Pierre De Lancre.
En 1484, la bulle Summis Desiderantes désigna deux inquisiteurs pour enquêter et mettre un peu d'ordre. En 1489 Sprenger avait publié le Malleus Maleficarum - le marteau des sorciers - livre fondamental qui constitue le code de la sorcellerie. A partir de ce moment les juges ecclésiastiques et laïques se mirent à la triste besogne, les bûchers s'allumèrent pour purger le royaume des serviteurs de Satan, l'histoire ouvrait ses portes à l'abomination incarnée en un seul homme : Pierre de Lancre.
Né en 1553 d'une famille bourgeoise bordelaise, contemporain de Montaigne, il avait été envoyé jeune en Italie pour étudier le droit à Turin. Curieux, il avait visité toute la péninsule. Docteur en droit en 1579, il avait pris des vacances avant de rentrer à Bordeaux, avait poussé jusqu'à Prague puis était revenu en traversant la Provence et le Languedoc. D'abord avocat, il devint conseiller au Parlement de Bordeaux le 3 août 1582. En le choisissant pour mettre de l'ordre dans le pays de Labourd, on savait qu'il était particulièrement renseigné sur le surnaturel et le merveilleux, durant ses études on lui avait révélé la puissance du démon en lui montrant chez un apothicaire une jeune fille possédée par le malin. En matière de sorcellerie, il avait tout lu et croyait à tout. Un auteur avait dit parlant de lui que sa bonne foi atteignait la naïveté et sa dévotion l'illuminisme.
Lancre, lorsqu'il reçut sa mission avait cinquante-six ans, l'horreur pouvait commencer... Dés son arrivée, De lancre savait que la région du pays de labourd était la proie du démon, à l'évidence il y'avait des sorciers partout : "Il y'a bien peu de familles qui ne touchent au sortilège par quelque bout".
En un premier temps, il fit décerner des monitoires. Les monitoires sont des mises en demeure, publiées dans les églises, pour enjoindre sous les peines ecclésiastiques, à quiconque pouvait fournir quelques renseignements intéressants les poursuites contre les sorciers de porter dénonciateur. L'arrestation d'un sorcier se faisait avec une extrême précaution, comme la puissance des sorciers vient de la terre dont le centre est la région des flammes infernales, on le saisissait par surprise et on le soulevait de terre. Puis on le plaçait dans un panier dont les anses étaient accrochées à un bâton que deux hommes portaient sur les épaules. Le sorcier était ainsi conduit en prison.
Le premier procès fut fait près d'Acqs à quatre sorcieres et un sorcier qui avaient avoué avoir donné le mal de "Laya" - forme magique de l'épilepsie - à de nombreuses personnes, l'église d'Amou avait été le théâtre d'une marque du Malin, quarante personnes s'étaient roulé à terre et avaient aboyé comme des chiens. La première sorcière appréhendée fut Françoise Broquerion, à qui il suffisait de s'approcher d'un maléficié pour qu'il tombe à terre et entre en crise.
Pour faciliter les recherches, Lancre s'était entouré de collaborateurs dévoués, un chirurgien de Bayonne spécialisé dans la recherche de la Stigma diaboli - la marque du Diable - emplacement du corps, secret et insensible, c'est là que le Diable avait posé le doigt au moment du pacte en signe de possession. Pour découvrir la marque, le chirurgien rasait d'abord tout le corps puis il enfonçait des aiguilles dans les endroits suspectés. Bien meilleure collaboratrice était Mongui, très jolie fille de 17 ans que Lancre avait attachée à sa personne. C'était une repentie qui racontait que pendant plusieurs années avant elle avait été conduite au Sabbat par des sorcières. On lui faisait chercher aussi la marque sur les jolies femmes "qui sont dans les parties très secretes". C'est ainsi que d'arrestations en arrestations et en de nombreux interrogatoires une grande partie de la population finit par avouer sa participation et sa dévotion au Démon. Du maître de Tartas qui avait conduit ses six écoliers au Sabbat au maître de cérémonies un pauvre homme de 73 ans, ils furent tous torturés et brûlés.
De Lancre se déchaîna dans le prononcement de condamnations impitoyables, ou se tenait le Sabbat ? les aveux jaillissaient mélanges à des cris et à des flots de sang. Le diable était partout le soir dans la lande, les femmes volaient et couraient échevelés, on les voyaient nues sur un bâton ou portées sur un bouc. Le conflit qui se dessinait entre les autorités religieuses et laïques allait mettre un terme à cette tuerie. Le 1er novembre la mission de Lancre se finissait, responsable de plus de 500 morts, il pouvait reprendre le chemin de bordeaux. Il y publia le tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons vers 1620, au pays de labourd on respirait mais pas pour longtemps, un peu plus tard louis XIII envoya le sévère Laubardemon qui dit un jour Donnez moi deux lignes de l'écriture d'un homme et je le ferai pendre...
Quant à Lancre il vécut vieux et mourut en 1631 à l'âge de 78 ans en laissant ces quelques vers :
Elles prennent plaisir d'écorcher des crapauds
De poudre d'araignées assaisonnent leurs peaux
Et, dans les eaux puantes
Du lac Tennarien détrempant leur venins,
Ces marâtres méchantes
Font mourir les humains de leurs charmes malins.
Défintion d'aprés le dictionnaire des sciences occultes :
1° l'Incrédulité et mécréance du sortilège pleinement convaincues , où il est amplement et curieusement traité de la vérité ou illusion du sortilège, de la fascination, de l'attouchement, du scopélisme, de la divination, de la ligature ou liaison magique, des apparitions et d'une infinité d'autres rares et nouveaux sujets, par P. Delancre, conseiller du roi en son conseil d'État. Paris, Nicolas Buon, 1612, in-4° de près de 900 pages, assez rare, dédié au roi Louis XIII ; divisé en dix traités. Dans le premier traité, l'auteur prouve que tout ce qu'on dit des sorciers est véritable. Le second, intitulé De la fascination, démontre que les sorcières ne fascinent, en ensorcelant, qu'au moyen du diable. Par le troisième traité, consacré à l'attouchement, on voit ce que peuvent faire les sorciers par le toucher, bien plus puissant que le regard. Le traité quatrième, où il s'agit du scopélisme , nous apprend que, par cette science secrète, on maléficie les gens en jetant simplement des pierres charmées dans leur jardin. Le magnétisme explique aujourd'hui la plupart de ces prodiges. Le traité suivant détaille toutes les divinations. Au sixième traité, on s'instruit de tout ce qui tient aux ligatures. Le septième roule sur les apparitions. L'auteur, qui ne doute jamais de rien, en rapporte beaucoup. Il tombe, dans le huitième traité, sur les juifs, les apostats et les athées. Dans le neuvième, il s'élève contre les hérétiques, dont l'apparition dans tous les temps a produit en effet des fanatismes plus ou moins absurdes ou abominables. Il se récrie, dans le dernier traité, contre l'incrédulité et mécréance des juges en fait de sorcellerie. Le tout est suivi d'un recueil d' Arrêts notables contre les sorciers.
2° Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons , où il est amplement traité de la sorcellerie et des sorciers ; livre très curieux et très utile, avec un discours contenant la procédure faite par les inquisiteurs d'Espagne et de Navarre à cinquante-trois magiciens, apostats, juifs et sorciers, en la ville de Logrogne en Castille, le 9 novembre 1610 ; en laquelle on voit combien l'exercice de la justice en France est plus juridiquement traité et avec de plus belles formes qu'en tous autres empires, royaumes, républiques et États, par P. Delancre, conseiller du roi au Parlement de Bordeaux ; Paris, Nicolas Buon, 1612, in-4° d'environ 800 pages, très recherché, surtout lorsqu'il est accompagné de l'estampe qui représente les cérémonies du sabbat.
Cet ouvrage est divisé en six livres ; le premier contient trois discours sur l'inconstance des démons, le grand nombre des sorciers et le penchant des femmes du pays de Labour pour la sorcellerie. Le second livre traite du sabbat, en cinq discours. Le troisième roule sur la même matière et sur les pactes des sorciers avec le diable, pareillement en cinq discours. Le quatrième livre, qui contient quatre discours, est consacré aux loups-garous ; le livre cinquième, en trois discours, aux superstitions et apparitions ; et le sixième, aux prêtres sorciers, en cinq discours. Tout ce que ces ouvrages présentent de curieux tient sa place dans ce dictionnaire.