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Entretien avec Alda Teodorani par Patryck Ficini

Sire Cédric




Peux-tu te présenter à nos lecteurs et dire quelques mots sur ton œuvre ?

- Je suis née lectrice avant d’être écrivain. Enfant, j’aimais beaucoup lire Edgar Allan Poe, qui fut un peu mon modèle, même si mon oeuvre s’est détachée de la sienne. J’ai beaucoup apprécié ce côté un peu nécrophile qui se trouve dans nombre de ses écrits. Quand j’ai commencé à écrire, je voulais quelque chose de très violent et novateur qui, au moins en Italie, délimite une frontière nette entre ce qui avait été écrit à ce moment et ce qui allait arriver ensuite. C’était le début des années 90 et les temps étaient propices pour le faire. Les premiers films gore américains étaient sortis et en Italie, il y avait la mode du fumetto gore. C’est pour ça que j’ai commencé avec des nouvelles vraiment dures. Je pensais que ce qui m’aurait émue aurait donné ce sentiment au lecteur. J’ai continué sur cette voie en essayant d’expérimenter le plus possible et, alors que personne ne l’avait encore fait, j’ai cherché à me consacrer à une littérature multimédia. J’ai continué avec quelques nouvelles classiques et d’autres plus expérimentales, violentes, à la limite du supportable. D’autres encore, comme L’ISOLA, qui vient de sortir en France, avec des thématiques classiques mais plus profondes, nécrophiles.

Tu as débuté dans le fumetto, avec les SPLATTER. Ce média est-il important pour toi ? Une évocation de tes premières armes dans le domaine de la fiction ?

- Le fumetto est important pour moi. J’ai beaucoup travaillé dans ce secteur. J’ai commencé ma carrière par des scénarios de B.D, puis comme critique spécialisée. J’ai ensuite collaboré avec Francesco Coniglio, éditeur historique de fumetti (en Italie, SPLATTER, MOSTRI, TORPEDO, et surtout la revue érotique BLUE), avant de travailler avec Dino Caterini, dessinateur éclectique et grand mécène qui, après diverses initiatives éditoriales, édite maintenant ICOMICS, une revue dédiée au fumetto classique, qui publie notamment des B.D françaises, et SHINIGAMI, dont se charge Paolo Di Orazio, autre nom inoubliable du gore italien, qui m’accueille avec d’autres amis du neo-noir comme Fabio Giovannini et Antonio Tentori.

L’Italie est mondialement réputée pour l’horreur, dans la B.D et le cinéma. On connaît moins votre littérature d’horreur. Penses-tu qu’il y a une spécificité de l’horreur à l’italienne, souvent extrême ?

- Je ne crois pas qu’il y ait une spécificité italienne de l’horreur. Je pense en revanche qu’il y a eu beaucoup de tentatives de la part de divers auteurs pour oeuvrer dans ce genre, comme Nerozzi, Arona, Manfredi avec qui j’ai travaillé le plus. Et bien sûr l’inoubliable Sclavi, surtout connu pour DYLAN DOG. Selon moi, ce sont des cas isolés, pas du tout courant. Il y a bien eu l’expérience de la Jeunesse Cannibale (traduit chez Naturellement), mais il s’agissait de textes grotesques, à la limite du ridicule, qui se moquaient plus de l’horreur qu’autre chose. Les amis que je connais et qui se consacrent à la littérature horrifique ont des références cinématographiques. Je pense à Antonio Tentori, Fabio Giovannini, Marco Minicangeli et tous les autres du mouvement neo-noir, qui s’intéresse au fond peut-être plus au noir qu’à l’horreur.

As-tu déjà eu des problèmes avec la censure, par exemple de la part des éditeurs ?

- J’ai eu des problèmes avec la censure. Nombre d’éditeurs intéressés par mon travail ont renoncé à me publier à cause de mes thématiques. Ils m’ont cataloguée comme une écrivaine trop féroce. Plusieurs fois, on m’a refusé mes textes sans même les lire à cause de l’étiquette qu’on m’avait collée. Ce qui ne me déplaît pas. Mais j’ai toujours voulu publier mes travaux intégralement et ce qui est sorti n’a jamais été coupé.





Y-a-t-il des points communs entre le giallo (ARGENTO, BAVA, MARTINO, etc.), le thriller à l’italienne, et ton oeuvre ? Te sens-tu inspirée par le cinéma thriller et horreur italien ? Et par le cinéma en général ?

- J’ai sûrement été inspirée par les maîtres du giallo italien comme Argento, Bava, Martino, Fulci, surtout en ce qui concerne la vision subjective de l’assassin. Dario Argento a su explorer de manière très profonde le cinéma thriller et horrifique. En cela, il m’a inspirée, ainsi que sa cruauté inégalée, même dans le cinéma américain. Du cinéma en général, je retiens qu’il y a beaucoup à apprendre pour un écrivain qui veut s’adresser à un lecteur désenchanté comme celui d’aujourd’hui, en particulier pour le rythme de l’écriture. J’aime expérimenter, vagabonder, mais j’aime beaucoup aussi un style d’écriture rapide et captivant, violent et émouvant. Je ne parviens pas à vivre sans émotions. Je me sens morte autrement.

A la différence de nombreux auteurs de thrillers, tu aimes les textes courts (nouvelles et romans). Pourquoi ?

- J’aime le texte court parce que je le ressens comme plus émouvant. Les paroles en plus, risquent de fatiguer et de lasser le lecteur, surtout à notre époque où, qu’on le veuille ou non, on consacre moins de temps à la lecture. Plus il y a de paroles et plus les émotions diminuent. J’ai des collègues qui veulent créer une sorte d’Odyssée moderne. Ce n’est pas ma façon de voir les choses. Ce n’est pas le type de lecture que j’aime et ce n’est pas ce que je veux écrire.

Tu reviens aujourd’hui en France avec L’ISOLA. On te connaît peu de ce côté des Alpes alors que nombre de tes confrères du roman policier sont traduits. As-tu une explication pour cette faible présence sur la marché français ?

- Je crois que si je ne suis pas davantage connue en France, c'est parce que j’ai toujours choisi des petites maisons d’éditions, alors que mes collègues ont toujours travaillé pour Mondadori ou des maisons d'édition plus importantes. Ils ont ainsi eu des agents littéraires qui ont su négocier leur présence sur le marché étranger. En Italie, on assiste souvent au phénomène de l’échange d’auteurs : écrivains confirmés mais surtout novices, qui ont l’idée de publier un livre du jour au lendemain. Ils sont présentés à d’importants agents littéraires possesseurs de droits des grands auteurs étrangers. Ceux-ci sont vendus aux maisons d’éditions avec des auteurs italiens presque inconnus. Tout cela semble naturel, et il semble normal que les lois éditoriales ne reflètent jamais le talent des auteurs.

Parmi les écrivains qui t’ont inspirée (THOMAS HARRIS, BRETT EASTON ELLIS, ROBERT BLOCH, SCERBANENCO ?), y-a-t-il aussi des français ?

- J’aime les auteurs français classiques, comme Maupassant, Hugo, Dumas, Pascal. Je suis naturellement passée par Baudelaire et Prévert, l’incontournable Sartre, ainsi que Françoise Sagan. J’aime aussi le cinéma noir français, avec ses histoires de trahisons, meurtres, filles de mauvaise vie, les gangs de marseillais et les tueurs professionnels. Tous ces personnages désespérés avec le mal niché en eux.

Peux-tu nous parler de L’ISOLA, qui est sorti cette année en France aux Editions de L’Antre ? C’est un petit évènement car cela ne s’était pas produit depuis 2002, chez Naturellement.



L'Isola


- L’ISOLA est une novella née en 2003, quand j’expérimentais un langage horrifique qui évoque la littérature gothique, quelque chose de visionnaire qui s’insinue dans le cœur et l’esprit du lecteur, comme une sorte de décomposition. L’idée d’un hôtel isolé où échoue le couple de protagonistes m’est venue de ma passion pour PSYCHOSE de Robert Bloch. Je pensais qu’il était particulièrement intéressant d’examiner les dynamiques qui peuvent naître dans un couple en crise, qui souffre aussi de quelques problèmes psychiatriques. J’ai cherché à voir les paysages extérieurs, la vie des personnages et l’hôtel avec un regard fou, fragmenté par la femme. En 2004, le groupe italien de musique électronique LE FORBICI DI MANITU m’a demandé de pouvoir joindre à mes textes leurs morceaux inspirés de L’ISOLA, comme une vraie colonne sonore de film. Pour être précis, c’est probablement ma novella qui est la colonne littéraire du CD. Le booklet est illustré par Emanuela Biancuzzi. En réalité, j’ai toujours désiré revenir en France avec l’une de mes histoires (après la publication de BELVE-CRUAUTES chez Naturellement). Il m’a donc semblé excellent d’éditer L’ISOLA en France. Je suis certaine qu’il plaira beaucoup aux lecteurs français.

Pour finir, quelle est ton actualité, à part L’ISOLA ? Des projets ?

- Actuellement, je suis très concentrée sur la réalisation de produits multimedias. J’ai toujours été fascinée par la théorie sur le son archaïque (il semble que les sons du Big Bang soient restés imprimés dans la pierre), sur la récolte des sons de la nature et de l’environnement. C’est pour cela que j’ai décidé d’écrire sur ce thème.

Le premier travail dans ce sens a été une nouvelle intitulée L’UOMO DELLE STELLE où les sons sont comparés aux corps célestes. Le protagoniste réussit à créer son univers personnel parallèle où il peut travailler en paix, loin du bruit. Puis j’ai pensé faire des lectures, ma voix accompagnée de sons et de musique.

Je pensais impliquer des musiciens de groupes électroniques et expérimentales. J’ai publié une première version de 15 DESIDERI en 2004, avec des musiques de Mirko Fabbreschi, mais j’étais obsédée par l’idée d’en faire un travail collectif. Aussi, après avoir récupéré les droits, je me suis sentie libre de tenter une expérience (celle que je voulais faire depuis le début sans trouver les bonnes personnes pour m’accompagner). J’ai réussi à faire participer des musiciens et des dessinateurs pour obtenir un résultat encore plus proche de ce que je voulais en 2004. C’est à dire un ensemble de morceaux et d’illustrations qui accompagnent ma voix. Bien sûr, je n’ai pas fait cela toute seule : beaucoup d’amis m’ont aidée et à la fin, nous avions une équipe de 70 personnes. Chacun a apporté ses propres compétences et leurs passions pour une publication polysensorielle, coproduite par 20 éditeurs indépendants, ce qui démontre que autoproduction ne signifie pas “basse qualité” mais partage et engagement collectif.

Aujourd’hui, ALDA TEODRANI PRESENTS QUINDICI DESIDERI est un audio art book : un recueil de nouvelles érotiques en prose poétique, en 4 langues (italien, anglais, français, allemand) illustré par la créativité de 15 artistes. Mais c’est aussi un CD avec 15 groupes qui accompagnent ma voix dans une rencontre expérimentale entre paroles et sons de divers genres musicaux (du progressif à l’industriel, du jazz au drone, post rock, wave et punk.) C’est un imposant projet collectif qui a impliqué plus de 70 personnes, musiciens, traducteurs, artistes, graphistes, ingénieurs du son. Le résultat : un livret de 48 pages avec 15 illustrations, 57 minutes de musique inédite, une carte postale surprise avec une des 15 illustrations, 15 copies signées per moi et insérées au hasard dans celles en distribution.





Les sites officiels du projet sont : www.15desideri.com et myspace.com/15desideri.

En ce qui concerne l’avenir, j’ai en tête un retour au « classique » avec la violence de mes premières œuvres ! Je ne peux en dire plus.

Grazie mille, Alda !



Alda Teodorani


Le 15 Septembre 2011

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