Debust aîné, 1751, 2 vol. in-12.]
[Note 2: Il y avait en tout dix lettres, la plupart grecques, mais qui ne formeront aucun sens. On les voyoit à Molsheim dans le tableau qui représente ce miracle.]
On parlait beaucoup chez les anciens de certains démons qui se montraient particulièrement vers midi à ceux avec lesquels ils avaient contracté familiarité. Ces démons visitent ceux à qui ils s'attachent, en forme d'hommes ou de bêtes, ou en se laissant enclore en un caractère, chiffre, fiole, ou bien en un anneau vide et creux au dedans. «Ils sont connus, ajoute Leloyer, des magiciens qui s'en servent, et, à mon grand regret, je suis contraint de dire que l'usage n'en est que trop commun[1].»
[Note 1: _Histoire des spectres_, liv. III, ch. IV, p. 198.]
Honsdorf en son _Théâtre es exemples du 8e commandement_, cité par Goulart[1], dit que: «Un docteur en médecine s'oublia si misérablement que de traiter alliance avec l'ennemi de nostre salut, qu'il avoit conjuré et enclos dans un verre d'où ce séducteur et familier esprit lui respondoit. Le médecin estoit heureux es guerisons des malades et amassa force escus en ses pratiques: tellement qu'il laissa à ses enfans la somme de vingt-six mille escus vaillant. Peu de temps avant sa mort, comme il commençoit à penser à sa conscience, il tombe en telle fureur que tout son propos estoit d'invoquer le diable, et vomir des blasphemes horribles contre le Sainct-Esprit. Il rendit l'ame en ce malheureux estat.»
[Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 624.]
Goulart[1] rapporte d'après Alexandre d'Alexandrie[2] l'histoire d'un prisonnier qui, ayant appelé le diable à son secours, avait visité les enfers:
[Note 1: _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 535-538.]
[Note 2: Au livre VI, ch. XXI de ses _Jours géniaux_.]
«Le seigneur d'une villette en la principauté de Sulmona, au royaume de Naples, se monstroit avare et superbe en son gouvernement: de telle sorte que ses pauvres sujets ne pouvoyent subsister, ains estoyent estrangement gourmandez de lui. Un autre homme de bien au reste, mais pauvre et mesprisé, battit rudement pour quelque occasion certain chien de chasse appartenant à ce seigneur, lequel griesvement irrité de la mort de son chien, fit empoigner et emprisonner ce pauvre homme en un cachot. Au bout de quelques jours les gardes qui tenoyent toutes les portes diligemment closes, venans à les ouvrir selon leur coustume, pour lui donner quelque peu de pain, ne trouvèrent point leur prisonnier en son cachot. L'ayans cerché et recerché par tout, sans pouvoir remarquer trace ni apparence quelconque d'evasion, finalement rapportèrent ceste merveille à leur seigneur, qui de prime face s'en mocquoit et les menaçoit, mais entendant puis après la vérité, ne fut pas moins estonné qu'eux. Au bout de trois jours après ceste alarme, toutes les portes des prisons et du cachot fermees comme devant, ce mesme prisonnier, sans le sceu d'aucun, aparut renfermé dedans son precedent cachot, ayant face et contenance d'homme esperdu; lequel requit que sans délai l'on le menast vers ce seigneur, auquel il avoit à dire choses de grande importance. Y ayant esté conduit, il raconte qu'il estoit revenu des enfers. L'occasion avoit esté que ne pouvant plus porter la rigueur de sa prison, vaincu de desespoir, craignant la mort, et destitué de bon conseil il avoit appellé le diable à son aide, à ce qu'il le tirast de ceste captivité. Que tost après le malin en forme hideuse et terrible lui estoit apparu dedans son cachot, où ils avoyent fait accord, suyvant lequel, il avoit esté desferré et tiré non sans griefs tourmens hors de là, puis précipité en des lieux souterrains et merveilleusement creux, comme au fond de la terre, où il avoit veu les cachots des meschans, leurs supplices, tenebres et miseres horribles, des sieges puants et effrayables: des Rois, Princes, et grands Seigeurs, plongez en des abysmes tenebreux: où ils brusloyent au feu ardent en des tourmens indicibles: qu'il avoit veu de Papes, Cardinaux, et autres Prelats magnifiquement vestus, et autres sortes de gens, en divers equipages, affligez de supplices distincts, en des goufres fort profonds, où ils estoyent tourmentez incessamment. Adjoustant qu'il y avoit reconnu plusieurs de sa conoissance, notamment un de ses plus grands amis d'autrefois, lequel l'avoit reconu, et enquis de son estat: le prisonnier lui ayant raconté que leur pays estoit en main d'un rude maistre, l'autre lui enjoignist qu'estant de retour il commandast à ce rude seigneur de renoncer à ses tyranniques déportemens: et déclarast que s'il continuoit sa place estoit marquée en certain siège prochain qu'il monstra au prisonnier. Et afin (dit cest esprit au prisonnier) que le seigneur dont nous parlons adjouste foy à ton rapport, di lui qu'il se souvienne du conseil secret et du propos que nous eusmes ensemble, lors que nous portions les armes en certaine guerre, et sous les chefs qu'il lui nomma. Puis il lui dit par le menu ce secret, leur accord, les paroles et promesses réciproques: lesquelles le prisonnier raconta distinctement les unes après les autres, par leur ordre, à ce seigneur, lequel fut merveilleusement estonné de ce message, s'esbahissant comme il s'estoit peu faire que les choses commises à lui seul et qu'il n'avoit jamais descouvertes à personne, lui fussent deschifrées si hardiment par un pauvre sien sujet, qui les representoit comme s'il les eust leües dedans un livre. On adjouste que le prisonnier s'estant enquis de l'autre avec lequel il devisoit es enfers s'il estoit possible et vrai que tant de gens qu'il voyoit si magnifiquement vestus, sentissent quelques tourmens? L'autre respondit qu'ils estoyent bruslez d'un feu continuel, pressez de tortures et supplices indicibles, et que tout ce parement d'or et d'escarlate n'estoit que feu ardent ainsi coulouré. Que voulant sentir si ainsi estoit, il s'estoit aproché pour toucher ceste escarlate; que l'autre l'avoit exhorté de s'en departir; mais que l'ardeur de feu lui avoit grillé tout le dedans de la main laquelle il monstroit tout rostie, et comme cuite à la braise d'un grand feu. Le pauvre prisonnier ayant esté relasché, paroissoit à ceux qui l'aborderent s'en retournant chez soi comme un homme tout hébété, qui n'oid ni ne void goutte, tousjours pensif, parlant fort peu, et ne respondant presque point aux questions qu'on lui faisoit. Son visage au reste estoit devenu si hideux, son regard tant laid et farouche, apres ce voyage qu'a peine sa femme et ses enfans le reconurent-ils: et le reconoissant, ne fut question que de cris et de larmes, le contemplant ainsi changé. Il ne vescut que fort peu de jours après ce retour, et avec beaucoup de difficulté peut-il pourvoir à ses petites afaires, tant il estoit esperdu.»
Crespet[1] décrit la marque dont Satan frappait les siens:
[Note 1: _De la hayne de Sathan_, p 244.]
«Or afin qu'on cognoisse que ce ne sont point songe il est tout évident, que la marque de Sathan sur les sorciers est comme lépreuse, car pour toute pointure d'alesnes et picqueures, le lieu est insensible, et c'est où on les éprouve vraiment estre sorciers de profession à telle marque car ils ne sentent la pointure non plus que s'ils étaient ladres et n'en sort jamais goutte de sang, voire jamais on ne peut faire jecter l'arme pour tout supplice qu'on leur puisse inférer.»
«Avec ce caractère ils reçoivent la puissance de nuire, de charmer, et en font aussi participans leurs enfans si couvertement ou expressément, ils donnent consentement au serment et alliance que leurs pères ont faictes avec les diables, ou bien de ce que les mères ont soubs cette intention dédié ou consacré leurs enfans aux démons dès qu'ils sont non seulement naiz mais aussi conceuz, et advient souvent que par les ministeres de ces démons quelques sorciers ont esté veu avoir deux prunelles en chaque oeil, et d'autres le pourtraict d'un cheval en l'un, et double prunelle en l'autre. Ce que s'est faict pour servir de marque et caractère de l'alliance faicte avec eux. Car les démons peuvent en graver et effigier sur la cher du tendrelet embrion tels ou semblables lignes et linéamens.»
«Ces marques, disait Jacques Fontaine[1], ne sont pas gravées par le démon sur les corps des sorciers, pour les recognoistre seulement, comme font les capitaines des compagnies de chevaux-légers qui cognoissent ceux qui sont de leur compagnie par la couleur des casaques, mais pour contrefaire le créateur de toutes choses, pour montrer sa superbe, et l'authorité qu'il a acquise sur les misérables humains que se laissent attrapper à ses cautelles et ruses pour le tenir en son service et subjection par la recognoissance des marques de leur maître. Pour les empescher en tant qu'il luy est possible, de se desdire de leurs promesses et serments de fidélité, parce qu'en luy faisan banqueroute, les marques ne demeurent pas moins tousjours sur leurs corps, pour, en cas d'accusation servir de moyen de les perdre à la moindre descouverte qu'il s'en puisse faire.»
[Note 1: _Discours des marques des sorciers et de la réelle possession, etc._, par Jacques Fontaine. Paris, Denis Langlois, 1611, in-12, p. 6.]
«Un accusé nommé Louis Gaufridy, qui venoit d'être condamné au feu... estoit marqué en plus de trente endroits du corps et principalement sur les reins où il avait une marque de luxure si énorme et profonde, esgard au lieu, qu'on y plantoit une esguille jusques à trois doigts de travers sans appercevoir aucun sentiment ny aucune humeur que la picqueure rendit.»
Le même auteur établit que les marques des sorciers sont des parties mortifiées par l'attouchement du doigt du diable.
«Vers 1591, on arrêta comme sorcière une vieille femme de quatre-vingts ans, mendiante en Poitou. Elle se nommait Léonarde Chastenet. Confrontée avec Mathurin Bonnevault, qui soutenait l'avoir vue au sabbat, elle confessa qu'elle y était allée avec son mari; que le diable, qui s'y montrait en forme de bouc, était une bête fort puante. Elle nia qu'elle eût fait aucun maléfice. Cependant elle fut convaincue, par dix-neuf témoins, d'avoir fait mourir cinq laboureurs et plusieurs bestiaux. Quand elle se vit condamnée pour ces crimes reconnus, elle confessa qu'elle avait fait pacte avec le diable, lui avait donné de ses cheveux, et promis de faire tout le mal qu'elle pourrait; elle ajouta que la nuit, dans sa prison, le diable était venu à elle, en forme de chat, «auquel, ayant dit qu'elle voudrait être morte, icelui diable lui avait présenté deux morceaux de cire, lui disant qu'elle en mangeât, et qu'elle mourrait; ce qu'elle n'avait voulu faire. Elle avait ces morceaux de cire; on les visita, et on ne put juger de quelle matière ils étaient composés. Cette sorcière fut donc condamnée, et ces morceaux de cire brûlés avec elle[1].»
[Note 1: _Discours sommaire des sortilèges et vénéfices_, tirés des procès criminels jugés au siège royal de Montmorillon, en Poitou, en l'année 1599, p. 19.]
IX.
Fourberies et méchancetés du Diable.
L'argent qui vient du diable est ordinairement de mauvais aloi. Delrio conte qu'un homme, ayant reçu du démon une bourse pleine d'or, n'y trouva le lendemain que des charbons et du fumier.
Un inconnu, passant par un village, rencontra un jeune homme de quinze ans, d'une figure intéressante et d'un extérieur fort simple. Il lui demanda s'il voulait être riche; le jeune homme ayant répondu qu'il le désirait, l'inconnu lui donna un papier plié, et lui dit qu'il en pourrait faire sortir autant d'or qu'il le souhaiterait, tant qu'il ne le déplierait pas; et que s'il domptait sa curiosité, il connaîtrait avant peu son bienfaiteur. Le jeune homme rentra chez lui, secoua son trésor mystérieux, il en tomba quelques pièces d'or... Mais, n'ayant pu résister à la tentation de l'ouvrir, il y vit des griffes de chat, des ongles d'ours, des pattes de crapaud, et d'autres figures si horribles, qu'il jeta le papier au feu, où il fut une demi-heure sans pouvoir se consumer. Les pièces d'or qu'il en avait tirées disparurent, et il reconnut qu'il avait eu affaire au diable.
Un avare, devenu riche à force d'usures, se sentant à l'article de la mort, pria sa femme de lui apporter sa bourse, afin qu'il pût la voir encore avant de mourir. Quand il la tint, il la serra tendrement, et ordonna qu'on l'enterrât avec lui, parce qu'il trouvait l'idée de s'en séparer déchirante. On ne lui promit rien précisément; et il mourut en contemplant son or. Alors on lui arracha sa bourse des mains, ce qui ne se fit pas sans peine. Mais quelle fut la surprise de la famille assemblée, lorsqu'en ouvrant le sac on y trouva, non plus des pièces d'or, mais deux crapauds!... Le diable était venu, et en emportant l'âme de l'usurier, il avait emporté son or, comme deux choses inséparables et qui n'en faisaient qu'une[1].
[Note 1: Caesarii, _Hist. de morientibus_, cap. XXXIX _Mirac._ lib. II.]
Voici autre chose: Un homme qui n'avait que vingt sous pour toute fortune se mit à vendre du vin aux passants. Pour gagner davantage, il mettait autant d'eau que de vin dans ce qu'il vendait. Au bout d'un certain temps, il amassa, par cette voie injuste, la somme de cent livres. Ayant serré cet argent dans un sac de cuir, il alla avec un de ses amis faire provision de vin pour continuer son trafic; mais, comme il était près d'une rivière, il tira du sac de cuir une pièce de vingt sous pour une petite emplette; il tenait le sac dans la main gauche et la pièce dans la droite; incontinent un oiseau de proie fondit sur lui et lui enleva son sac, qu'il laissa tomber dans la rivière. Le pauvre homme, dont toute la fortune se trouvait ainsi perdue, dit à son compagnon: Dieu est équitable; je n'avais qu'une pièce de vingt sous quand j'ai commencé à voler; il m'a laissé mon bien, et m'a ôté ce que j'avais acquis injustement[1].
[Note 1: Saint Grégoire de Tours, livre des _Miracles_.]
Un étranger bien vêtu, passant au mois de septembre 1606 dans un village de la Franche-Comté, acheta une jument d'un paysan du lieu pour la somme de dix-huit ducatons. Comme il n'en avait que douze dans sa bourse, il laissa une chaîne d'or en gage du reste, qu'il promit de payer à son retour. Le vendeur serra le tout dans du papier, et le lendemain trouva la chaîne disparue, et douze plaques de plomb au lieu des ducatons[1].
[Note 1: Boguet, _Discours des sorciers_.]
«M. Remy, dans sa _Démonolâtrie_[1], parle de plusieurs personnes qu'il a ouïes en jugement en sa qualité de lieutenant général de Lorraine, dans le temps où ce pays fourmilloit de sorciers et de sorcières: ceux d'entre eux qui croyoient avoir reçu de l'argent du démon, ne trouvoient dans leurs bourses que des morceaux de pots cassés et des charbons, ou des feuilles d'arbres, ou d'autres choses aussi viles et aussi méprisables.»
[Note 1: Ch. IV, ann. 1705, cité par dom Calmet, dans le _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 271.]
«Le R.P. Abram, jésuite, dans son Histoire manuscrite de l'Université de Pont-à-Mousson, rapporte, dit dom Calmet[1], qu'un jeune garçon de bonne famille, mais peu accommodé, se mit d'abord à servir dans l'armée parmi les goujats et les valets: de là ses parens le mirent aux écoles, mais ne s'accommodant pas de l'assujettissement que demandent les études, il les quitta, résolu de retourner à son premier genre de vie. En chemin il eut à sa rencontre un homme vêtu d'un habit de soie, mais de mauvaise mine, noir et hideux, qui lui demanda où il alloit, et pourquoi il avoit l'air si triste: Je suis, lui dit cet homme, en état de vous mettre à votre aise, si vous voulez vous donner à moi. Le jeune homme croyant qu'il vouloit l'engager à son service, lui demanda du tems pour y penser; mais commençant à se défier des magnifiques promesses qu'il lui faisoit, il le considéra de plus près, et ayant remarqué qu'il avoit le pied gauche fendu comme celui d'un boeuf, il fut saisi de frayeur, fit le signe de la croix, et invoqua le nom de Jésus; aussitôt le spectre disparut. Trois jours après la même figure lui apparut de nouveau, et lui demanda s'il avoit pris sa résolution: le jeune homme lui répondit qu'il n'avoit pas besoin de maître. Le spectre lui dit: Où allez-vous? Je vais, lui répondit-il, à une telle ville qu'il lui nomma. En même tems, le démon jetta à ses pieds une bourse qui sonnoit, et qui se trouva pleine de trente ou quarante écus de Flandres, entre lesquels il y en avoit environ douze qui paroissoient d'or, nouvellement frappés, et comme sortant de dessous le coin du monnoyeur. Dans la même bourse il y avoit une poudre que le spectre disoit être une poudre très subtile. En même tems il lui donnoit des conseils abominables pour contenter les plus honteuses passions, et l'exhortoit à renoncer à l'usage de l'eau bénite et à l'adoration de l'hostie qu'il nommoit par dérision ce petit gâteau. L'enfant eut horreur de ses propositions, fit le signe de la croix sur son coeur; et en même temps il se sentit si rudement jetté contre terre qu'il y demeura demi mort pendant une demi heure. S'étant relevé, il s'en retourna chez sa mère, fit pénitence et changea de conduite. Les pièces qui paroissoient d'or et nouvellement frappées, ayant été mises au feu, ne se trouvèrent que de cuivre.»
[Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 272.]
Le diable engage quelquefois à faire des oeuvres de piété.
«L'an 1559, dit Bodin[1], le dix-septième jour de décembre, au village de Loen, en la comté de Juilliers, le curé osa bien interroguer le diable, qui tenoit une fille assiégée, si la messe estoit bonne et pourquoy il poussoit et contraignoit la fille d'aller soudain à la messe, quand on sonnoit la cloche. Satan respondit qu'il vouloit y aviser. C'estoit révoquer en doute le fondement de sa religion et en faire juge Satan. Or Jean de Sarisber, en son _Policratic_, livre II, chap. XXVI, parlant de ses beaux interrogatoires, dit: Les malins esprits sont si rusez, qu'ils feignent avec beaucoup de sollicitude qu'ils ne font que par force ce qu'ils font de leur plein gré. On diroit qu'ils sont contraints, et ils font qu'on les tire des lieux où ils sont, en vertu des exorcismes: et afin que l'on n'y prenne garde de si près, ils dressent des exorcismes comme au nom du Seigneur, ou en la foy de la saincte Trinité ou en la vertu de l'incarnation et de la passion, puis les suggèrent aux hommes et obéissent aux exorcistes jusques à tant qu'ils les ayent envelopez avec eux en mesme crime de sacrilège et peine de damnation.»
[Note 1: _Démonomanie_, livre III, ch. dernier.]
«Jean Wier récite, continue Bodin[1], qu'il a veu une fille demoniaque en Alemagne, laquelle interrogée par un exorciste, Satan respondit qu'il faloit que la fille allast en pelerinage à Marcodur, ville eslongnée de quelques lieues, que de trois pas l'un elle s'agenouillast, et fist dire la messe sur l'autel Saincte-Anne, et qu'elle seroit délivrée, predisant le signal de sa delivrance à la fin de la messe. Ce qui fut fait, et sur la fin de la messe, elle et le prestre virent un fantosme blanc, et fut ainsi delivrée.»
[Note 1: _Démonomanie_, livre III, dernier chap.]
«Nous avons vu un autre exemple, dit Bodin[1], de Philippe Woselich, religieux de Cologne en l'abbaye de Kructen, lequel fut assiégé d'un démon, l'an 1550. Le malin esprit interrogué dit à l'exorciste, qu'il estoit l'âme du feu abbé, nommé Mathias de Dure, pource qu'il n'avoit payé le peintre, lequel avoit si bien peint l'image de la Vierge Marie, et que le religieux ne pouvoit estre delivré s'il n'alloit en voyage à Treves et Aix la Chapelle, ce qui fut fait; et le religieux ayant obéi fut délivré.»
[Note 1: _Démonomanie_, livre III, dernier chap.]
Bodin[1] cite encore cette histoire, «notoire aux Parisiens, advenue en la ville de Paris, en la rue Sainct-Honoré, au Cheval rouge. Un passementier avoit atiré sa niepce chez luy la voyant orpheline. Certain jour la fille priant sur la fosse de son père à Sainct-Gervais, Satan se présente à elle seule, en forme d'homme grand et noir, lui prenant la main et disant: M'amie, ne crain point, ton pere et ta mere sont bien. Mais il faut dire quelques messes et aller en voyage à Nostre Dame des Vertus, et ils iront droit en paradis. La fille demande à cet esprit si soigneux du salut des hommes qui il estoit: Il répondit qu'il estoit Satan, et qu'elle ne s'estonna point. La fille fit ce qui lui estoit commandé. Quoy fait il lui dit qu'il faloit aller en voyage à Sainct-Jacques. Elle respondit: Je ne sçaurois aller si loin. Depuis Satan ne cessa de l'importuner, parlant familièrement à elle seule faisant sa besogne, lui disant ces mots: Tu es bien cruelle; elle ne voudroit pas mettre ses cizeaux au sein pour l'amour de moy. Ce qu'elle faisoit pour le contenter et s'en despêcher. Mais cela fait il lui demandoit en don quelque chose, jusques à de ses cheveux, dont elle lui donna un floquet. Quelques jours après il voulut lui persuader de se jetter dedans l'eau, tantost qu'elle s'estranglast, lui mettant au col à ceste fin la corde d'un puits; mais elle cria tellement qu'il ne poursuivit point. Combien que son oncle voulant un jour la revancher fut si bien battu, qu'il demeura malade au lict plus de quatre jours. Une autre fois Satan voulut la forcer et conoistre charnellement, et pour la résistance qu'elle fit, elle fut battue jusques à effusion de sang. Entre plusieurs qui virent cette fille fut un nommé Choinin, secretaire de l'evesque de Valence, lequel lui dit qu'il n'y avoit plus beau moyen de chasser l'esprit qu'en ne lui respondant rien de ce qu'il diroit: encore qu'il commandast de prier Dieu, ce qu'il ne fait jamais qu'en le blasphémant et le conjoignant tousjours avec ses créatures par irrision. De fait Satan voyant que la fille ne lui respondoit rien, ni ne faisoit chose quelconque pour lui la print et la jetta contre terre, et de puis elle ne vid rien. M. Amiot, evesque d'Auxerre et le curé de la fille n'y avoyent sceu remédier.»
[Note 1: Au 3e livre de la _Démonomanie_, cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_.]
Goulart raconte, d'après Hugues Horst[1] que, «l'an 1584 au marquisat de Brandebourg furent veus plus de huict vingts personnes démoniaques qui proferaient choses esmerveillables, conoissoyent et nommoyent ceux qu'ils n'avoyent jamais veus: entre ces personnes on en remarquoit qui longtemps auparavant estoyent décesdez, lesquels cheminoyent criant qu'on se repentist et qu'on quittast les dissolutions en habits, et dénonçoient le jugement de Dieu, avouans qu'il leur estoit recommandé de par le souverain de publier, maugré bongré qu'ils en eussent, qu'on s'amendast et qu'ainsy les pecheurs fussent ramenez au droit chemin. Ces démoniaques faisoyent rage par où ils passoient, vomissoyent une infinité d'outrages contre l'église, ne parloient que d'apparitions de bons et de mauvais anges; le diable se monstroit sous diverses semblances; lorsque le sermon se faisoit au temple, il voloit en l'air avec grand sifflement, et parfois crioit: _Hui, Hui_: semant par les places des esguillettes des pièces de monnoye d'or et d'argent.»
[Note 1: Hugues Horst, _Histoire de la dent d'or de l'enfant silésien_.]
«En la province de Carthagène, dit Goulart[1], quand le malin esprit veut espouvanter ceux du pays, il les menace des huracans[2]. De fait quelques fois il en suscite de si estranges, qu'ils emportent les maisons, desracinent les arbres et renversent (par maniere de dire) les montagnes sans dessus dessous. Oviedo raconte que une fois en passant sur une montagne de la terre ferme des Indes, il vid un terrible mesnage. Cette montagne (dit-il) estoit toute couverte d'arbres grands et petits entassez espais, l'un sur l'autre, l'espace de plus de trois quarts de lieue, et y en avoit beaucoup d'arrachez hors de terre avec toutes leurs racines, qui montoyent autant que tout le reste. Chose si espouvantable que seulement à la voir elle donnoit frayeur à tous ceux qui la regardoyent comme jugeans que c'estoit là plustost une oeuvre diabolique que naturelle.» (_Somm. de l'Inde occidentale_, chapitre II.)
[Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 772.]
[Note 2: Ouragans.]
Érasme rapporte dans ses épîtres cette histoire recueillie par un auteur anonyme[1]:
[Note 1: _Histoires prodigieuses extraictes de plusieurs fameux auteurs_, Paris, Jean de Bordeaux, 1571, 2 vol. in-18, p. 336.]
«Mais cecy est trop plus que véritable que naguère elle (Schiltach à huit lieues de Fribourg) a esté presque toute bruslée l'an 1533, le jeudy avant Pasques, et comme cela est advenu, voicy comme on l'a déposé véritablement devant le magistrat, ainsy que je l'ay ouy réciter à Henry Glaréan: c'est que le diable faisant signe en sifflant en quelque certaine maison, du hault d'icelle, il y eut un hostellier se tenant en icelle qui estimant que ce fut quelque larron, monta en hault mais n'y trouva personne, et soudain il oyt le mesme signe plus hault encore que la première fois, il y remonte, pour suivre, et empoigner le larron s'il le trouvoit par cas d'adventure; mais y estant, il ne voit rien, trop bien entendit-il le sifflet sur le feste de la cheminée: ce qui lui feit penser que c'estoit quelque illusion et ruse diabolique, et pour ce il encouragea les siens et feit appeler les ecclésiastiques: voicy deux prestres arrivez qui font leurs exorcismes et adjurations, il respond et confesse franchement quel il estoit, et enquis à quelle fin il estoit là venu ne faignit de respondre que c'estoit pour brûler toute la susdite ville. Les gens d'église se mirent à l'adjurer, et le menacer, mais il dit qu'il ne craignoit point leurs parolles ny menaces à cause que l'un d'eux estoit paillard et tous les deux larrons. Peu de temps après, il prit et porta sur la cheminée une femme avec laquelle il avoit hanté l'espace de quatorze ans, quoyque tous les ans elle allast à confesse et reçeut le sainct sacrement, à laquelle il mit en main un pot à feu, et luy commande de l'espandre. Cas merveilleux, elle l'espand, et tout sur l'heure, toute la ville fut arse et réduite en cendres, par le fait du diable, s'aidant du ministère de cette sorcière, et laquelle fut depuis aussi bruslée.»
Camerarius[1] ajoute à propos de l'incendie diabolique de Sciltac ou Schiltach que «le feu tomboit çà et là sur les maisons, en forme de boulets enflammez, et quand quelques-uns couroyent pour aider à esteindre l'embrasement chez leurs voisins, on les rappelloit incontinent pour secourir leurs propres maisons. On eut toutes les peines du monde à empescher qu'un chasteau basti de pierre de taille, et assez loin de la ville ne fust consommé de cest embrasement. J'ay entendu les particularitez de cette terrible visitation de la bouche propre du curé du lieu et d'autres habitans dignes de foy, qui avoyent été spectateurs de tout. Le curé me racontoit que ce malin et cruel esprit contrefaisoit au naturel les chants, ramages et mélodies de divers oiseaux. Plusieurs qui me tenoyent compagnie, s'esbahissoyent avec moi de voir que ce curé avoit comme une couronne entour ses longs cheveux qu'il portoit à l'antique, toute de diverses couleurs, et disoit que cela lui avoit esté fait par cest esprit, lequel lui jetta un cercle de tonneau à la teste. Il adjoustoit que le mesme esprit lui demanda un jour et à quelques autres s'ils avoyent jamais ouy crailler un corbeau? Que là dessus cest ennemi avoit crouassé si horriblement que tous tant qu'ils estoyent demeurèrent si esperdus que si ce ramage infernal eust duré tant soit peu plus longtemps, ils fussent tous transsis de peur. Outre plus, ce vieillard affirmoit, non sans rougir, que souventes fois cest ennemi de salut deschifroit à lui et aux autres hommes qui l'accompagnoient, tous les pechez secrets par eux commis, si exactement que tous furent contraints de quiter la place et se retirer en leurs maisons: tant ils estoyent confus.»
[Note 1: Dans ses _Méditations historiques_, ch. LXXIV, cité par Goulart dans son _Thrésor d'histoires admirables_.]
«Un jour, dit Flodoard (historien, né à Épernay en 894, et qui a écrit l'histoire de l'église de Reims), un jour, saint Remi, archevêque de Reims, était absorbé en prières dans une église de sa ville chérie. Il remerciait Dieu d'avoir pu soustraire aux ruses du démon les plus belles âmes de son diocèse, lorsqu'on vint lui annoncer que toute la ville était en feu. Alors la brebis devint lion, la colère monta au visage du saint, qui frappa du pied les dalles de l'église avec une énergie terrible et s'écria: Satan je te reconnais; je n'en ai donc pas encore fini avec ta méchanceté!
«On montre encore aujourd'hui, encastrée dans les pierres du portail occidental de Saint-Remi de Reims, la pierre où sont très visiblement empreintes les traces du pied irrité de saint Remi.
«Le saint s'arma de sa crosse et de sa chape comme un guerrier de son épée et de sa cuirasse, et vola à la rencontre de l'ennemi. A peine eut-il fait quelques pas qu'il aperçut des gerbes de flammes qui dévoraient, avec une furie que rien n'arrêtait, les maisons de bois dont la ville était bâtie et les toits de chaume dont ces maisons étaient couvertes. A la vue du saint, l'incendie sembla pâlir et diminuer. Remi, qui connaissait l'ennemi auquel il avait affaire, fit un signe de croix, et l'incendie recula.
«A mesure que le saint avançait en faisant des signes de croix, l'incendie lâchait prise et fuyait, comme fasciné devant la puissance de l'évêque; on aurait dit un être intelligent et qui comprenait sa faiblesse. Quelquefois il se raidissait; il reprenait courage; il cherchait à cerner le saint dans une enveloppe de feu, à l'aveugler, à le réduire en cendres. Mais toujours un redoutable signe de croix parait les attaques et arrêtait les ruses.
«Forcé de reculer ainsi, de lâcher succcessivement toutes les maisons qu'il avait entamées, l'incendie vint s'abattre aux pieds de l'évêque, comme un animal dompté; il se laissa prendre et conduire à la volonté du saint, hors de la ville, dans les fossés qui fortifient encore Reims. Là, Remi ouvrit une porte, qui donnait dans un souterrain; il y précipita les flammes, comme on jette dans un gouffre un malfaiteur, et fit murer la porte.
«Sous peine d'anathème, sous peine de la ruine du corps et de la mort de l'âme, il défendit d'ouvrir à jamais cette porte. Un imprudent, un curieux, un sceptique peut-être, voulut braver la défense et entr'ouvrir le gouffre. Mais il en sortit des tourbillons de flammes qui le dévorèrent et rentrèrent ensuite d'elles-mêmes dans le trou où la volonté toujours vivante du saint les tenait enchaînées...»
«Voilà bien le démon de l'incendie; voilà bien, comme le fait remarquer M. Guizot, dans la préface de Flodoard qu'il a traduit, une bataille épique, aussi belle que la bataille d'Achille contre le Xante: Le fleuve est un demi-dieu, l'incendie est un démon. C'est aussi beau que dans Homère[1].»
[Note 1: M. Didron, _Histoire du diable_.]
Goulart[1] rapporte, d'après Godelman[2], une histoire qui montre le dangereux fruit des imprécations: «Un gentil-homme ayant convié quelques amis, et l'heure du somptueux festin venuë, se voyant frustré par l'excuse des conviez, entre en cholere, et commence à dire: Puisque nul homme ne daigne estre chez moi, que tous les diables y vienent. Quoy dit, il sort de sa maison, et entre au temple, où le pasteur de l'église preschoit, lequel il escoute assez longtemps et attentivement. Comme il estoit là, voici entrer en la cour du logis des hommes à cheval, de haute petarure tout noirs, qui commandent au valet de ce gentil-homme d'aller dire à son maistre, que ses hostes estoyent arrivez. Le valet tout effrayé court au temple, avertit son maistre, lequel bien estonné demande avis au pasteur. Icelui finissant son sermon conseille qu'on face sortir toute la famille hors du logis. Aussi tost dit, aussi tost executé: mais de haste que ces gens eurent de desloger, ils laissèrent dedans la maison un petit enfant dormant au berceau. Ces hostes, c'est-à-dire les diables, commencent à remuer les tables, à hurler, à regarder par les fenestres, en forme d'ours, de loups, de chats, d'hommes terribles, tenans es pattes des verres pleins de vin, des poissons, de la chair rostie et bouillie. Comme les voisins, le gentilhomme, le pasteur et autres contemployent en grand frayeur un tel spectacle, le pauvre pere commence à crier: Hélas, où est mon enfant! Il avoit encore le dernier mot en la bouche, quand un de ces hostes noirs apporte en ses bras l'enfant aux fenestres et le monstre à tous ceux qui estoyent en rue. Le gentil-homme tout esperdu, se prend à dire à celui de ses serviteurs auquel il se fioit le plus: Mon ami, que feroi-je? Monsieur, répond le serviteur, je remettrai et recommanderai ma vie à Dieu, puis au nom d'icelui j'entrerai dans la maison, d'où moyennant sa faveur et son secours, je vous rapporteray l'enfant. A la bonne heure, dit le maistre, Dieu t'accompagne, t'assiste et fortifie. Le serviteur ayant reçeu la bénédiction du pasteur et d'autres gens de bien qui l'accompagnoyent, entre au logis, et aprochant du poisle où estoyent ces hostes tenebreux, se prosterne à genoux, se recommande à Dieu, puis ouvre la porte, et void les diables en horrible forme, les uns assis, les autres debout, aucuns se pourmenans, autres rampans contre le planché, qui tous accourent à lui crians ensemble: _Hui, hui_, que viens-tu faire ceans? Le serviteur suant de destresse, et neantmoins fortifié de Dieu, s'adresse au malin qui tenoit l'enfant, et lui dit: Ça, baille moy cest enfant. Non feray, répond l'autre: il est mien. Va dire à ton maistre, qu'il viene le recevoir. Le serviteur insiste, et dit: Je fai la charge que Dieu m'a commise, et sçai que tout ce que je fai selon icelle lui est agreable. Pourtant à l'esgard de mon office, au nom, en l'assistance et vertu de Jésus-Christ, je t'arrache et saisi cest enfant, lequel je reporte à son pere. Ce disant, il empoigne l'enfant, puis le serre estroittement en ses bras. Les hostes noirs ne respondent que cris effroyables et ces mots: _Hui_ meschant, _hui_ garnement, laisse, laisse cest enfant: autrement nous te despecerons. Mais lui mesprisant leurs menaces sortit sain et sauf, et rendit l'enfant de mesmes es mains du gentil-homme son père. Quelques jours après tous ces hostes s'esvanouirent, et le gentil-homme devenu sage et bon chrestien, retourna en sa maison.
[Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 290.]
[Note 2: En son traité _De magis, veneficis, etc._, liv. I, ch. I.]
Le diable aime à punir les méchants: Job Fincel[1] rapporte que «l'an 1532, un gentil-homme aleman cruel envers ses sujets, commanda à certain paysan de lui aller querir en la forest prochaine un grand chesne, et le lui amener en sa maison, à peine d'estre rudement chastié. Le paysan tenant cela comme impossible, part en souspirant et larmoyant. Entré dedans la forest, il rencontre un homme (c'estoit l'ennemi) qui lui demande la cause de sa tristesse? A quoy le paysan satisfit, l'autre lui ayant commandé de s'en retourner, promet de donner ordre que le gentil-homme auroit bien tost un chesne. A peine le paysan estoit de retour au village que son homme de la forest jette tout contre la porte du gentil-homme et en travers un des plus gros et grands chesnes qu'on eust peu choisir, avec ses branches et rameaux. Qui plus est cest arbre se rendit dur comme fer tellement qu'il fust impossible de le mettre en pieces, au moyen de quoy le gentil-homme se vid contraint à sa honte, fascherie et dispense de percer sa maison en autre endroit et y faire fenestres et portes nouvelles.»
[Note 1: Cité par Goulart, _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 540.]
On trouve sur le chapitre des malices du diable des légendes bien naïves. Il y avait à Bonn, dit Césaire d'Heisterbach, un prêtre remarquable par sa pureté, sa bonté et sa dévotion. Le diable se plaisait à lui jouer de petits tours de laquais: lorsqu'il lisait son bréviaire, l'esprit malin s'approchait sans se laisser voir, mettait sa griffe sur la leçon du bon curé et l'empêchait de finir; une autre fois il fermait le livre, ou tournait le feuillet à contretemps. Si c'était la nuit, il soufflait la chandelle. Le diable espérait se donner la joie de mettre sa victime en colère; mais le bon prêtre recevait tout cela si bien et résistait si constamment à l'impatience, que l'importun esprit fut obligé de chercher une autre dupe[1].
[Note 1: Caesarii Heisterb. _Miracul._ lib. V, cap. LIII.]
Un historien suisse rapporte qu'un baron de Regensberg s'était retiré dans une tour de son château de Bâle pour s'y adonner avec plus de soin à l'étude de l'Écriture sainte et aux belles-lettres. Le peuple était d'autant plus surpris du choix de cette retraite, que la tour était habitée par un démon. Jusqu'alors le démon n'en avait permis l'entrée à personne; mais le baron était au-dessus d'une telle crainte. Au milieu de ses travaux, le démon lui apparaissait, dit-on, en habit séculier, s'asseyait à ses côtés, lui faisait des questions sur ses recherches, et s'entretenait avec lui de divers objets, sans jamais lui faire aucun mal. L'historien crédule ajoute que, si le baron eût voulu exploiter méthodiquement ce démon, il en eût tiré beaucoup d'éclaircissements utiles[1].
[Note 1: _Dictionnaire d'anecdotes suisses_, p. 82.]
Cassien parle de plusieurs esprits ou démons de la même trempe qui se plaisaient à tromper les passants, à les détourner de leur chemin et à leur indiquer de fausses routes, le tout par malicieux divertissement[1].
[Note 1: Cassiani collat. VII, cap. XXXII.]
Un baladin avait un démon familier, qui jouait avec lui et se plaisait à lui faire des espiègleries. Le matin il le réveillait en tirant les couvertures, quel que froid qu'il fît; et quand le baladin dormait trop profondément, son démon l'emportait hors du lit et le déposait au milieu de la chambre[1].
[Note 1: Guillelmi Parisiensis, partie II, princip., cap. VIII.]
Pline parle de quelques jeunes gens qui furent tondus par le diable. Pendant que ces jeunes gens dormaient, des esprits familiers, vêtus de blanc, entraient dans leurs chambres, se posaient sur leur lit, leur coupaient les cheveux proprement, et s'en allaient après les avoir répandus sur le plancher[1].
[Note 1: Pline, lib. XVI, epist. arg. 7.]
X.
Ensorcelés.
«On tient, dit Goulart[1], d'après Vigenère[2], que si les sorciers guérissent (c'est-à-dire dessorcelent) un homme maleficié, et par eux ou autres leurs compagnons ensorcellé, il faut qu'ils donnent le sort à un autre. Cela est vulgaire par leur confession. De fait, j'ay veu un sorcier d'Auvergne prisonnier à Paris, l'an 1569, qui guerissoit les bestes et les hommes quelquefois: et fut trouvé saisi d'un grand livre, plein de poils de chevaux, vaches et autres bestes, de toutes couleurs. Quand il avoit jeté le sort pour faire mourir quelque cheval, on venoit à lui, et le guerissoit en apportant du poil; puis il donnoit le sort à un autre, et ne prenoit point d'argent; car autrement (comme il disoit) il n'eust pas gueri. Aussi estoit-il habillé d'une vieille saye composée de mille pieces. Un jour ayant donné le sort au cheval d'un gentilhomme, on vint à lui. Il guerit le cheval et donna le sort au palefrenier. On retourne afin qu'il guerist l'homme. Il respond qu'on demandast au gentilhomme lequel il aimoit mieux perdre, son homme ou son cheval. Tandis que le gentilhomme fait de l'empesché et qu'il delibère, son homme mourut, et le sorcier fut pris. Il fait à noter que le diable veut toujours gaigner au change, tellement que si le sorcier oste le sort à un cheval, il le donnera à un autre cheval qui vaudra mieux. S'il guérit une femme, la maladie tombera sur un homme. S'il dessorcelle un vieillard, il ensorcellera un jeune garçon. Et si le sorcier ne donne le sort à un autre il est en danger de sa vie. Brief si le diable guérit (en apparence) le corps, il tue l'ame.»
[Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 826.]
[Note 2: Annotation sur la statue d'Esculape, au 2e volume de _Philostrate_.]
«J'en reciteray quelques exemples, dit Bodin[1]: M. Fournier, conseiller d'Orléans, m'a raconté d'un nommé Hulin Petit, marchand de bois en ceste ville-là, qu'estant ensorcellé à la mort, il envoya querir un qui se disoit guerir de toutes maladies (suspect toutes fois d'estre grand sorcier), pour le guérir: lequel fit response qu'il ne pouvoit le guerir s'il ne donnoit la maladie à son fils, qui estoit encores à la mammelle. Le (malheureux) père consentit au parricide de son fils; qui fait bien à noter pour conoistre la malice de Satan, et la juste fureur du Souverain sur les personnes qui recourent à cest esprit homicide et à ses instrumens. La nourrisse entendant cela s'enfuit avec son fils, pendant que le sorcier touchoit le père pour le guerir. Après l'avoir touché, le père se trouva gueri. Mais le sorcier demandant le fils, et ne le trouvant point, commence à crier: Je suis mort! où est l'enfant? Ne l'ayant point trouvé, il s'en alla; mais il n'eut pas mis les pieds hors la porte que le diable le tua soudain. Il devint aussi noir que si on l'eust noirci de propos délibéré.»
[Note 1: Démonomanie, liv. III, ch. II.]
«J'ay sceu aussi qu'au jugement d'une sorciere, accusée d'avoir ensorcellé sa voisine en la ville de Nantes, les juges lui commanderent de toucher celle qui estoit ensorcellée; chose ordinaire aux juges d'Alemagne, et mesmes en la chambre impériale cela se fait souvent. Elle n'en vouloit rien faire: on la contraignit; elle s'escria: Je suis morte! Ayant touché la femme ensorcellée, soudain elle guerit; et la sorcière tomba roide morte par terre. Elle fut condamnée d'estre bruslée toute morte. Je tiens l'histoire de l'un des juges qui assista au jugement.»
«J'ai aprins à Thoulouse, qu'un escholier du parlement de Bourdeaux voyant son ami travaillé d'une fièvre quarte à l'extrémité, lui conseilla de donner sa fièvre à l'un de ses ennemis. Il fit réponse qu'il n'avoit point d'ennemis. Donnez-la donc, dit-il, à vostre serviteur: de quoy le malade ayant fait conscience, enfin le sorcier lui dit: Donnez-la-moi. Le malade respond: Je le veux bien. La fièvre empoigne le sorcier qui en mourut, et le malade reschappa.»
«C'est aux juges qui commandent, reprend Goulart, d'après Vigenère, et à ceux qui permettent aux sorciers de toucher les personnes ensorcellées, de penser à leurs consciences. Dieu seul guérit, Satan frappe par les sorciers, Dieu le permettant ainsi. Mais Satan ni ses instrumens ne guérissent point: ains par le courroux redoutable du juste juge, levant le baston de dessus un pour charger sur l'autre, soit au corps, soit à l'âme, comme ces exemples le monstrent. Et ainsi font tousjours mal. Comme aussi Bodin adjouste proprement que les sorciers à l'aide de Satan (auquel ils servent d'instrumens volontaires, et qui ont leur mouvement procédant d'une affection dépravée) peuvent nuire et offenser non pas tous, mais seulement ceux que Dieu permet par son jugement secret (soyent bons ou mauvais) pour chastier les uns et esprouver les autres; afin de multiplier en ses esleus sa bénédiction les ayant trouvez (c'est-à-dire rendus par sa grâce tout puissante) fermes et constans. Néantmoins (dit-il) pour monstrer que les sorciers, par leurs maudites execrations et sacrifices detestables, sont ministres de la vengeance de Dieu, prestans la main et la volonté à Satan, je reciteray une histoire estrange. Au duché de Clèves, près du bourg d'Elten, sur le grand chemin, les gens de pied et de cheval estoyent frappez et battus, et les charettes versées: et ne se voyoit autre chose qu'une main qu'on appeloit Ekerken. Enfin l'on print une sorcière nommée Sybille Dinscops, qui demeuroit es environs de ce pays-là. Et depuis qu'elle fut bruslée on n'y a rien veu. Ce fut l'an 1535.»
«Près le village de Baron en Valois fut jetté un bouquet au passage d'un escallier pour entrer d'un mauvais chemin en un champ: si empoisonné mais de sortilège, qu'un chien ayant bondi par-dessus le premier en mourut soudain. Le maistre passa après; et encore que la première furie et vigueur de l'enchantement, pour avoir operé sur cest animal fust aucunement rebouchée, l'homme ne laissa pas pour cela d'entrer en un acces d'ire dont il cuida presque mourir, et en estoit desja en termes, si l'autheur ayant esté pris par soupçon n'eus desfait le charme. Il fut tost apres executé dans Paris et confessa à la mort que si l'autre eust levé le bouquet il fut expiré sur le champ.»
«Je raconteray encore ce que j'ay ouï n'y a pas longtemps raconter à monseigneur le duc de Nivernois et à plus de vingt gentils hommes dignes de foy avoir veu de leurs propres yeux, ce qui advint à Neufvy-sur-Loire, où le sieur et la dame du lieu ayant déposé leur procureur fiscal, tost après une jeune fille qu'ils avoyent de l'aage de quinze à seize ans, se trouva tout à un instant saisie d'une langueur universelle en tous ses membres, si qu'elle sechoit à veue d'oeil, sans que les médecins y peussent non seulement trouver remede d'y donner quelque allegement, mais non pas mesme concevoir aucune occasion apparente d'où pouvoit prevenir ce mal. Estans doncques venus le père et la mère comme au dernier desespoir, il leur va tomber en la fantaisie que ce pourroit estre par avanture quelque vengeance de leur procureur, qui avoit une fort estroite communication et accointance avec un berger d'auprès de Sancerre, le plus grand sorcier de tout le Berry: et sur ce soupçon le firent fort bien mettre en cul de fosse; là où menacé d'infinies tortures, il desbagoula enfin que ceste damoiselle avoit esté ensorcellée par le berger, lequel avoit fait une image de cire: et à mesure qu'il la molestoit la fille se trouvoit molestée de mesme. Enfin ils dirent à la mère: Madame, il n'y a qu'un seul moyen de la guerir, et faut nécessairement que pour la sauver vous vous resolviez de perdre la plus chere chose que vous ayez en ce monde, excepté les créatures raisonnables. En bonne foy, répondit-elle, je vous en diray la pure vérité: il n'y a rien que pour le regard j'aime tant que ma guenon. Mais pour garantir ma fille de la langueur où je la voy, je vous l'abandonne. On ne se donna garde que peu de jours après on vid la fille s'aider d'un bras, et la guenon demeurer percluse de mesme. Consequemment peu à peu dans la revolution de la lune ceste jeune damoiselle fut du tout guerie, fors sa foiblesse, et la guenon mourut en douleurs extremes.»
Suivant Bodin[1], «Hippocrates, au livre _de l'Épilepsie_, qu'il appelle maladie sacrée, escrit qu'il y avoit plusieurs imposteurs qui se vantoyent de guérir du mal caduc, disant que c'estoit la puissance des démons: en fouissant en terre, ou jettant en la mer le sort d'expiation, et la plupart n'estoit que belistres. Enfin il adjouste, il n'y a que Dieu qui efface les pechers, qui soit notre salut et delivrance. Et à ce propos Jacques Spranger, inquisiteur des sorciers, escrit qu'il a veu un evesque d'Alemagne, lequel estant ensorcellé fut averti par une vieille sorcière que sa maladie estoit venue par malice, et qu'il n'y avoit moyen de la guerir que par sort, en faisant mourir la sorcière qui l'avoit ensorcelé. De quoy estant estonné, il envoye en poste à Rome prier le pape Nicolas V qu'il lui donnast dispense de guerir en ceste sorte: ce que le pape lui accorda, aimant uniquement l'evesque; et portoit la dispense ceste clause, pour fuir de deux maux le plus grand. La dispense venue, la sorcière dit, puisque le pape et l'evesque le vouloyent, qu'elle s'y employeroit. Sur la minuict l'evesque recouvra santé; et au mesme instant la sorcière qui avoit ensorcellé l'evesque fut frappée de maladie dont elle mourut. Aussi void-on que Satan fit que le pape, l'evesque et la sorcière furent homicides: et laissa à tous trois une impression de servir et obéir à ses commandemens: et cependant la sorcière qui mourut ne voulut oncques se repentir, au contraire elle se recommandoit à Satan afin qu'il la guerist. On voit aussi le terrible jugement de Dieu qui se venge de ses ennemis par ses ennemis. Car ordinairement les sorciers descouvrent le malefice, et se font mourir les uns les autres: d'autant qu'il ne chaut à Satan par quel moyen, pourveu qu'il vienne à bout du genre humain, en tuant le corps ou l'ame, ou les deux ensemble. Je diray un exemple avenu en Poictou, l'an 1571. Le roy Charles IX ayant disné commanda qu'on lui amenast le sorcier Trois-Eschelles, auquel il avoit donné sa grace pour accuser ses complices. Il confessa devant le roy, enpresence de plusieurs grands seigneurs, la façon du transport des sorciers, des danses, des sacifices faits à Satan, des paillardises avec les diables en figures d'hommes et de femmes: et que chacun prenoit des pouldres pour faire mourir gens, bestes et fruits. Et comme chacun s'estonnoit de ce qu'il disoit, Gaspar de Colligni, lors amiral de France, qui estoit présent, dit qu'on avoit prins en Poictou peu de temps auparavant un jeune garçon accusé d'avoir fait mourir deux gentilshommes. Il confessa qu'il estoit leur serviteur, et que les ayant veu jetter des pouldres aux maisons, et sur des bleds, disant ces mots, Malediction, etc., ayant trouvé de ces pouldres il en print, et en jetta sur le lict où couchoyent les deux gentilshommes, qui furent trouver morts en leur lict, tout enflez, et tout noirs. Il fut absouls par les juges. Trois-Eschelles en raconta lors beaucoup de semblables.»
[Note 1: _Démonomanie_, liv. III, ch. V.]
Le vendredi, 1er mai 1705, à cinq heures du soir, Denis Milanges de la Richardière, fils d'un avocat au parlement de Paris, fut attaqué, à dix-huit ans, de léthargies et de démences si singulières, que les médecins ne surent qu'en dire. On lui donna de l'émétique, et ses parents l'emmenèrent à leur maison de Noisy-le-Grand, où son mal devint plus fort; si bien qu'on déclara qu'il était ensorcelé.
On lui demanda s'il n'avait pas eu de démêlés avec quelque berger; il conta que le 18 avril précédent, comme il traversait à cheval le village de Noisy, son cheval s'était arrêté court dans la rue de Feret, vis-à-vis la chapelle, sans qu'il pût le faire avancer; qu'il avait vu sur ces entrefaites un berger qu'il ne connaissait pas, lequel lui avait dit: Monsieur, retournez chez vous, car votre cheval n'avancera point.
Cet homme, qui lui avait paru âgé d'une cinquantaine d'années, était de haute taille, de mauvaise physionomie, ayant la barbe et les cheveux noirs, la houlette à la main, et deux chiens noirs à courtes oreilles auprès de lui.
Le jeune Milanges se moqua du propos du berger. Cependant il ne put faire avancer son cheval et il fut obligé de le ramener par la bride à la maison, où il tomba malade. Était-ce l'effet de l'impatience et de la colère? ou le sorcier lui avait-il jeté un sort?
M. de la Richardière le père fit mille choses en vain pour la guérison de son fils. Comme un jour ce jeune homme rentrait seul dans sa chambre, il y trouva son vieux berger, assis dans un fauteuil, avec sa houlette et ses deux chiens noirs. Cette vision l'épouvanta; il appela du monde; mais personne que lui ne voyait le sorcier. Il soutint toutefois qu'il le voyait très bien; il ajouta même que ce berger s'appelait _Danis_, quoiqu'il ignorât qui pouvait avoir révélé son nom. Il continua de le voir tout seul. Sur les six heures du soir, il tomba à terre en disant que le berger était sur lui et l'écrasait; et, en présence de tous les assistants, qui ne voyaient rien, il tira de sa poche un couteau pointu, dont il donna cinq ou six coups dans le visage du malheureux par qui il se croyait assailli.
Enfin, au bout de huit semaines de souffrances, il alla à Saint-Maur, avec confiance qu'il guérirait ce jour-là. Il se trouva mal trois fois; mais après la messe, il lui sembla qu'il voyait saint Maur debout, en habit de bénédictin, et le berger à sa gauche, le visage ensanglanté de cinq coups de couteau, sa houlette à la main et ses deux chiens à ses côtés. Il s'écria qu'il était guéri, et il le fut en effet dès ce moment.
Quelques jours après, chassant dans les environs de Noisy, il vit effectivement son berger dans une vigne. Cet aspect lui fit horreur; il donna au sorcier un coup de crosse de fusil sur la tête: Ah! monsieur, vous me tuez! s'écria le berger en fuyant; mais le lendemain il vint trouver M. de la Richardière, se jeta à ses genoux, lui avoua qu'il s'appelait Danis, qu'il était sorcier depuis vingt ans, qu'il lui avait en effet donné le sort dont il avait été affligé, que ce sort devait durer un an; qu'il n'en avait été guéri au bout de huit semaines qu'à la faveur des neuvaines qu'on avait faites; que le maléfice était retombé sur lui Danis, et qu'il se recommandait à sa miséricorde. Puis, comme les archers le poursuivaient, le berger tua ses chiens, jeta sa houlette, changea d'habits, se réfugia à Torcy, fit pénitence et mourut au bout de quelques jours...
Le père Lebrun, qui rapporte[1] longuement cette aventure, pense qu'il peut bien y avoir là sortilège. Il se peut aussi, plus vraisemblablement, qu'il n'y eût qu'hallucination.
[Note 1: _Histoire des pratiques superstitieuses_, t. I, p. 281.]
XI.
Hommes changés en bêtes, Lycanthropes, loup garous.
Suivant Donat de Hautemer[1], cité par Goulart[2]. «il y a des lycanthropes esquels l'humeur melancholique domine tellement qu'ils pensent véritablement estre transmuez en loups. Ceste maladie, comme tesmoigne Aetius au sixiesme livre, chapitre XI et Paulus au troisième livre, chapitre XVI, et autres modernes, est une espece de melancholie, mais estrangement noire et vehemente. Car ceux qui en sont atteints sortent de leurs maisons au mois de fevrier, contrefont les loups presques en toute chose, et toute nuict ne font que courir par les coemetieres et autour des sepulchres, tellement qu'on descouvre incontinent en eux une merveilleuse alteration de cerveau, surtout en l'imagination et pensée misérablement corrompue: en telle sorte que leur memoire a quelque vigueur, comme je l'ay remarqué en un de ces melancholiques lycanthropes que nous appelons loups-garoux. Car lui qui me conoissoit bien, estant un jour saisi de son mal, et me rencontrant, je me tiray à quartier craignant qu'il m'offensast. Lui m'ayant un peu regardé passa outre suivi d'une troupe de gens. Il portait lors sur ses espaules la cuisse entière et la jambe d'un mort. Ayant esté soigneusement medicamenté, il fut gueri de cette maladie. Et me rencontrant une autre fois me demanda si j'avais point eu peur, lorsqu'il me vint à la rencontre en tel endroit: ce qui me fait penser que sa memoire n'estoit point blessée en l'accès et vehemence de son mal, combien que son imagination le fust grandement.
[Note 1: Au IXe chapitre de son _Traicté de la guérison des maladies_.]
[Note 2: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 336.]
«Guillaume de Brabant, au récit de Wier[1] répété par Goulart[2], a escrit en son _Histoire_ qu'un homme de sens et entendement rassis, fut toutes fois tellement travaillé du malin esprit, qu'en certaine saison de l'année il pensoit estre un loup ravissant, couroit çà et là dedans les bois, cavernes et deserts, surtout après les petits enfants: mesmes il dit que cest homme fut souvent trouvé courant par les déserts comme un homme hors du sens, et qu'enfin par la grâce de Dieu il revint à soy et fut guéri. Il y eust aussi, comme récite Job Fincel au IIe livre _des Miracles_, un villageois près de Paule l'an mil cinq cens quarante et un, lequel pensoit estre loup, et assaillit plusieurs hommes par les champs: en tua quelques-uns. Enfin, prins et non sans grande difficulté, il asseura fermement qu'il estoit loup, et qu'il n'y avoit autre différence, sinon que les loups ordinairement estoyent velus dehors et lui l'estoit entre cuir et chair. Quelques-uns trop inhumains et loups par effect, voulans expérimenter la vérité du faict, lui firent plusieurs taillades sur les bras et sur les jambes, puis conoissans leur faute, et l'innocence de ce melancholique, le commirent aux chirurgiens pour le penser, entre les mains desquels il mourut quelques jours après. Les affligez de telle maladie sont pasles, ont les yeux enfoncez et haves, ne voyent que malaisément, ont la langue fort seiche, sont alterez et sans salive en bouche. Pline et autres escrivent que la cervelle d'ours esmeut des imaginations bestiales. Mesme il se dit que l'on en fit manger de nostre temps à un gentil-homme espagnol, lequel en eut la fantaisie tellement troublée, que pensant estre transformé en ours, il s'enfuit dans les montagnes et deserts.»
[Note 1: En son IVe livre _Des prestiges_, ch. XXIII.]
[Note 2: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 336.]
«Quant aux lycanthropes, qui ont tellement l'imagination blessée, dit Goulart[1], qu'outre plus que par quelque particularité efficace de Satan, ils apparoissent loups et non hommes à ceux qui les voyent courir et faire divers dommages, Bodin soustient que le diable peut changer la figure d'un corps en autre, veu la puissance grande que Dieu lui donne en ce monde élémentaire. Il veut donc qu'il y ait des lycanthropes transformez réellement et de fait d'hommes en loups, alléguant divers exemples et histoires à ce propos. Enfin après plusieurs disputes, il maintient l'une et l'autre sorte de lycanthropie. Et quant à celle-ci, represente tout à la fin de ce chapitre le sommaire de son propos, à sçavoir, que les hommes sont quelquefois transmuez en beste, demeurant la forme et la raison humaine: soit que cela se fasse par la puissance de Dieu immédiatement, soit qu'il donne ceste puissance à Satan, exécuteur de sa volonté, ou plustost de ses redoutables jugements. Et si nous confessons (dit-il) la vérité de l'histoire sacrée en Daniel, touchant la transformation de Nabuchodonosor, et de l'histoire de la femme de Lot changée en pierre immobile, il est certain que le changement d'homme en boeuf ou en pierre est possible: et par conséquent possible en tous autres animaux.»
[Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 338.]
G. Peucer[1] dit en parlant de la lycanthropie: «Quant est de moy j'ay autresfois estimé fabuleux et ridicule ce que l'on m'a souvent conté de cette transformation d'hommes en loups: mais j'ay aprins par certains et éprouvez indices et par tesmoins dignes de foy que ce ne sont choses du tout controverses et incroyables, attendu ce qu'ils disent de telles transformations qui arrivent tous les ans douze jours après Noel en Livonie et les pays limitrophes: comme ils l'ont sceu au vray par les confessions de ceux qui ont été emprisonnez et tourmentez pour tels forfaits. Voicy comme ils disent que cela se fait. Incontinent apres que le jour de Noel est passé, un garçon boiteux va par pays appeler ces esclaves du diable, qui sont en grand nombre, et leur enjoint de s'acheminer après luy. S'ils different ou retardent, incontinent vient un grand homme avec un fouet fait de chaînettes de fer, dont il se hate bien d'aller, et quelquefois estrille si rudement ces misérables, que long-temps après les marques du fouet demeurent et font grande douleur à ceux qui ont esté frappez. Incontinent qu'ils sont en chemin les voilà tous changez et transformez en loups... Ils se trouvent par milliers, ayans pour conducteur ce porte-fouet après lequel ils marchent, s'estimans estre devenus loups. Estans en campagne, ils se ruent sur les troupeaux de bestail qui se trouvent, deschirent et emportent ce qu'ils peuvent, font plusieurs autres dommages; mais il ne leur est point permis de toucher ni blesser les personnes. Quand ils approchent des rivières, leur guide fend les eaux avec son fouet tellement qu'elles semblent s'entr'ouvrir et laisser un entre deux pour passer à sec. Au bout de douze jours toute la troupe s'escarte, et chascun retourne en sa maison ayant despoullé la forme de loup et reprins celle d'homme. Cette transformation se fait, disent-ils, en ceste sorte. Les transformez tombent soudain par terre comme gens sujets au mal caduc, et demeurent estendus comme morts et privez de tout sentiment, et ils ne bougent de là ni ne vont en lieu quelconque, ni ne sont aucunement transformez en loups, ains ressemblent à des charongnes, car quoy qu'on les roule et secoue ils ne montrent aucune apparence quelconque de vie.»
[Note 1: _Les Devins_, p. 198.]
Bodin[1] rapporte en effet plusieurs cas de lycanthropie et d'hommes changés en bêtes.
[Note 1: _Démonomanie_.]
«Pierre Mamot, en un petit traicté qu'il a fait des sorciers, dit avoir veu ce changement d'hommes en loups, luy estant en Savoye. Et Henry de Cologne au traicté qu'il a fait _de Lamiis_ tient cela pour indubitable. Et Ulrich le meusnier en un petit livre qu'il a dédié à l'empereur Sigismond, escrit la dispute qui fut faite devant l'empereur et dit qu'il fut conclu par vive raison et par l'expérience d'infinis exemples que telle transformation estoit véritable, et dit luy-mesme avoir veu un lycanthrope à Constance, qui fut accusé, convaincu, condamné et puis exécuté à mort après sa confession. Et se trouvent plusieurs livres publiez en Allemagne que l'un des plus grands rois de la chrétienté, qui est mort n'a pas longtemps, et qui estoit en réputation d'être l'un des plus grands sorciers du monde souvent estoit mué en loup.»
«Il me souvient que le procureur général du roy Bourdin m'en a récité un autre qu'on luy avoit envoyé du bas pays, avec tout le procès signé du juge et des greffiers, d'un loup qui fut frappé d'un traict dans la cuisse, et depuis se trouve dans son lict avec le traict, qui luy fut arraché estant rechangé en forme d'homme et le traict cogneu par celuy qui l'avoit tiré, le temps et le lieu justifié par la confession du personnage.»
«Garnier jugé et condamné par le parlement de Dole estant en forme de loup-garou print une jeune fille de l'aage de dix à douze ans près le bois de la Serre, en une vigne, au vignoble de Chastenoy près Dole un quart de lieue, et illec l'avoit tuée, et occise tant avec ses mains semblans pattes, qu'avec ses dents, et mangé la chair des cuisses et bras d'icelle, et en avoit porté à sa femme. Et pour avoir en mesme forme un mois après pris une autre fille et icelle tuée pour la manger s'il n'eust esté empéché par trois personnes comme il l'a confessé; et quinze jours après avoir estranglé un jeune enfant de dix ans au vignoble de Gredisans et mangé la chair des cuisses, jambes et ventre d'iceluy, et pour avoir en forme d'homme et non de loup tué un autre garçon de l'aage de douze à treze ans au bois du village de Porouse en intention de le manger, si on ne l'eust empesché, il fut condamné à estre brûlé vif et l'arrêt exécuté.»
«Au Parlement de Bezançon, les accusés estoient Pierre Burgot et Michel Verdun qui confessèrent avoir renoncé à Dieu et juré de servir le diable. Et Michel Verdun mena Burgot au bord du Chastel Charlon, où chacun avoit une chandelle de cire verde qui faisoit la flamme bleue et obscure et faisoient les danses et sacrifices au diable. Puis après s'estans oincts furent retournez en loups courant d'une legereté incroyable, puis ils s'estoyent changez en hommes et soudain rechangez en loups et couplez avec louves avec tel plaisir qu'ils avoient accoutumé avec les femmes; ils confessèrent aussi à sçavoir: Burgot avoir tué un jeune garçon de sept ans avec ses pattes et dents de loup et qu'il le vouloit manger, n'eust esté les paysans luy donnèrent la chasse... Et que tous deux avoient mangé quatre jeunes filles; et qu'en touchant d'une poudre ils faisoient mourir les personnes.»
«Job Fincel, au livre XI des _Merveilles_ écrit qu'il y avoit à Padoue un lycanthrope qui fut attrappé et ses pattes de loup luy furent coupées, et au mesme instant il se trouva les bras et les piez coupez. Cela est pour confirmer le procès fait aux sorciers de Vernon (an 1556), qui fréquentaient et s'assembloient ordinairement en un chastel vieil et ancien en guise de nombre infini de chats. Il se trouva quatre ou cinq hommes qui résolurent d'y demeurer la nuict, où ils se trouvèrent assaillis de la multitude de chats; et l'un des hommes y fut tué, les autres bien marquez, et néanmoins blessèrent plusieurs chats qui se trouvèrent après mués, enfermés et bien blessés. Et d'autant que cela semblait incroyable, la procédure fut délaissée.»
«Mais les cinq inquisiteurs qui estoient expérimentez en telles causes ont laissé par écrit qu'il y eut trois sorciers près Strasbourg qui assaillirent un laboureur en guise de trois grands chats, et en se défendant il blessa et chassa les chats, qui se trouvèrent au lit malade en forme de femmes fort blessées à l'instant même: et sur ce enquises elles accusèrent celuy qui les avoit frappées, qui dit aux juges l'heure et le lieu qu'il avoit été assailly de chats, et qu'il les avoit blessés.»
Guyon[1] rapporte l'histoire d'un enchanteur qui se changeait en différentes bêtes:
[Note 1: _Les diverses leçons_.]
«Aucuns persuadèrent, dit-il, à Ferdinand, empereur premier de ce nom, de faire venir devant lui un enchanteur et magicien polonais en la ville de Numbourg, pour s'informer quelle yssue auroit le different qu'il avoit avec le Turc, touchant le royaume de Hongrie, et que non seulement il usoit de divination, mais aussi faisoit beaucoup de choses merveilleuses, et combien que ledit sieur Roy ne le vouloit voir, si est-ce que ses courtizans l'introduirent dans sa chambre, où il fit beaucoup de choses admirables, entre autres, il se transformoit en cheval, s'estanz oing de quelque graisse, puis en forme de boeuf, et tiercement en lyon, tout en moins d'une heure, dont ledit empereur eut si grande frayeur, qu'il commanda qu'on le chassât, et ne voulut onc s'enquerir de ce maraud des choses futures.»
«Il ne faut plus douter, ajoute le même auteur[1], si Lucius Apuleius Platonic auroit été sorcier, et s'il auroit esté transformé en asne, d'autant qu'il en fut tiré en justice par devant le proconsul d'Affrique, du temps de l'empereur Antonin premier, l'an de J.-C. 150, comme Appoloine Tiance, longtemps avant luy, soubz Domitian, l'an 60, fut aussi actionné pour mesme fait. Et plus de trois ans après ce bruit persista jusqu'au temps de sainct Augustin qui estoit africain, qui l'a escrit et confirmé; comme aussi de son temps le père d'un Prestantius fut transmué en cheval, ainsi que ledit l'assura audit sainct Augustin... Son père estant décédé, il despendit en peu de temps la plus grande partie de ses biens, usant des arts magiques, et pour fuir la pauvreté pourchassa de se marier avec Pudentille, femme veufve et riche d'Oer, fort longtemps, et y persista tant qu'elle acquiesça. Bientôt après mourut un fils unique héritier qu'elle avoit eu de son autre mary. Ces choses passées en ceste façon firent conjecturer qu'il avoit par art magique séduit Pudentille, que plusieurs illustres personnes n'avoyent pu faire condescendre à se marier, pour parvenir aux biens du susdit fils. On disoit aussi que le grand et profond sçavoir qui estoit en luy, pour les grandes et difficiles questions qu'il résolvoit ordinairement passoit le commun des autres hommes, pour ce qu'il avoit un démon ou diable familier. Plus, on lui avoit vu faire beaucoup de choses admirables, comme se rendre invisible, autres fois se transformer en cheval ou en oyseau, se percer le corps d'une espée, sans se blesser, et plusieurs autres choses semblables. Il fut en fin accusé par un Sicilius Aemilianus, censeur, devant Claude Maxime, proconsul d'Affrique, qu'on disoit estre chrestien: on ne trouve point de condamnation contre luy. Or qu'il aye esté transformé en asne, sainct Augustin le tient pour tout asseuré, l'ayant lu dans certains autheurs véritables et dignes d'estre creuz, aussi qu'il estoit du mesme pays: et ceste transformation lui advint en Thessalie avant qu'il fust versé en la magie, par une sorcière qui le vendit, laquelle le recouvra après qu'il eut servi de son mestier d'asne quelques ans, ayant les mesmes forces et façons de manger et braire que les autres asnes, l'ame raisonnable neantmoins demeura entière et saine, comme luy-mesme atteste. Et à fin de couvrir son fait parce que le bruit estoit tel et vraysemblable, il en a composé un livre qu'il a intitulé l'_Asne d'or_, entremeslé de beaucoup de fables et discours, pour démonstrer les vices des hommes de son temps, qu'il avoit ouy lire ou veu faire, durant sa transformation, avec plusieurs de ses travaux et peines qu'il souffrit durant sa métamorphose.»
[Note 1: _Les diverses leçons_.]
«Quoy qu'il puisse estre, ledit sainct Augustin, au livre de la _Cité de Dieu_, livre XVIII, chap. XVII et XVIII, récite que de son temps, il y avoit es Alpes certaines femmes sorcières qui donnoyent à manger de certain formage aux passants et soudainement estoyent transformez en asnes ou en autres bestes de sommes, et leur faisoyent porter des charges jusqu'à certains lieux; ce qu'ayant exécuté, leur rendoyent la forme humaine.»
«L'évesque de Tyr, historien, escrit que de son temps, qui pouvoit estre 1220, il y eut quelques Anglois que leur Roy envoyoit au secours des Chrestiens qui guerroyoient en la terre saincte, qui estans arrivez en une havre de l'isle de Cypre, une femme sorcière transmua un jeune soldat anglois en asne, lequel voulant retourner vers ses compagnons dans le navire fut chassé à coups de baston, lequel s'en retourna à la sorcière, qui s'en servit jusqu'à ce qu'on s'apperceut que l'asne s'agenouilla dans une Église, faisant choses qui ne pouvoyent partir que d'un animal raisonnable, et par suspicion la sorcière qui le suivoit estant prise par authorité de justice, le restitua en forme humaine trois ans après sa transformation, laquelle fut sur le champ exécutée à mort.»
«Nous lisons, reprend Loys Guyon[1] qu'Ammonius, philosophe peripateticien, avoit ordinairement à ses leçons et lors qu'il enseignoit un asne, qui estoit du temps de Lucius Septimius Severus, empereur, l'an de J.-C. 196. Je penseroy bien que cest asne eust esté autrefois homme, et qu'il comprenait bien ce que ledit Ammonius enseignoit, car ces personnes transformées, la raison leur demeure comme l'asseure le dit sainct Augustin et plusieurs autres auteurs.»
[Note 1: _Diverses leçons_, t. I, p. 426.]
«Fulgose escrit, livre VIII, chap. II, que du temps du pape Léon, qui vivoit l'an 930, il y avoit en Allemagne deux sorcières hostesses qui avoyent accoustumé de changer ainsi quelques fois leurs hostes en bestes, et comme une fois elles changèrent un jeune garçon basteleur en asne, qui donnoit mille plaisirs aux passans, n'ayant point perdu la raison, leur voisin l'acheta bien cher, mais elles dirent à l'acheteur qu'elles ne le luy garantiraient pas et qu'il le perdoit s'il alloit à la rivière. Or l'asne s'estant un jour eschappé, courant au lac prochain où s'étant plongé en l'eau, retourna en sa figure. Nostre Apuleius dit qu'il reprint sa forme humaine pour avoir mangé des roses.»
«On voit encore aujourd'huy en Egypte des asnes qu'aucuns mènent en la place publique lesquels font plusieurs tours d'agilité, et des singeries, entendans tout ce qu'on leur commande, et l'exécutent: comme de monstrer la plus belle femme de la compagnie, ce qu'ils font, et plusieurs austres choses qu'on ne voudroit croire: ainsi que le récite Belon, medecin, en ses observations, qu'il a veus et d'autres aussi, qui y ont esté, qui me l'ont affirmé de mesme.»
«On amena un jour à sainct Macaire l'Egyptien, dit dom Calmet[1], une honnête femme qui avoit été métamorphosée en cavalle par l'art pernicieux d'un magicien. Son mari et tous ceux qui la virent crurent qu'elle étoit réellement changée en jument. Cette femme demeura trois jours et trois nuits sans prendre aucune nourriture, ni propre à l'homme, ni propre à un cheval. On la fit voir aux prêtres du lieu, qui ne purent y apporter aucun remède. On la mena à la cellule de sainct Macaire, à qui Dieu avoit révelé qu'elle devoit venir. Ses disciples vouloient la renvoyer, croyant que c'étoit une cavalle, ils avertirent le saint de son arrivée, et du sujet de son voyage. Il leur dit: Vous êtes de vrais animaux, qui croyez voir ce qui n'est point; cette femme n'est point changée, mais vos yeux sont fascinés. En même temps, il répandit de l'eau bénite sur la tête de cette femme, et tous les assistants la virent dans son premier état. Il lui fit donner à manger, et la renvoya saine et sauve avec son mari. En la renvoyant, il lui dit: Ne vous éloignez point de l'église, car ceci vous est arrivé, pour avoir été cinq semaines sans vous approcher des sacremens de notre Sauveur.»
[Note 1: _Traité des apparitions des esprits_, t. I, p. 102.]
XII.
Sortilèges.
On appelle sortilèges ou maléfices toutes pratiques superstitieuses employées dans le dessein de nuire aux hommes, aux animaux ou aux fruits de la terre. On appelle encore maléfices les malapies et autres accidents malheureux causés par un art infernal et qui ne peuvent s'enlever que par un pouvoir surnaturel.
Il y a sept principales sortes de maléfices employés par les sorciers: 1° ils mettent dans le coeur une passion criminelle; 2° ils inspirent des sentiments de haine ou d'envie à une personne contre une autre; 3° ils jettent des ligatures; 4° ils donnent des maladies; 5° ils font mourir les gens; 6° ils ôtent l'usage de la raison: 7° ils nuisent dans les biens et appauvrissent leurs ennemis. Les anciens se préservaient des maléfices à venir en crachant dans leur sein.
En Allemagne, quand une sorcière avait rendu un homme ou un cheval impotent et maléficié, on prenait les boyaux d'un autre homme ou d'un cheval mort, on les traînait jusqu'à quelque logis, sans entrer par la porte commune, mais par le soupirail de la cave, ou par-dessous terre, et on y brûlait ces intestins. Alors la sorcière qui avait jeté le maléfice sentait dans les entrailles une violente douleur, et s'en allait droit à la maison où l'on brûlait les intestins pour y prendre un charbon ardent, ce qui faisait cesser le mal. Si on ne lui ouvrait promptement la porte, la maison se remplissait de ténèbres avec un tonnerre effroyable, et ceux qui étaient dedans étaient contraints d'ouvrir pour conserver leur vie[1]. Les sorciers, en ôtant un sort ou maléfice, sont obligés de le donner à quelque chose de plus considérable que l'être ou l'objet à qui ils l'ôtent: sinon, le maléfice retombe sur eux. Mais un sorcier ne peut ôter un maléfice s'il est entre les mains de la justice: il faut pour cela qu'il soit pleinement libre.
[Note l: Bodin, _Démonomanie_.]
On a regardé souvent les épidémies comme des maléfices. Les sorciers, disait-on, mettent quelquefois, sous le seuil de la bergerie ou de l'étable qu'ils veulent ruiner, une touffe de cheveux, ou un crapaud, avec trois maudissons, pour faire mourir étiques les moutons et les bestiaux qui passent dessus: on n'arrête le mal qu'en ôtant le maléfice. De Lancre dit qu'un boulanger de Limoges, voulant faire du pain blanc suivant sa coutume, sa pâte fut tellement charmée et maléficiée par une sorcière qu'il fit du pain noir, insipide et infect.
Une magicienne ou sorcière, pour gagner le coeur d'un jeune homme marié, mit sous son lit, dans un pot bien bouché, un crapaud qui avait les yeux fermés; le jeune homme quitta sa femme et ses enfants pour s'attacher à la sorcière; mais la femme trouva le maléfice, le fit brûler, et son mari revint à elle[1].
[Note 1: Delrio, _Disquisitions magiques_.]
Un pauvre jeune homme ayant quitté ses sabots pour monter à une échelle, une sorcière y mit quelque poison sans qu'il s'en aperçut, et le jeune homme, en descendant, s'étant donné une entorse, fut boiteux toute sa vie[1].
[Note 1: De Lancre, _De l'inconstance, etc._]
Une femme ensorcelée devint si grasse, dit Delrio, que c'était une boule dont on ne voyait plus le visage, ce qui ne laissait pas d'être considérable. De plus, on entendait dans ses entrailles le même bruit que font les poules, les coqs, les canards, les moutons, les boeufs, les chiens, les cochons et les chevaux, de façon qu'on aurait pu la prendre pour une basse-cour ambulante.
Une sorcière avait rendu un maçon impotent et tellement courbé, qu'il avait presque la tête entre les jambes. Il accusa la sorcière du maléfice qu'il éprouvait; on l'arrêta, et le juge lui dit qu'elle ne se sauverait qu'en guérissant le maçon. Elle se fit apporter par sa fille un petit paquet de sa maison, et, après avoir adoré le diable, la face en terre, en marmottant quelques charmes, elle donna le paquet au maçon, lui commanda de se baigner et de le mettre dans son bain, en disant: _Va de par le diable_! Le maçon le fit, et guérit. Avant de mettre le paquet dans le bain, on voulut savoir ce qu'il contenait: on y trouva trois petits lézards vifs; et quand le maçon fut dans le bain, il sentit sous lui comme trois grosses carpes, qu'on chercha un moment après sans rien trouver[1].
[Note 1: Bodin, _Démonomanie_.]
Les sorciers mettent parfois le diable dans des noix, et les donnent aux petits enfants, qui deviennent maléficiés. Un de nos démonographes (c'est, je pense, Boguet) rapporte que, dans je ne sais quelle ville, un sorcier avait mis sur le parapet d'un pont une pomme maléficiée, pour un de ses ennemis, qui était gourmand de tout ce qu'il pouvait trouver sans desserrer la bourse. Heureusement le sorcier fut aperçu par des gens expérimentés, qui défendirent prudemment à qui que ce fût d'oser porter la main à la pomme, sous peine d'avaler le diable. Il fallait pourtant l'ôter, à moins qu'on ne voulût lui donner des gardes. On fut longtemps à délibérer, sans trouver aucun moyen de s'en défaire; enfin il se présenta un champion qui, muni d'une perche, s'avança à une distance de la pomme et la poussa dans la rivière, où étant tombée, on en vit sortir plusieurs petits diables en forme de poissons. Les spectateurs prirent des pierres et les jetèrent à la tête de ces petits démons, qui ne se montrèrent plus...
Boguet conte encore qu'une jeune fille ensorcelée rendit de petits lézards, lesquels s'envolèrent par un trou qui se fit au plancher.
«Il faut bien prendre garde, dit Bodin[1], à la distinction des sortilèges, pour juger l'énormité d'entre les sorciers qui ont convention expresse avec le diable et ceux qui usent de ligatures et autres arts de sortilèges. Car il y en a qui ne se peuvent oster ni punir par les magistrats, comme la superstition de plusieurs personnes de ne filer par les champs, la crainte de saigner de la narine senestre, ou de rencontrer une femme enceinte devant disné. Mais la superstition est bien plus grande de porter des rouleaux de papier pendus au col ou l'hostie consacrée en sa pochette; comme faisoit le président Gentil, lequel fut trouvé saisi d'une hostie par le bourreau qui le pendit à Montfaucon; et autres superstitions semblables que l'Ecriture Saincte appelle abominations et train d'Amorrhéens. Cela ne se peut corriger que par la parole de Dieu: mais bien le magistrat doit chastier les charlatans et porteurs de billets qui vendent ces fumées là et les bannir du pays. Car s'il est ainsi que les empereurs payens ayant banni ceux qui faisoyent choses qui donnent l'espouvante aux ames superstitieuses, que doyvent faire les chrestiens envers ceux là, ou qui contrefont les esprits comme on fit à Orléans et à Berne? Il n'y a doute que ceux là ne méritassent la mort comme aussi ceux de Berne furent exécutez à mort: et en cas pareil de faire pleurer les crucifix ainsi qu'on fit à Muret, près Thoulouse, et en Picardie, et en la ville d'Orleans à Saint-Pierre des Puilliers. Mais quelque poursuite qu'on ait fait, cela est demeuré impuni. Or c'est double impiété en la personne des prestres. Et ceste impiété est beaucoup plus grande quand le prestre a paction avec Satan et qu'il fait d'un sacrifice une sorcellerie detestable. Car tous les théologiens demeurent d'accord que le prestre ne consacre point s'il n'a intention de consacrer, encore qu'il prononce les mots sacramentaux.
[Note 1: _Démonomanie_, livr. IV, ch. IV.]
De fait, il y eut un curé de Sainct-Jean-le-Petit à Lyon, lequel fut bruslé vif l'an 1558 pour avoir dit, ce que depuis il confessa en jugement qu'il ne consacroit point l'hostie quand il chantoit messe, pour faire damner les paroissiens, comme il disoit, à cause d'un procès qu'il avoit contre eux... Il s'est trouvé en infinis procès que les sorciers bien souvent sont prestres, ou qu'ils ont intelligence avec les prestres: et par argent ou par faveurs, ils sont induits à dire des messes pour les sorciers, et les accommodent d'hosties, ou bien ils consacrent du parchemin vierge, ou bien ils mettent des aneaux, lames characterisées, ou autres choses semblables sur l'autel, ou dessous les linges: comme il s'est trouvé souvent. Et n'a pas longtemps qu'on y a surprint un curé, lequel a évadé, ayant bon garant, qui lui avoit baillé un aneau pour mettre sous les linges de l'autel quand il disoit messe.»
«D'après dom Calmet[1], Aeneas Sylvius Piccolomini, qui fut depuis pape sous le nom de Pie II, écrit dans son _Histoire de Bohême_ qu'une femme prédit à un soldat du roi Wladislas que l'armée de ce prince seroit taillée en pièces par le duc de Bohême; que si le soldat vouloit éviter la mort, il falloit qu'il tuât la première personne qu'il rencontreroit en chemin, qu'il lui coupât les oreilles et les mît dans sa poche; qu'avec l'épée dont il l'auroit percée, il traçât sur terre une croix entre les jambes de son cheval, qu'il la baisât, et que montant sur son cheval, il prit la fuite. Le jeune homme exécuta tout cela. Wladislas livra la bataille, la perdit et fut tué: le jeune soldat se sauva; mais entrant dans sa maison, il trouva que c'étoit, sa femme qu'il avoit tuée et percée de son épée, et à qui il avoit coupé les oreilles.»
[Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 100.]
Dom Calmet[1] nous apprend d'après Frédéric Hoffmann[2] que «Une bouchère de la ville de Jenes, dans le duché de Weimar en Thuringe ayant refusé de donner une tête de veau à une vieille femme, qui n'en offroit presque rien, cette vieille se retira, grondant et murmurant entre ses dents. Peu de tems après, la bouchère sentit de grandes douleurs de tête. Comme la cause de cette maladie étoit inconnue aux plus habiles médecins, ils ne purent y apporter aucun remède; cette femme rendoit de tems en tems par l'oreille gauche de la cervelle, que l'on prit d'abord pour sa propre cervelle. Mais comme elle soupçonnait cette vieille de lui avoir donné un sort à l'occasion de la tête de veau, on examina la chose de plus près, et on reconnut que c'étoit de la cervelle de veau; et l'on se fortifia dans cette pensée, en voyant des osselets de la tête de veau, qui sortoient avec la cervelle. Ce mal dura assez longtems, et enfin la femme du boucher guérit parfaitement. Cela arriva en 1685.»
[Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 101.]
[Note 2: _De Diaboli potentia in corpora_, 1736, p. 382.]
Bodin a escrit livre II, chap. III, de la _Démonomanie_, dit Guyon[1], que le sieur Nouilles, abbé de l'Isle, et depuis evesque de Dax, ambassadeur à Constantinople, dit qu'un gentilhomme polonois, nommé Pruiski, qui a esté ambassadeur en France, luy dit que l'un des grands roys de la chrestienté, voulant sçavoir l'yssue de son estat, fit venir un prestre necromantien et enchanteur, lequel dit la messe, et après avoir consacré l'hostie, trancha la teste à un jeune enfant de dix ans, premier né, qui estoit préparé pour cest effet, et fit mettre sa teste sur l'hostie, puis disant certaines paroles, et usant de caractères qu'il n'est besoin sçavoir, demanda ce qu'il vouloit. La teste ne respondit que ces deux mots: _Vim patior_ en latin: c'est à dire j'endure violence. Et aussitost le roy entra en furie, criant sans fin: Ostez-moi ceste teste, et mourut ainsi enragé. Depuis que ces choses furent escrites, j'ay demandé audit sieur de Dax si ce que Bodin avoit escrit de luy estoit vray, lequel m'asseura qu'ouy, mais quel roy c'estoit, il ne le me voulut jamais dire.»
[Note 1: _Les diverses leçons de Loys Guyon_, t. I, p. 735.]
P. Leloyer[1] rappelle encore l'histoire d'une autre tête qui parla après la séparation du corps, dont Pline fait mention. «En la guerre de Sicile entre Octave César qui depuis fut surnommé Auguste et Sextus Pompeius fils de Pompée le Grand, y eut, dit-il, un des gens d'Octave appelé Gabinius qui fut prins des ennemis, et eut la teste coupée par le commandement de Sextus Pompeius, de sorte qu'elle ne tenoit plus qu'un petit à la peau. Il est oüy sur le soir qu'il se plaignoit et désiroit parler à quelqu'un. Aussitost une grande multitude s'assemble autour du corps; il prie ceux qui estoient venus de faire parler à Pompée et qu'il estoit venu des enfers pour luy dire chose qui luy importoit. Cela est rapporté à Pompée, il n'y veut aller et y envoye quelqu'un de ses familiers, ausquels Gabinius dit que les dieux d'en bas recevoient les justes complaintes de Pompée et qu'il auroit toute telle issue qu'il souhaitoit. En signe de vérité, il dit qu'il devoit aussitost retomber mort qu'il auroit accomply son message. Cela advint et Gabinius tomba à l'heure tout mort comme devant.» Il faut, du reste, noter que la prédiction de Gabinius ne se réalisa pas.
[Note 1: _Discours et histoires des spectres_, p. 259.]
L. Du Vair[1] raconte que les Biarmes, peuples septentrionaux fort voisins du pole arctique, estans un jour tout prêts de combattre contre un tres puissant roy nommé Regner commencerent à s'adresser au ciel avec beaux carmes enchantez et firent tant qu'ils solliciterent les nues à les secourir, et les contraignirent jusqu'à verser une grande violence et quantité de pluie qu'ils firent venir tout à coup sur leurs ennemis. Quant est de commander aux orages et aux vents, Olaüs affirme que Henry, roy de Suece, qui avait le bruit d'être le premier de son temps en l'art magique estoit si familier avec les démons et les avoit tellement à son commandement, que, de quelque costé qu'il tournast son chapeau, tout aussitost le vent qu'il désiroit venait à souffler et halener de cette part-là, et pour cet effet son chappeau fut nommé de tous ceux de la contrée le _chappeau venteux_.»
[Note 1: _Trois livres des charmes, sorcelages, etc._, p. 304.]
D'après Jean des Caurres[1]: «Olaus le Grand escrit[2] plusieurs moyens d'enchantemens spéciaux et observez par les septentrionaux en ces paroles: L'on trouvoit ordinairement des sorciers et magiciens entre les Botniques, peuples septentrionaux, comme si en ceste contrée eust esté leur propre habitation, lesquels avoient apprins de desguiser leurs faces, et celles d'autruy, par plusieurs representations de choses, au moyen de la grande adresse qu'ils avoient à tromper et charmer les yeux. Ils avoient aussi apprins d'obscurcir les véritables regards par les trompeuses figures. Et non seulement les luicteurs, mais aussi les femmes et jeunes pucelles, ont accoustumé selon leur souhait, d'emprunter leur subtile et ténue substance de l'air, pour se faire comme des masques horrides, et pleins d'une ordure plombeuse, ou bien pour faire paroistre leurs faces distinguées par une couleur pasle et contrefaite, lesquelles après elles deschargent, à la clarté du temps serain, de ces ténébreuses substances qui y sont attachées, et par ce moyen elles chassent la vapeur qui les recouvroit. Il appert aussi qu'il y avoit si grande vertu en leurs charmes, qu'il sembloit qu'elles eussent pouvoir d'attirer du lieu le plus distant, et se rendre visibles à elles seules et toucher une chose la plus esloignée: voire et eust elle esté arrestée et garrottée par mille liens[3]. Or font-elles demonstrance de ces choses par telles impostures. Lors qu'elles ont envie de sçavoir de l'estat de leurs amis ou ennemis absents en lointaines contrées, a deux cens ou quatre cens lieues, elles s'adressent vers Lappon, ou Finnon, grand docteur en cest art: et apres qu'elles luy ont fait quelques presens d'une robbe de lin, ou d'un arc, elles le prient experimenter en quel pays peuvent estre leurs amis ou ennemis, et que c'est qu'ils font. Parquoy il entre dedans le conclave, accompagné seulement de sa femme et d'un sien compagnon; puis il frappe avec un marteau dessus une grenouille d'airain, ou sur un serpent estendu sur une enclume, et luy baille autant de coups qu'il est ordonné: puis en barbotant quelques charmes, il les retourne çà et là, et incontinent il tombe en extase, et est ravy, et demeure couché peu de temps, comme s'il estoit mort. Ce temps pendant il est gardé diligemment par son compaignon de crainte qu'aucune pulce ou mousche vivante, ou autre animal ne le touche. Car par le pouvoir des charmes, son esprit, qui est guidé et conduit par le diable, rapporte un anneau, ou un cousteau, ou quelque autre chose semblable, en signe et pour tesmoignage qu'il a faist ce qui lui estoit commandé: et alors se relevant, il déclare à son conducteur les mesmes signes, avec les circonstances.»
[Note 1: _Oeuvres morales et diversifiées_, p. 394.]
[Note 2: Livre III, ch. XXXIX de l'_Histoire des peuples septentrionaux_.]
[Note 3: Saxon le grammairien, au commencement de l'_Histoire de Danemark_.]
«Le mesme auteur, au chapitre XVIII du troisième livre _Des vents venaux_, escrit le miracle qui ensuit. Les Finnons avoient quelque-fois accoustumé, entre les autres erreurs de leur race, de vendre un vent à ceux qui negocioient en leurs havres, lorsqu'ils estoient empeschez par la contraire tempeste des vents. Après doncques qu'on leur avoit baillé le payement, ils donnoient trois noeuds magiques aux acheteurs, et les advertissoient qu'en desnouant le premier ils avoient les vents amiables et doux: et en desnouant le second, ils les avoient plus forts: et là où ils desnoueroient le troisième il leur surviendroit une telle tempeste, qu'ils ne pourroient jouyr à leur aise de leur vaisseau, ny jeter l'oeil hors la proue, pour éviter les rochers, ny asseurer le pied en la navire, pour abbatre les voiles, ny mesmes l'asseurer en la poupe pour manier le gouvernail.»
«J'ai ouï raconter plusieurs fois, à un bon et docte personnage, dit Goulart[1], qu'estant jeune escholier à Thoulouse, il fut par deux fois voyager es monts Pyrénées. Qu'en ces deux voyages il advint et vid ce qui s'ensuit. En une croupe fort haute et spacieuse de ces monts, se trouve une forme d'autel fort antique, sur quelques pierres duquel sont gravez certains charactères de forme estrange. Autour et non loin de cest autel se trouverent lors d'iceux voyages des pastres et rustiques, lesquels exhorterent et prierent ce personnage et plusieurs autres, tant escholiers que de diverses conditions, de ne toucher nullement cest autel. Enquis pourquoy ils faisoyent cette instance, respondirent qu'il n'importoit d'en approcher pour le voir et regarder de près tant que l'on voudroit: mais de l'attouchement s'ensuivoyent merveilleux changemens en l'air. Il faisoit fort beau en tous les deux voyages. Mais au premier se trouva un moine en la compagnie, qui se riant de l'advertissement de ces pastres, dit qu'il vouloit essayer que c'estoit de cest enchantement: et tandis que les autres amusoyent ces rustiques, approche de l'autel et le touche comme il voulut. Soudain le ciel s'obscurcit, les tonnerres grondent: le moine et tous les autres gaignent au pied, mais avant qu'ils eussent atteint le bas de la montagne, après plusieurs esclats de foudre et d'orages effroyables, ils furent moüillez jusques à la peau, poursuivis au reste par les pastres à coups de cailloux et de frondes. Au second voyage le mesme fut attenté par un escholier avec mesmes effects de foudres, orages et ravines d'eaux les plus estranges qu'il est possible de penser.»
[Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 776.]
Selon Dom Calmet[1], «Spranger _in mallio maleficorum_ raconte qu'en Souabe un paysan avec sa petite fille âgée d'environ huit ans, étant allé visiter ses champs, se plaignait de la sécheresse, en disant: Hélas, Dieu nous donnera-t-il de la pluie! La petite fille lui dit incontinent, qu'elle lui en feroit venir quand il voudroit. Il répondit: Et qui t'a enseigné ce secret? C'est ma mère, dit-elle, qui m'a fort défendu de le dire à personne. Et comment a-t-elle fait pour te donner ce pouvoir? Elle m'a menée à un maître, qui vient à moi autant de fois que je l'appelle. Et as-tu vu ce maître? Oui, dit-elle, j'ai souvent vu entrer des hommes chez ma mère, à l'un desquels elle m'a vouée. Après ce dialogue, le père lui demanda comment elle feroit pour faire pleuvoir seulement sur son champ. Elle demanda un peu d'eau; il la mena à un ruisseau voisin, et la fille ayant nommé l'eau au nom de celui auquel sa mère l'avoit vouée, aussi-tôt on vit tomber sur le champ une pluie abondante. Le père convaincu que sa femme était sorcière, l'accusa devant les juges, qui la condamnèrent au feu. La fille fut baptisée et vouée à Dieu; mais elle perdit alors le pouvoir de faire pleuvoir à sa volonté.»
[Note 1: _Traité sur les apparitions des esprits_, t. I, p. 156.]
Bodin[1] dit que «la coustume de traîner les images et crucifix en la riviere pour avoir de la pluye se pratique en Gascongne, et l'ay veu (dit-il) faire à Thoulouse en plein jour par les petits enfans devant tout le peuple, qui appellent cela la tire-masse. Et se trouva quelqu'un qui jetta toutes les images dedans les puits du salin l'an 1557. Lors la pluye tomba en abondance. C'est une signalée meschanceté qu'on passe par souffrance et une doctrine de quelques sorciers de ce païs là qui ont enseigné ceste impiété au pauvre peuple.»
[Note 1: _Démonomanie_, liv. II, ch. VIII.]
Jovianus Pontanus[1] parlant des superstitions damnables de quelques Napolitains qui adjoustoyent foi aux sorciers, dict ces mots: «Aucuns des habitans et assiegez dans la ville de Suesse, sortirent de nuict et tromperent les corps de garde, puis traverserent les plus rudes montagnes, et gaignerent finalement le bord de la mer. Ils portoyent quand et eux un crucifix, contre lequel ils prononcerent un certain charme execrable, puis se jetterent dedans la mer, prians que la tempeste troublast ciel et terre. Au mesme temps, quelques prestres de la mesme ville, désireux de s'accommoder aux sorcelleries des soldats en inventerent une autre, esperant attirer la pluye par tel moyen. Ils apporterent un asne aux portes de leur eglise, et lui chanterent un requiem, comme à quelque personne qui eust rendu l'âme. Après cela, ils lui fourrerent en la gueule une hostie consacrée, et après avoir fait maint service autour de cet asne, finalement l'enterrerent tout vif aux portes de leur dite église. A peine avoyent-ils achevé leur sorcellerie, que l'air commença à se troubler, la mer à estre agitée, le plein jour à s'obscurcir, le ciel à s'éclairer, le tonnerre à esbranler tout: le tourbillon des vents arrachoit les arbres et remplissoit l'air de cailloux et d'esclats volans des rochers: une telle ravine d'eaux survint, et de la pluye en si grande abondance que non seulement les cisternes de Suesse furent remplies, mais aussi les monts et rochers fendus de chaleur servoyent lors de canal aux torrens. Le roy de Naples qui n'espéroit prendre la ville que par faute d'eau, se voyant ainsi frustré leva le siège et s'en revint trouver son armée à Savonne.»
[Note 1: Au Ve livre des _Histoires de son temps_, cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 1031.]
«Les procès des sorciers et sorcières, dit Goulart[1], faisans esmouvoir par leurs sorcelleries divers orages et tempestes, proposent infinis estranges exemples de ceci... J'ai ouï asseurer à personnage digne de foi que quelques sorciers de Danemarc firent un charme terrible pour empescher que la princesse de Danemarc ne fust menée par mer au roy d'Escosse, à qui elle estoit fiancée, tellement que la flotte qui la conduisoit fut plusieurs fois en danger de naufrage, et poussée loin de sa route, où force lui fut d'attendre commodité d'une autre navigation. Que ceste conjuration finalement descouverte l'on fit justice des sorciers, lesquels declarerent les malins esprits leur avoir confessé que la piété de la princesse et de quelques bons personnages qui l'accompagnoyent, par l'invocation ardente et continuelle du nom de Dieu, avoit rendu vains tous leurs efforts.»
[Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 1052.]
Jacques d'Autun[1] rapporte un orage extraordinaire accompagné de grêle excité en Languedoc par des sorciers l'an 1668.
[Note 1: _L'incrédulité sçavante et la crédulité ignorante, etc._, par Jacques d'Autun, prédicateur capucin. Lyon, Jean Geste, 1674, in-4°, p. 857]
«Sur les trois heures après midi le onziesme du mois de juin s'esleva, dit-il, un tourbillon de vent si impétueux qu'il desracinoit les arbres et faisoit trembler les maisons aux environs de Langon; ce furieux orage semblait devoir s'appaiser par une pluye assez médiocre, laquelle peu après fut meslée de grelle grosse comme des oeufs de poule et ce qui fit l'admiration des curieux, qui en firent ramasser plusieurs pièces, est qu'elles étaient hérissées et pointues comme si à dessein on les eut travaillées pour leur donner cette figure; d'autres ressemblaient parfaitement à de gros limaçons avec leur coquille, la teste, le col et les cornes dehors; l'on voyoit en d'autres des grenouilles et des crapaux si bien taillés, que l'on eut dit qu'un sculpteur s'étoit applicqué à les façonner; mais ce qui surprit davantage en ce spectacle d'horreur, est que cette gresle changeoit de figure selon la différence des insectes, que le démon vouloit probablement représenter: car l'on vit gresler des serpens ou de la gresle en forme de serpens de la longueur d'un demy pied: certes la gresle qui fit trembler toute l'Egypte laquelle sainct Augustin attribue à l'opération des démons, n'avoit rien de si effroyable; l'on trouva des pièces de ce funeste météore qui représentoient la main d'un homme avec deux ou trois doigts distinctement formez, d'autres estoient taillées en estoiles à trois et à cinq pointes: enfin en quelque endroit, comme au port de Saincte-Marie, il tomba de la gresle d'une si prodigieuse grosseur que les animaux et les hommes qui en estoient frappez expiroient sur le champ... On trouva un cheveu blanc dans tous les grains de grelle qui furent ouverts et dans tous le cheveu blanc étoit de la même longueur.»
L'Espagnol Torquémada formule ainsi la biographie d'une fameuse sorcière du moyen âge:
«Aucuns parlent, dit-il, d'une certaine femme nommée _Agaberte_, fille d'un géant qui s'appelait _Vagnoste_, demeurant aux pays septentrionaux, laquelle était grande enchanteresse. Et la force de ses enchantements était si variée, qu'on ne la voyait presque jamais en sa propre figure: quelque fois c'était une petite vieille fort ridée, qui semblait ne se pouvoir remuer, ou bien une pauvre femme malade et sans forces; d'autres fois elle était si haute qu'elle paraissait toucher les nues avec sa tête. Ainsi elle prenait telle forme qu'elle voulait aussi aisément que les auteurs décrivent _Urgande la méconnue_. Et, d'après ce qu'elle faisait, le monde avait opinion qu'en un instant elle pouvait obscurcir le soleil, la lune et les étoiles, aplanir les monts, renverser les montagnes, arracher les arbres, dessécher les rivières, et faire autres choses pareilles si aisément qu'elle semblait tenir tous les diables attachés et sujets à sa volonté.»
Les magiciens et les devins emploient une sorte d'anathème pour découvrir les voleurs et les maléfices: voici cette superstition. Nous prévenons ceux que les détails pourraient scandaliser, qu'ils sont extraits des grimoires. On prend de l'eau limpide; on rassemble autant de petites pierres qu'il y a de personnes soupçonnées; on les fait bouillir dans cette eau; on les enterre sous le seuil de la porte par où doit passer le voleur ou la sorcière, en y joignant une lame d'étain sur laquelle sont écrits ces mots: _Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat_. On a eu soin de donner à chaque pierre le nom de l'une des personnes que l'on a lieu de soupçonner. On ôte le tout de dessus le seuil de la porte au lever du soleil; si la pierre qui représente le coupable est brûlante, c'est déjà un indice. Mais, comme le diable est sournois, il ne faut pas s'en contenter; on récite donc les sept Psaumes de la pénitence, avec les litanies des saints: on prononce ensuite les prières de l'exorcisme, contre le voleur ou la sorcière; on écrit son nom dans un cercle; on plante sur ce nom un clou d'airain, de forme triangulaire, qu'il faut enfoncer avec un marteau dont le manche soit en bois de cyprès, et on dit quelques paroles prescrites rigoureusement à cet effet[1]. Alors le voleur se trahit par un grand cri.
[Note 1: _Justus es Domine, et justa sunt judicia tua_.]
S'il s'agit d'une sorcière, et qu'on veuille seulement ôter le maléfice pour le rejeter sur celle qui l'a jeté, on prend, le samedi, avant le lever du soleil, une branche de coudrier d'une année, et on dit l'oraison suivante: «Je te coupe, rameau de cette année, au nom de celui que je veux blesser comme je te blesse.» On met la branche sur la table, en répétant trois fois une certaine prière[1] qui se termine par ces mots: Que le sorcier ou la sorcière soit anathème, et nous saufs[2]!
[Note 1: Comme la première, c'est une inconvenance. On ajoute aux paroles saintes du signe de la croix: Droch, Mirroch, Esenaroth, Bétubaroch, Assmaaroth, qu'on entremêle de signes de croix.]
[Note 2: Wierus, _De Praestig. daem._, lib. V, cap. V.]
Bodin et de Lancre content[1] qu'en 1536, à Casal, en Piémont, on remarqua qu'une sorcière, nommée Androgina, entrait dans les maisons, et que bientôt après on y mourait. Elle fut prise et livrée aux juges; elle confessa que quarante sorcières, ses compagnes avaient composé avec elle le maléfice. C'était un onguent avec lequel elles allaient graisser les loquets des portes; ceux qui touchaient ces loquets mouraient en peu de jours.
[Note 1: _Démonomanie_, liv. IV, ch. IV. _Tableau de l'inconstance, etc._, liv. II, disc. IV.]
«La même chose advint à Genève en 1563, ajoute de Lancre, si bien qu'elles y mirent la peste, qui dura plus de sept ans. Cent soixante-dix sorcières furent exécutées à Rome pour cas semblable sous le consulat de Claudius Marcellus et de Valerius Flaccus: mais la sorcellerie n'étant pas encore bien reconnue, on les prenait simplement alors pour des empoisonneuses...»
On remarquait, dit-on, au dix-septième siècle, dans la forêt de Bondi, deux vieux chênes que l'on disait enchantés. Dans le creux de l'un de ces chênes on voyait toujours une petite chienne d'une éblouissante blancheur. Elle paraissait endormie, et ne s'éveillait que lorsqu'un passant s'approchait; mais elle était si agile, que personne ne pouvait la saisir. Si on voulait la surprendre, elle s'éloignait de quelques pas, et, dès qu'on s'éloignait, reprenait sa place avec opiniâtreté. Les pierres et les balles la frappaient sans la blesser; enfin on croyait dans le pays que c'était un démon, ou l'un des chiens du grand veneur, ou du roi Arthus, ou encore la chienne favorite de saint Hubert, ou enfin le chien de Montargis, qui, présent à l'assassinat de son maître dans la forêt de Bondi, révéla le meurtrier, et vengea l'homicide au XIVe siècle. On disait aussi que des sorciers faisaient assurément le sabbat sous les deux chênes.
Un jeune garçon de dix à douze ans, dont les parents habitaient la lisière de la forêt, faisait ordinairement de petits fagots à quelque distance de là. Un soir qu'il ne revint pas, son père, ayant pris sa lanterne et son fusil, s'en alla avec son fils aîné battre le bois. La nuit était sombre. Malgré la lanterne, les deux bûcherons se heurtaient à chaque instant contre les arbres, s'embarrassaient dans les ronces, revenaient sur leurs pas et s'égaraient sans cesse. «Voilà qui est singulier, dit enfin le père; il ne faut qu'une heure pour traverser le bois, et nous marchons depuis deux sans avoir trouvé les chênes; il faut que nous les ayons passés.»
En ce moment, un tourbillon ébranlait la forêt. Ils levèrent les yeux, et virent, à vingt pas, les deux chênes. Ils marchèrent dans cette direction; mais à mesure qu'ils avancent, il semble que les chênes s'éloignent: la forêt paraît ne plus finir; on entend de toutes parts des sifflements, comme si le bois était rempli de serpents; ils sentent rouler à leurs pieds des corps inconnus; des griffes entourent leurs jambes et les effleurent; une odeur infecte les environne; ils croient sentir des êtres impalpables errer autour d'eux...
Le bûcheron, exténué de fatigue, conseille à son fils de s'asseoir un instant; mais son fils n'y est plus. Il voit à quelques pas, dans les buissons, la lumière vacillante de la lanterne; il remarque le bas des jambes de son fils, qui l'appelle; il ne reconnaît pas la voix. Il se lève; alors la lanterne disparaît; il ne sait plus où il se trouve; une sueur froide découle de tous ses membres; un air glacé frappe son visage, comme si deux grandes ailes s'agitaient au-dessus de lui. Il s'appuie contre un arbre, laisse tomber son fusil, recommande son âme à Dieu, et tire de son sein un crucifix; il se jette à genoux et perd connaissance.
Le soleil était levé lorsqu'il se réveilla; il vit son fusil brisé et macéré comme si on l'eût mâché avec les dents; les arbres étaient teints de sang; les feuilles noircies; l'herbe desséchée; le sol couvert de lambeaux; le bûcheron reconnut les débris des vêtements de ses deux fils, qui ne reparurent pas. Il rentra chez lui épouvanté. On visita ces lieux redoutables. On y vérifia toutes les traces du sabbat; on y revit la chienne blanche insaisissable. On purifia la place; on abattit les deux chênes, à la place desquels on planta deux croix, qui se voyaient encore il y a peu de temps; et, depuis, cette partie de la forêt cessa d'être infestée par les démons[1].
[Note 1: _Infernaliana_, p. 152.]
Ce que les sorciers appellent _main de gloire_ est la main d'un pendu, qu'on prépare de la sorte: On la met dans un morceau de drap mortuaire, en la pressant bien, pour lui faire rendre le peu de sang qui pourrait y être resté; puis on la met dans un vase de terre, avec du sel, du salpêtre, du zimax et du poivre long, le tout bien pulvérisé. On la laisse dans ce pot l'espace de quinze jours; après quoi on l'expose au grand soleil de la canicule, jusqu'à ce qu'elle soit complètement desséchée; si le soleil ne suffit pas, on la met dans un four chauffé de fougère et de verveine. On compose ensuite une espèce de chandelle avec de la graisse de pendu, de la cire vierge et du sésame de Laponie; et on se sert de la main de gloire comme d'un chandelier, pour tenir cette merveilleuse chandelle allumée. Dans tous les lieux où l'on va avec ce funeste instrument, ceux qui y sont demeurent immobiles, et ne peuvent non plus remuer que s'ils étaient morts. Il y a diverses manières de se servir de la main de gloire; les scélérats les connaissent bien; mais, depuis qu'on ne pend plus chez nous, ce doit être chose rare.
Deux magiciens, étant venus loger dans un cabaret pour y voler, demandèrent à passer la nuit auprès du feu, ce qu'ils obtinrent. Lorsque tout le monde fut couché, la servante, qui se défiait de la mine des deux voyageurs, alla regarder par un trou de la porte pour voir ce qu'ils faisaient. Elle vit qu'ils tiraient d'un sac la main d'un corps mort, qu'ils en oignaient les doigts de je ne sais quel onguent, et les allumaient, à l'exception d'un seul qu'ils ne purent allumer, quelques efforts qu'ils fissent, et cela parce que, comme elle le comprit, il n'y avait qu'elle des gens de la maison qui ne dormît point; car les autres doigts étaient allumés pour plonger dans le plus profond sommeil ceux qui étaient déjà endormis. Elle alla aussitôt à son maître pour l'éveiller, mais elle ne put en venir à bout, non plus que les autres personnes du logis, qu'après avoir éteint les doigts allumés, pendant que les deux voleurs commençaient à faire leur coup dans une chambre voisine. Les deux magiciens, se voyant découverts, s'enfuirent au plus vite, et on ne les trouva plus[1].
[Note 1: Delrio, _Disquisitions magiques_.]
Il y avait autrefois beaucoup d'anneaux enchantés ou chargés d'amulettes. Les magiciens faisaient des anneaux constellés avec lesquels on opérait des merveilles. Cette croyance était si répandue chez les païens, que les prêtres ne pouvaient porter d'anneaux, à moins qu'il ne fussent si simples qu'il était évident qu'ils ne contenaient point d'amulettes[1].
[Note 1: Aulu-Gelle, lib. X, cap. XXV.]
Les anneaux magiques devinrent aussi de quelque usage chez les chrétiens et même beaucoup de superstitions se rattachèrent au simple _anneau d'alliance_. On croyait qu'il y avait dans le quatrième doigt, qu'on appela spécialement doigt annulaire ou doigt destiné à l'anneau, une ligne qui correspondait directement au coeur; on recommanda donc de mettre l'anneau d'alliance à ce seul doigt. Le moment où le mari donne l'anneau à sa jeune épouse devant le prêtre, ce moment, dit un vieux livre de secrets, est de la plus haute importance. Si le mari arrête l'anneau à l'entrée du doigt et ne passe pas la seconde jointure, la femme sera maîtresse; mais s'il enfonce l'anneau jusqu'à l'origine du doigt, il sera chef et souverain. Cette idée est encore en vigueur, et les jeunes mariées ont généralement soin de courber le doigt annulaire au moment où elles reçoivent l'anneau de manière à l'arrêter avant la seconde jointure.
Les Anglaises, qui observent la même superstition, font le plus grand cas de l'anneau d'alliance à cause de ses propriétés. Elles croient qu'en mettant un de ces anneaux dans un bonnet de nuit, et plaçant le tout sous leur chevet, elles verront en songe le mari qui leur est destiné.
Les Orientaux révèrent les anneaux et les bagues, et croient aux anneaux enchantés. Leurs contes sont pleins de prodiges opérés par ces anneaux. Ils citent surtout, avec une admiration sans bornes, l'_anneau de Salomon_, par la force duquel ce prince commandait à toute la nature. Le grand nom de Dieu est gravé sur cette bague, qui est gardée par des dragons, dans le tombeau inconnu de Salomon. Celui qui s'emparerait de cet anneau serait maître du monde et aurait tous les génies à ses ordres.
A défaut de ce talisman prodigieux, ils achètent à des magiciens des anneaux qui produisent aussi des merveilles.
Henri VIII bénissait des anneaux d'or qui avaient disait-il, la propriété de guérir de la crampe[1].
[Note 1: Misson, _Voyage d'Italie_, t. III, p. 16, à la marge.]
Les faiseurs de secrets ont inventé des bagues magiques qui ont plusieurs vertus. Leurs livres parlent de l'_anneau des voyageurs_. Cet anneau, dont le secret n'est pas bien certain, donnait à celui qui le portait le moyen d'aller sans fatigue de Paris à Orléans, et de revenir d'Orléans à Paris dans la même journée.
Mais on n'a pas perdu le secret de l'_anneau d'invisibilité_. Les cabalistes ont laissé la manière de faire cet anneau, qui plaça Gygès au trône de Lydie. Il faut entreprendre cette opération un mercredi de printemps, sous les auspices de Mercure, lorsque cette planète se trouve en conjonction avec une des autres planètes favorables, comme la Lune, Jupiter, Vénus et le Soleil. Que l'on ait de bon mercure fixé et purifié: on en formera une bague où puisse entrer facilement le doigt du milieu; on enchâssera dans le chaton une petite pierre que l'on trouve dans le nid de la huppe, et on gravera autour de la bague ces paroles: _Jésus passant + au milieu d'eux + s'en alla_[1]; puis ayant posé le tout sur une plaque de mercure fixé, on fera le parfum de Mercure; on enveloppera l'anneau dans un taffetas de la couleur convenable à la planète, on le portera dans le nid de la huppe d'où l'on a tiré la pierre, on l'y laissera neuf jours; et quand on le retirera, on fera encore le parfum comme la première fois; puis on le gardera dans une petite boîte faite avec du mercure fixé, pour s'en servir à l'occasion. Alors on mettra la bague à son doigt. En tournant la pierre au dehors de la main, elle a la vertu de rendre invisible aux yeux des assistants celui qui la porte; et quand on veut être vu, il suffit de rentrer la pierre en dedans de la main, que l'on ferme en forme de poing.
[Note 1: Saint Luc, ch. IV, verset 30.]
Porphyre, Jamblique, Pierre d'Apone et Agrippa, ou du moins les livres de secrets qui leur sont attribués, soutiennent qu'un anneau fait de la manière suivante a la même propriété. Il faut prendre des poils qui sont au dessus de la tête de la hyène et en faire de petites tresses avec lesquelles on fabrique un anneau, qu'on porte aussi dans le nid de la huppe. On le laisse là neuf jours; on le passe ensuite dans des parfums préparés sous les auspices de Mercure (planète). On s'en sert comme de l'autre anneau, excepté qu'on l'ôte absolument du doigt quand on ne veut plus être invisible.
Si, d'un autre côté, on veut se précautionner contre l'effet de ces anneaux cabalistiques, on aura une bague faite de plomb raffiné et purgé; on enchâssera dans le chaton l'oeil d'une belette qui n'aura porté des petits qu'une fois; sur le contour on gravera les paroles suivantes: _Apparuit Dominus Simoni_. Cette bague se fera un samedi, lorsqu'on connaîtra que Saturne est en opposition avec Mercure. On l'enveloppera dans un morceau de linceul mortuaire qui ait enveloppé un mort; on l'y laissera neuf jours; puis, l'ayant retirée, on fera trois fois le parfum de Saturne, et on s'en servira.
Ceux qui ont imaginé ces anneaux ont raisonné sur l'antipathie qu'ils supposaient entre les matières qui les composent. Rien n'est plus antipathique à la hyène que la belette, et Saturne rétrograde presque toujours à Mercure; ou, lorsqu'ils se rencontrent dans le domicile de quelques signes du zodiaque, c'est toujours un aspect funeste et de mauvais augure[1].
[Note 1: _Petit Albert_.]
On peut faire d'autres anneaux sous l'influence des planètes, et leur donner des vertus au moyen de pierres et d'herbes merveilleuses. «Mais dans ces caractères, herbes cueillies, constellations et charmes, le diable se coule,» comme dit Leloyer, quand ce n'est pas simplement le démon de la grossière imposture. «Ceux qui observent les heures des astres, ajoute-t-il, n'observent que les heures des démons qui président aux pierres, aux herbes et aux astres mêmes.»--Et il est de fait que ce ne sont ni des saints ni des coeurs honnêtes qui se mêlent de ces superstitions.
On appelle amulettes certains remèdes superstitieux que l'on porte sur soi ou que l'on s'attache au cou pour se préserver de quelque maladie ou de quelque danger. Les Grecs les nommaient phylactères, les Orientaux talismans. C'étaient des images capricieuses (un scarabée chez les Égyptiens), des morceaux de parchemin, de cuivre, d'étain, d'argent, ou encore de pierres particulières où l'on avait tracé de certains caractères ou de certains hiéroglyphes.
Comme cette superstition est née d'un attachement excessif à la vie et d'une crainte puérile de tout ce qui peut nuire, le christianisme n'est venu à bout de le détruire que chez les fidèles[1]. Dès les premiers siècles de l'Église, les Pères et les conciles défendirent ces pratiques du paganisme. Ils représentèrent les amulettes comme un reste idolâtre de la confiance qu'on avait aux prétendus génies gouverneurs du monde. Le curé Thiers[2] a rapporté un grand nombre de passage des Pères à ce sujet, et les canons de plusieurs conciles.
[Note 1: Bergier, _Dictionnaire théologique_.]
[Note 2: _Traité des superstitions_, liv. V, ch. 1.]
Les lois humaines condamnèrent aussi l'usage des amulettes. L'empereur Constance défendit d'employer les amulettes et les charmes à la guérison des maladies. Cette loi, rapportée par Ammien Marcellin, fut exécutée si sévèrement, que Valentinien fit punir de mort une vieille femme qui ôtait la fièvre avec des paroles charmées, et qu'il fit couper la tête à un jeune homme qui touchait un certain morceau de marbre en prononçant sept lettres de l'alphabet pour guérir le mal d'estomac[1].
[Note 1: Voyez Ammien-Marcellin, lib. XVI, XIX, XXIX, et le P. Lebrun, liv. III, ch. 2.]
Mais comme il fallait des préservatifs aux esprits fourvoyés, qui forment toujours le plus grand nombre, on trouva moyen d'éluder la loi. On fit des talismans et des amulettes avec des morceaux de papier chargés de versets de l'Écriture sainte. Les lois se montrèrent moins rigides contre cette singulière coutume, et on laissa aux prêtres le soin d'en modérer les abus.
Les Grecs modernes, lorsqu'ils sont malades, écrivent le nom de leur infirmité sur un morceau de papier de forme triangulaire qu'ils attachent à la porte de leur chambre. Ils ont grande foi à cette amulette.
Quelques personnes portent sur elles le commencement de l'Évangile de saint Jean comme un préservatif contre le tonnerre; et ce qui est assez particulier, c'est que les Turcs ont confiance à cette même amulette, si l'on en croit Pierre Leloyer.
Une autre question est de savoir si c'est une superstition de porter sur soi les reliques des saints, une croix, une image, une chose bénite par les prières de l'Église, un _Agnus Dei_, etc., et si l'on doit mettre ces choses au rang des amulettes, comme le prétendent les protestants.--Nous reconnaissons que si l'on attribue à ces choses la vertu surnaturelle de préserver d'accidents, de mort subite, de mort dans l'état de péché, etc., c'est une superstition. Elle n'est pas du même genre que celle des amulettes, dont le prétendu pouvoir ne peut pas se rapporter à Dieu; mais c'est ce que les théologiens appellent vaine observance, parce que l'on attribue à des choses saintes et respectables un pouvoir que Dieu n'y a point attaché. Un chrétien bien instruit ne les envisage point ainsi; il sait que les saints ne peuvent nous secourir que par leurs prières et par leur intercession auprès de Dieu. C'est pour cela que l'Église a décidé qu'il est utile et louable de les honorer et de les invoquer. Or c'est un signe d'invocation et de respect à leur égard de porter sur soi leur image ou leurs reliques; de même que c'est une marque d'affection et de respect pour une personne que de garder son portrait ou quelque chose qui lui ait appartenu. Ce n'est donc ni une vaine observance ni une folle confiance d'espérer qu'en considération de l'affection et du respect que nous témoignons à un saint, il intercédera et priera pour nous. Il en est de même des croix et des _Agnus Dei_.
On lit dans Thyraeus[1] qu'en 1568, dans le duché de Juliers, le prince d'Orange condamna un prisonnier espagnol à mourir; que ses soldats l'attachèrent à un arbre et s'efforcèrent de le tuer à coups d'arquebuse; mais que les balles ne l'atteignirent point. On le déshabilla pour s'assurer s'il n'avait pas sur la peau une armure qui arrêtât le coup; on trouva une amulette portant la figure d'un agneau; on la lui ôta, et le premier coup de fusil l'étendit raide mort.
[Note 1: _Disp. de Daemoniac._ pars III, cap. XLV.]
On voit, dans la vieille chronique de dom Ursino, que quand sa mère l'envoya, tout petit enfant qu'il était, à Saint-Jacques de Compostelle, elle lui mit au cou une amulette que son mari avait arrachée à un chevalier maure. La vertu de cette amulette était d'adoucir la fureur des bêtes cruelles. En traversant une forêt, une ourse enleva le prince des mains de sa nourrice et l'emporta dans sa caverne. Mais, loin de lui faire aucun mal, elle l'éleva avec tendresse; il devint par la suite très fameux sous le nom de dom Ursino, qu'il devait à l'ourse, sa nourrice sauvage, et il fut reconnu par son père, à qui la légende dit qu'il succéda sur le trône de Navarre.
Les nègres croient beaucoup à la puissance des amulettes. Les Bas-Bretons leur attribuent le pouvoir de repousser le démon. Dans le Finistère, quand on porte un enfant au baptême, on lui met au cou un morceau de pain noir, pour éloigner les sorts et les maléfices que les vieilles sorcières pourraient jeter sur lui.
Helinand conte qu'un soldat nommé Gontran, de la suite de Henry, archevêque de Reims, s'étant endormi en pleine campagne, après le dîner, comme il dormait la bouche ouverte, ceux qui l'accompagnaient et qui étaient éveillés, virent sortir de sa bouche une bête blanche semblable à une petite belette, qui s'en alla droit à un ruisseau assez près de là. Un homme d'armes la voyant monter et descendre le bord du ruisseau pour trouver un passage tira son épée et en fit un petit pont sur lequel elle passa et courut plus loin...
Peu après, on la vit revenir, et le même homme d'armes lui fit de nouveau un pont de son épée. La bête passa une seconde fois et s'en retourna à la bouche du dormeur, où elle rentra...
Il se réveilla alors; et comme on lui demandait s'il n'avait point rêvé pendant son sommeil, il répondit qu'il se trouvait fatigué et pesant, ayant fait une longue course et passé deux fois sur un pont de fer.
Mais ce qu'il y a de merveilleux, c'est qu'il alla par le chemin qu'avait suivi la belette; qu'il bêcha au pied d'une petite colline et qu'il déterra un trésor que son âme avait vu en songe.
Le diable, dit Wierus, se sert souvent de ces machinations pour tromper les hommes et leur faire croire que l'âme, quoique invisible, est corporelle et meurt avec le corps; car beaucoup de gens ont cru que cette bête blanche était l'âme de ce soldat, tandis que c'était une imposture du diable...
XIII.
Possédés, Démoniaques.
Goulart[1] rapporte d'après Wier[2] plusieurs histoires de démoniaques: «Antoine Benivenius au VIIIe chapitre _du Livre des causes cachées des maladies_, escrit avoir veu une jeune femme aagée de seize ans dont les mains se retiroyent estrangement si tost que certaine douleur la prenoit au bas du ventre. A son cri effroyable, tout le ventre lui enfloit si fort qu'on l'eust estimée enceinte de huict mois: enfin elle perdoit le soufle et ne pouvant demeurer en place se tourmentait ça et là dedans son lict, mettant quelquefois ses pieds dessus son col, comme si elle eust voulu faire la culebute. Ce qu'elle recommençoit tant et jusque à ce que son mal s'accoisast peu à peu et qu'elle fust aucunemens soulagée. Lors enquise sur ce qui lui estoit avenu, elle confessoit ne s'en ressouvenir aucunement. Mais, dit-il, en cerchant les causes de ceste maladie, nous eusmes opinion qu'elle procédait d'une suffocation de matrice et de vapeurs malignes s'élevant en haut au détriment du coeur et du cerveau. Toutes fois après nous estre efforcez de la soulager par médicamens et cela ne servant de rien, icelle devint plus furieuse et, regardant de travers, se mit finalement à vomir de longs cloux de fer tout courbez, des aiguilles d'airin picquées dedans de la cire et entrelassées de cheveux, avec une portion de son desjuné, si grand qu'homme quelconque n'eust peu l'avaller entier. Ayant en ma présence recommencé plusieurs fois tels vomissements, je me doutais qu'elle estoit possédée d'un esprit malin, lequel charmoit les yeux des assistants pendant qu'il remuoit ces choses. Depuis nous l'entendîmes faisant des prédictions et autres choses qui dépassent toute intelligence humaine.»
[Note 1: _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 143.]
[Note 2: _Illusions et impostures des diables_.]
«Meiner Clath, gentilhomme demeurant au château de Boutenbrouch situé au duché de Juliers, avoit un valet nommé Guillaume, lequel depuis quatorze ans estoit tourmenté et possédé du diable, dont ainsi qu'il commençoit quelquefois à se porter mal, à la suscitation de ce malin esprit, il demanda pour confesseur le curé de Saint-Gerard, Barthelemy Paven... lequel étant venu pour jouer son petit rollet... ne put faire du tout le personnage muet. Or ainsi que ce démoniacle avoit la gorge enflée, la face ternie, et que l'on craignoit qu'il n'estouffast, Judith femme de Clath, honneste matrone, ensemble tous ceux de la maison commencent à prier Dieu. Et incontinent il sortit de la bouche de ce Guillaume entre autre barbouilleries, toute la partie du devant des brayes d'un berger, des cailloux dont les uns estoyent entiers et les autres rompus, des petites plotes de fil, une perruque semblable à celle dont les filles ont accoustumé d'user, des esguilles, un morceau de la doublure de la saye d'un petit garçon, et une plume de paon, laquelle ce mesme Guillaume avoit tiré de la queue de un paon des huict jours auparavant qu'il devint malade. Estant interrogué de la cause de son mal, il respondit qu'il avoit rencontré une femme près de Camphuse, laquelle luy avoit soufflé au visage: et que toute sa calamité ne procédoit d'ailleurs. Toutes fois après qu'il fust guéry il nia que ce qu'il avoit dict fut vray: mais au contraire, il confessa qu'il avoit esté induit par le diable à dire ce qu'il avoit dict. D'avantage il ajouta que toutes ces matières prodigieuses n'avoient pas été dedans son ventre, ains qu'elles avoyent été poussées dedans son gosier par le diable, cependant que l'on le regardoit vomir. Satan le déceut par illusions. On pensa plusieurs fois qu'il voulust se tuer on s'en voulust fuir. Un jour, s'estant jetté dedans un tect à pourceaux, et gardé plus soigneusement que de coustume, il demeura les yeux tellement fermez qu'impossible fut les desclorre. Enfin Gertrude, fille aisnée de Clath, aagée d'onze ans, s'approchant de lui, l'admonesta de prier Dieu que son bon plaisir fust lui rendre la veue. Sur cela Guillaume la requit de prier, ce qu'elle fit, et incontinent elle lui ouvrit les yeux, au grand esbahissement de chacun. Le diable l'exhortoit souvent de ne prester l'oreille ni à sa maîtresse, ni aux autres qui lui rompoyent la teste, en lui parlant de Dieu, duquel il ne pouvoit estre aidé, puisqu'il estoit mort une fois, ainsi qu'il l'avoit entendu prescher publiquement.»
«Or comme une fois il s'efforçoit de taster impudiquement une chambrière de cuisine, et qu'elle le tançast par son nom, il respondit d'une voix enrouée, qu'il ne se nommoit pas Guillaume mais Beelzebub: à quoi la maistresse respondit: Pense tu donc que nous te craignons? Celui auquel nous nous fions, est infiniment plus fort et plus puissant que tu n'es. Alors Clath lut l'onziesme chapitre de St-Luc où il est fait mention du diable muet jeté dehors par la puissance de nostre Sauveur, et aussi de Beelzebub, prince des diables. A la parfin Guillaume commence à reposer, et dort jusques au matin, comme un homme esvanoui: puis ayant pris un bouillon et se sentant du tout allégé, il fut ramené chez ses parents après avoir remercié ses maistres et sa maistresse, et prié Dieu qu'il voulust les récompenser pour les ennuis qu'ils avoyent receus de ceste affliction. Depuis il se maria, eut des enfants, et ne se sentit plus de tourment du diable.»
«L'an 1566, le dix-huictiesme jour de mars, avint en la ville d'Amsterdam en Hollande un cas mémorable, duquel M. Adrian Nicolas, chancelier de Gueldres, fit un discours public contenant ce qui s'ensuit: Il y a deux mois ou environ (dit-il), qu'en ceste ville trente enfans commencèrent à estre tourmentés d'une façon estrange, comme s'ils eussent esté maniaques ou furieux. Par intervalles, ils se jettoyent contre terre et ce tourment duroit demi-heure ou une heure au plus. S'estant relevez debout, ils ne se souvenoyent d'aucun mal ni de chose quelconque facte lors, ains pensoyent avoir dormi. Les médecins, ausquels on recourut, n'y firent rien... Les sorciers ne firent pas davantage, les exorcistes perdirent aussi leur temps. Durant les exorcismes les enfants vomirent force aiguilles, des epingles, des doigtiers à couldre, des lopins de drap, des pièces de pots cassez, du verre, des cheveux et telles autres choses: pour cela toutesfois les enfans ne furent gueris, ains retomberent en ce mal de fois à autre, au grand estonnement de chacun pour la nouveauté d'un si estrange spectacle.»
«Jean Laugius, très docte médecin, escrit au premier livre de ses _Espitres_ estre avenu l'an 1539 à Fugenstal, village de l'évesché d'Eysteten ce qui s'ensuit, vérifié par grand nombre de tesmoins. Ulric Neusesser, laboureur demeurant en ce village, estoit misérablement tourmenté d'une douleur de flancs. Un jour le chyrurgien ayant fait quelque incision en la peau, l'on en tira un clou de fer: pour cela les douleurs ne s'appaisèrent, au contraire accreurent tellement, que le pauvre homme tombe en désespoir, d'un couteau tranchant se coupe la gorge. Comme on voulait le cacher en terre, deux chyrurgiens lui ouvrirent l'estomach en présence de plusieurs et dans icelui trouvèrent du bois rond et long, quatre cousteaux d'acier les uns aigus, les autres dentelez comme une scie; ensemble deux bastons de fer, chacun de neuf poulces de longueur et un gros toupillon de cheveux: je m'esbahi comment cette ferraille a peu estre amassée dedans la capacité de l'estomach et par quelle ouverture. C'est sans doute par un artifice du diable, lequel suppose dextrement toutes choses, pour se maintenir et faire redouter.
«Antoine Lucquet, chevalier de l'ordre de la Toison, personnage de grande reputation par toute la Flandre, et conseiller au privé conseil de Brabant, outre trois enfans légitimes, eut un bastard, qui print femme à Bruges. Icelle peu après les noces commença d'être misérablement tourmentée par le malin esprit, tellement qu'en quelque part qu'elle fust, mesme au milieu des dames et damoiselles, elle estoit soudain emportée et trainée par les chambres et souventes fois jettée puis en un coin, puis en l'autre, quoi que ceux qui estoient présens taschassent de la retenir et de l'empescher. Mais en ses agitations elle n'estoit pas beaucoup intéressée en son corps. Chascun pensoit que ce mal lui eust esté procuré par une femme autrefois entretenue par son mari, jeune homme de belle taille, gaillard et dispos. En ses entrefaites, elle devint enceinte et ne cessa le malin esprit de la tourmenter. Le terme de l'accouchement venu, il ne se trouve qu'une femme en sa compagnie, laquelle fut incontinent envoyée vers la sage-femme. Cependant il lui fut avis que cette femme, dont j'ai parlé, entroit dedans la chambre et lui servoit de sage-femme, dont la pauvre damoiselle fut si esperdue que le coeur lui en faillit. Revenue à soi, elle se trouva deschargée de son fardeau; toutesfois, il n'aparut enfant quelconque dont chascun demeura esperdu. Le jour suivant, l'accouchée trouva en son resveil un enfant emmailloté et couché dedans le lict, qu'elle allaita par deux fois. S'estant peu après endormie, l'enfant en fut pris de ses costez et oncques depuis ne fut veu. Le bruit courut que l'on avoit trouvé dedans la porte quelques billets avec des caractères magiques.»
Goulart[1] fait connaître, d'après Wier «les convulsions monstrueuses et innombrables advenues aux nonnains du couvent de Kentorp en la cote de la Marche près Hammone. Un peu devant leurs accès et durant celui, elles poussoient de leur bouche une puante haleine, qui continuoit parfois quelques heures. En leur mal aucunes ne laissoient d'avoir l'entendement sain, d'ouïr et de reconnoistre ceux qui estoyent autour d'elles, encore qu'à cause des convulsions de la langue et des parties servantes à la respiration elles ne peussent parler durant l'accès. Or estoyent les unes plus tourmentées que les autres et quelques-unes moins. Mais ceci leur estoit commun, qu'aussitost que l'une estoit tourmentée, au seul bruit les autres séparées en diverses chambres estoyent tourmentées aussi. Ayant envoyé vers un devin, qui leur dit qu'elles avoient été empoisonnées par leur cuisinière nommée Else Kamense, le diable empoignant ceste occasion commença à les tourmenter plus que devant et les induisit à s'entremordre, entrebattre et se jeter par terre les unes les autres. Après qu'Else et sa mère eurent esté bruslées, quelques-uns des habitants de Hammone commencèrent à estre tourmentez du malin esprit. Le pasteur de l'église en appela cinq en son logis afin de les instruire et fortifier contre les impostures de l'ennemi. Ils commencèrent à se mocquer du pasteur et à nommer certaines femmes du lieu, chez lesquelles ils disoyent vouloir aller, montez sur des boucs, qui les y porteroient. Incontinent l'un d'eux se met à chevauchon sur une escabelle, s'escriant qu'il alloit et estoit porté là. Un autre se mettant à croupeton se recourba du tout en devant puis se roula vers la porte de la chambre, par laquelle soudain ouverte il se jetta et tomba du haut en bas des degrés sans se faire mal.»
[Note 1: _Thrésor d'histoires admirables_, t. I, p. 143.]
«Les nonnains du couvent de Nazareth, à Cologne, dit le même auteur[1], furent presque tourmentées comme celles de Kentorp. Ayant esté par long espace de temps tempestées en diverses sortes par le diable, elles le furent encore plus horriblement l'an 1564, car elles estoyent couchées par terre et rebrassées comme pour avoir compagnie d'hommes. Durant laquelle indignité leurs yeux demeuroyent clos, qu'elles ouvroyent après honteusement et comme si elles eussent enduré quelque griève peine. Une fort jeune fille nommée Gertrude, aagée de quatorze ans, laquelle avoit esté enfermée en ce couvent ouvrit la porte à tout ce malheur. Elle avoit souvent esté tracassée de ces folles apparitions en son lict, dont ses risées faisoient la preuve quoiqu'elle essayât parfois d'y remédier mais en vain. Car ainsi qu'une siene compagne gisoit en une couchette tout expres pour la deffendre de ceste apparition, la pauvrette eut frayeur, entendant le bruit qui se faisoit au lict de Gertrude, de laquelle le diable print finalement possession, et commença de l'affliger par plusieurs sortes de contorsions... Le commencement de toute cette calamité procédoit de quelques jeunes gens desbauchez, qui ayant prins accointance par un jeu de paulme proche de là, avec une ou deux de ces nonnains, estoyent depuis montez sur les murailles pour jouyr de leurs amours.»
[Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 153.]
«Les tourmens que les diables firent à quelques nonnains enfermées à Wertet en la comté de Horne, sont esmerveillables. Le commencement vint (à ce qu'on dit) d'une pauvre femme, laquelle durant le caresme emprunta des nonnains une quarte de sel pesant environ trois livres, et en rendit deux fois autant, un peu devant Pasques. Dès lors elles commencerent à trouver dedans leur dortoir des petites boules blanches semblables à de la dragée de sucre, salées au goust, dont toutefois on ne mangea point, et ne sçavoit-on d'où elles venoient. Peu de temps après elles s'apperceurent de quelque chose qui sembloit se plaindre comme feroit un homme malade; elles entendirent aussi une fois admonnestant quelques nonnains de se lever et venir à l'aide d'une de leurs soeurs malade: mais elles ne trouverent rien, y estant courues. Si quelques fois elles vouloient uriner en leur pot de chambre, il leur estoit soudainement osté tellement qu'elles gastoyent leur lict. Par fois elles en estoyent tirées par les pieds, traînées assez loin et tellement chatouillées par les plantes, qu'elles en pasmoyent de rire. On arrachoit une partie de la chair à quelques-unes, aux autres on retournoit s'en devant derrière les jambes, les bras et la face. Quelques-unes ainsi tourmentées vomissoyent grande quantité de liqueur noire, comme ancre, quoi que auparavant elles n'eussent mangé six sepmaines durant que du jus de raiforts, sans pain. Ceste liqueur estoit si amere et poignante qu'elle leur eslevoit la première peau de la bouche, et ne sçavoit-on leur faire sauce quelconque qui peust les mettre en appétit de prendre autre chose. Aucunes estoient eslevées en l'air à la hauteur d'un homme, et tout soudain rejettées contre terre. Or comme quelques-uns de leurs amis jusques au nombre de treize fussent entrez en ce couvent pour resjouir celles qui sembloyent soulagées et presque gueries, les unes tomberent incontinent à la renverse hors de la table où elles estoyent, sans pouvoir parler, ni conoistre personne, les autres demeurerent estendues comme mortes, bras et jambes renversées. Une d'entre elles fut soulevée en l'air, et quoi que les assistans s'efforçassent l'empescher et y missent la main, toutes fois elle leur estoit arrachée maugré eux, puis tellement rejettée contre terre qu'elle sembloit morte. Mais se relevant puis après, comme d'un somme profond, elle sortoit du réfectoir n'ayant aucun mal. Les unes marchoyent sur le devant des jambes, comme si elles n'eussent point eu de pieds, et sembloit qu'on les trainast par derrière, comme dedans un sac deslié. Les autres grimpoyent au faiste des arbres comme des chats, et en descendoyent à l'aise du corps. Il advint aussi comme leur abbesse parloit à madame Marguerite, comtesse de Bure, qu'on lui pinça fort rudement la cuisse, comme si la pièce en eust esté emportée, dont elle s'écria fort. Portée incontinent en son lict, la playe fut veue livide et noire, dont toutes fois elle guérit. Cette bourrellerie de nonnains dura trois ans a descouvert, depuis on tint cela caché.
«Ce qui advint jadis aux nonnains de Brigitte en leur couvent près de Xante, convient à ce que nous venons de réciter. Maintenant elles tressailloyent ou beeloyent comme brebis, ou faisoyent des cris horribles. Quelques fois elles estoyent poussées hors de leurs chaires au temple où là mesmes on leur attachoit la voile dessus la teste: et quelques fois leur gavion estoit tellement estouppé qu'impossible leur estoit d'avaler aucune viande. Ceste estrange calamité dura l'espace de dix ans en quelques-unes. Et disoit-on qu'une jeune nonnain, esprise de l'amour d'un jeune homme en estoit cause, pour ce que ses parens le lui avoyent refusé en mariage. Et que le diable prenant la forme de ce jeune homme s'estoit monstré à elle en ses plus ardentes chaleurs, et lui avoit conseillé de se rendre nonnain, comme elle fit incontinent. Enfermée au couvent, elle devint comme furieuse et monstra à chacun des horribles et estranges spectacles. Ce mal se glissa comme une peste en plusieurs autres nonnains. Cette premiere sequestrée s'abandonna à celui qui la gardoit et en eust deux enfans. Ainsi Satan dedans et dehors le couvent fit ses efforts détestables.»
«Cardon rapporte qu'un laboureur... vomissait souventes fois du voirre[1], des cloux et des cheveux, et (qu'après sa guérison) il sentait dedans son corps une grande quantité de voirre rompu: lequel faisoit un bruit pareil à celuy qui se fait par plusieurs pièces de voirre rompu enfermées en un sac. Il dit encore qu'il se sentoit fort travaillé de ce bruit et que de dix-huit en dix-huit nuicts sur les sept heures, encore qu'il n'observast le nombre d'icelles, si est-ce qu'il avoit senti par l'espace de dix-huit ans qu'il y avoit qu'il estoit guari, autant de coups en son coeur, comme il y avoit d'heures à sonner: ce qu'il endurait non sans un grand tourment.»
[Note 1: Verre.]
«J'ay veu plusieurs fois, dit Goulart[1], une démoniaque, nommée George, qui par l'espace de trente ans fut par intervalles fréquens tourmentée du malin esprit, tellement que parfois en ma présence elle s'enfloit, et demeuroit si pesante que huict hommes robustes ne pouvoyent la souslever de terre. Puis un peu après, exhortée au nom de Dieu de s'accourager, certain bon personnage lui tendant la main, elle se relevoit en pieds, et s'en retournoit courbée et gémissante chez soy. En tels acces oncques elle ne fit mal à personne quelconque fust de nuict, fust de jour, et si demeuroit avec un sien parent qui avoit force petits enfans tellement accoustumez à cette visitation, que soudain qu'ils l'entendoyent se tordre les bras, fraper des mains, et tout son corps enfler d'estrange sorte, ils se rangeoyent en certain endroit de la maison pour recommander ceste patiente à Dieu. Leurs prières n'estoyent jamais vaines. La trouvant un jour en certaine autre maison du village où elle demeuroit, je l'exhortoy à patience... Elle commence à rugir de façon estrange, et de promptitude merveilleuse me lance sa main gauche, dont elle m'empoigne les deux poings, me serrant aussi ferme que si j'eusse été lié de fortes cordes. J'essaye me despetrer, mais en vain, quoy que je fusse aussi robuste qu'un autre. Elle ne me fit aucune nuisance, ni ne me toucha de la main droite. Ayant esté retenu d'elle autant de temps que j'ai employé à descrire son histoire, elle me lasche soudain, me demandant pardon. Je la recommande à Dieu, puis la conduisis paisiblement en son logis... Quelques jours devant son trespas, ayant esté fort tourmentée elle s'alicta, saisie d'une fièvre lente. Alors la fureur du malin esprit fut tellement bridée et limitée, que la patiente fortifiée extraordinairement en son âme par l'espace de dix ou douze jours ne cessa de louer Dieu, qui l'avoit soutenue si miséricordieusement en son affliction, consolant toutes personnes qui la visitoyent... Je puis dire que Satan fut mis sous les pieds de ceste patiente, laquelle deceda fort paisiblement en l'invocation de son sauveur.»
[Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. II, p. 791.]
Goulart[1] raconte que «il y avoit à Leuenstcet, village appartenant au duc de Brunswick, une jeune fille nommée Marguerite Achels, aagée de vingt ans, laquelle demeuroit avec sa soeur. Un jour de juin, voulant nettoyer quelques souliers, elle prit l'un de ses cousteaux de demi pied de longueur et comme elle commençoit, assise en un coin de chambre, et encore toute faible d'une fièvre qui l'avoit tenue long-temps, entra soudain une vieille, qui l'interrogua si elle avoit encore la fièvre, et comment elle se portoit de sa maladie, puis sortit sans dire mot. Après que les souliers eurent esté nettoyés, cette fille laisse tomber le couteau en son giron lequel depuis elle ne put retrouver, encore qu'elle le cerchast diligemment; ce qui l'effroya, mais encores plus quand elle descouvrit un chien noir couché dessous la table qu'elle chassa, espérant trouver son cousteau. Le chien tout irrité commence à lui monstrer les dents et grondant se lance en rue, puis s'enfuit. Il sembla incontinent à cette fille qu'elle sentit je ne sçay quoi, qui lui descendoit par derrière le lez du dos comme quelque humeur froide, et soudain elle s'esvanouit demeurant ainsi jusques au troisiesme jour suivant, qu'elle commença à respirer un petit et à prendre quelque chose pour se sustanter. Or estant diligemment interroguée de la cause de sa maladie, elle respondit sçavoir certainement que le couteau tombé en son giron estoit entré dedans son costé gauche, et qu'en ceste partie elle sentoit douleur. Et encore que ses parents lui contredissent, d'autant qu'ils attribuoyent cette indisposition a un humeur melancholique, et qu'elle resvoit à raison de sa maladie, de ses longues abstinences et autres accidens, si ne cessa-elle point de persister en ses plaintes, larmes et veilles continuelles, tellement qu'elle en avoit le cerveau troublé et estoit quelquefois l'espace de deux jours sans rien prendre, encore qu'on l'en priast par douceur, et quelquefois on la contraignoit par force. Or avoit-elle ses accès plus forts en un temps qu'en l'autre, tellement que son repos duroit peu à raison des continuelles douleurs qui la tourmentoyent: tellement qu'elle estoit contrainte de se tenir toute courbée sur un baston. Et ce qui plus augmentoit son angoisse et diminuoit son allegement, estoit que véritablement, elle croyoit que le cousteau fut en son corps et qu'en cela chacun lui contredisoit opiniatrement, et lui proposoit l'impossibilité, jugeant qu'elle avoit la phantasie troublée, attendu que rien n'apparaissoit qui peust les induire à tel avis, sans que ses continuelles larmes et plaintes, esquelles on la vit continuer pendant l'espace de quelques mois et jusques à ce qu'il apparut au costé gauche un peu au-dessus de la ratelle, entre les deux dernieres costes que nous nommons fausses, une tumeur de la grosseur d'un oeuf, en forme de croissant, laquelle accreut et diminua, selon que l'enfleure apparut et print fin. Alors ceste pauvre malade leur dit: Jusques à présent vous n'avez voulu croire que le cousteau fut en mon corps, mais vous verrez bientôt comme il est caché en mon costé. Ainsi le trentième de juin, à sçavoir environ treize mois accomplis de cette affliction, sortit si grande abondance de boue hors de l'ulcère, qui s'estoit fait en ce costé, que l'enflure vint à diminuer, et lors parut la pointe du couteau que la fille désiroit arracher: toutes fois elle en fut empeschée par ses parens, lesquels envoyèrent chercher le chirurgien du duc Henri, qui pour lors estoit au chasteau de Wolfbutel. Ce chirurgien venu le quatriesme jour de juillet, pria le curé de consoler, instruire et accourager la fille, et de prendre garde aussi à ses réponses, pour autant que chacun la réputoit démoniaque. Elle condescendit à estre gouvernée par le chirurgien, non sans opinion que la mort soudaine s'en ensuivroit. Le chirurgien, voyant la pointe du cousteau qui se monstroit sous les costes le tint avec ses instruments et le trouva semblable à l'autre, qui estoit resté dans la gaine, et fort usé environ le milieu du tranchant. Depuis l'ulcère fut guéri par le chirurgien.»
[Note 1: _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 155.]
Mélanchthon[1] cité par Goulart[2] rapporte «qu'il y avoit une fille au marquisat de Brandebourg, laquelle en arrachant des poils du vestement de quelque personnage que ce fust, ces poils estoyent incontinent changez en pièces de monnoye du pays, lesquelles ceste fille maschoit avec un horrible craquement de dents. Quelques-uns luy ayant arraché de ces pièces d'entre les mains trouvèrent que c'estoyent vrayes pièces de monnoye, et les gardent encore. Au reste cette fille estoit fort tourmentée de fois à autre: mais au bout de quelques mois elle fut du tout guerie et a vescu depuis en bonne santé; on fit souvent prières pour elle, et s'abstint-on expressément de toutes autres cérémonies.»
[Note 1: En ses _Épîtres_.]
[Note 2: _Thrésor des histoires admirables_.]
«J'ay entendu, rapporte le même auteur au même endroit[1], qu'en Italie y avoit une femme fort idiote, agitée du diable, laquelle enquise par Lazare Bonami, personnage assisté de ses disciples, quel estoit le meilleur vers de Virgile, répondit tout soudain:
[Note 1: Cité par Goulart, _Thrésor des histoires admirables_, t. I, p. 143.]
_Discite justitiam moniti et non temnere divos_.
C'est, adjousta-t-elle le meilleur et le plus digne vers que Virgile fit oncques: va-t-en et ne retourne plus ici pour me tenter.»
Une nommée Louise Maillat, petite démoniaque qui vivait en 1598, perdit l'usage de ses membres; on la trouva possédée de cinq démons qui s'appelaient _loup, chat, chien, joly, griffon_. Deux de ces démons sortirent d'abord par sa bouche en forme de pelotes de la grosseur du poing; la première rouge comme du feu, la seconde, qui était le chat, sortit toute noire; les autres partirent avec moins de violence. Tous ces démons étant hors du corps de la jeune personne firent plusieurs tours devant le foyer et disparurent. On a su que c'était Françoise Secrétain qui avait fait avaler ces diables à cette petite fille dans une croûte de pain de couleur de fumier[1].
[Note 1: M. Garinet, _Hist. de la Magie en France_, p. 162.]