Rapports magiques des forces de la vie inférieure dans le royaume de morts. Des vampires. Résultats de informations juridiques sur ce point. GOËRRES 1853 - La mystique diabolique


Si l’homme, outre ces rapports généraux avec tous les domaines de la nature, peut entrer encore en relation avec eux d’une manière extraordinaire et magique, il n’est pas étonnant qu’il puisse se trouver uni de cette manière à ses semblables, puisque déjà il existe entre tous les individus de la même espèce une certaine consonance, en vertu de laquelle l’un peut s’emparer de l’autre, et se l’assujettir dans toutes les régions de son être, soit pour le bien, soit pour le mal. Ce rapport toutefois commence ordinairement dans la partie inférieure et végétale de l’homme. C’est après la mort, lorsque les forces de la vie supérieure se sont retirées et lorsque le cadavre garde encore celles qui président aux fonctions de la vie végétale, que ces rapports extraordinaires se produisent de la manière la plus frappante. Il monte de là dans les régions de la vie animale, et affecte particulièrement celle où réside l’appétit sexuel. Après avoir commencé par l’obsession, il monte bientôt jusqu’à la possession, et conduit quelquefois à la génération. Ces relations anormales se produisent à plusieurs degrés et sous plusieurs formes. Tantôt l’homme encore vivant peut communiquer à distance à un autre homme vivant comme lui les émanations de sa propre vie, et exercer sur lui une influence pernicieuse ou salutaire. Cette faculté est quelquefois

L’effet d’une disposition naturelle, et se produit par la seule présence de celui qui la possède.

D’autres fois elle attend pour se manifester le commandement de la volonté, et certaines manipulations ayant pour but d’amener le sommeil, ou quelque autre état qui lui ressemble, comme dans le magnétisme. C’est dans cet ordre que nous étudierons ce genre de rapports singuliers.

Au passage de la vie organique dans la vie purement physique de la nature extérieure se trouvent la mort et la corruption, où le corps, abandonné par le principe vital qui en retenait toutes les parties, retombe dans le domaine général de la nature, et se trouve assimilé de nouveau par elle. Si le métal ou le filet d’eau caché dans les profondeurs de la terre peut agir à distance sur l’homme, ou subir son action, il n’est pas étonnant que des rapports semblables puissent s’établir entre celui-ci pendant qu’il vit encore et ceux qui sont déjà sortis de cette vie et dont le cadavre repose dans la nuit du tombeau : et c’est dans les rapports de cette sorte que trouve sont explication cet état singulier connu sous le nom de vampirisme. Nous commencerons d’abord par établir les faits, tels qu’ils sont constatés dans les informations juridiques. Nous y ajouterons ensuite ceux qui ont été observés d’une manière accidentelle, et ceux que le peuple raconte à sa manière, et nous essayerons ensuite de les expliquer d’une manière scientifique, en leur appliquant les principes que nous avons déjà posés plus haut.

Après qu’en 1718 une partie de la Servie et de la Valachie fut échue à l’Autriche, le gouvernement autrichien reçut plusieurs rapports qui lui étaient adressés par les commandants des troupes cantonnées dans le pays. On y disait que c’était une croyance générale parmi le peuple que les personnes mortes, mais vivant encore dans le tombeau, en sortaient en certaines circonstances, pour aller sucer le sang des vivants, et entretenir ainsi sous terre un reste de santé et de bien-être. Déjà en 1720 un rapport annonçait à Kisolova, village situé en basse Hongrie, une certain Pierre Plogojowitz, dix semaines environ après sa sépulture, était apparu la nuit à plusieurs habitants, et leur avait tellement serré le cou qu’ils étaient morts en vingt-quatre heures ; de sorte que dans l’espace de huit jours il était mort de cette manière neuf personnes, les une jeunes, les autres âgées. Sa veuve elle-même avait été inquiétée par lui, et avait quitté à cause de cela le village. Les habitants demandèrent au commandant de Gradisca l’autorisation d’exhumer le cadavre et de le brûler. Le commandant la leur ayant refusée, ils déclarèrent qu’ils quitteraient tous le village si on ne leur accordait pas leur demande. Le commandant se rendit donc au village avec le curé. Il fit ouvrir le cercueil de Pierre, et l’on trouva son corps intact, à l’exception du bout du nez, qui était un peu desséché, mais il n’exhalait aucune mauvaise odeur, et ressemblait plutôt à un homme endormi qu’à un mort. Ses cheveux et sa barbe avaient crû ; de nouveaux ongles avaient remplacés ceux qui étaient tombés. Sous la peau extérieure, qui paraissait blême et morte, avait crû une autre peau vive : les mains et les pieds ressemblaient à ceux d’un homme en parfaite santé. Comme on trouva dans sa bouche du sang tout frais encore,

Le peuple crut que c’était celui qu’il avait sucé à ceux qui étaient morts tout dernièrement, et on ne puit l’empêcher d’enfoncer dans la poitrine du cadavre un pieu pointu. Il sortit alors beaucoup de sang frais et pur de la bouche et du nez. Les paysans jetèrent le corps sur un bûcher et le brûlèrent.

Quelques années plus tard, un soldat des frontières qui demeurait à Haidamac, raconta à son régiment qu’étant assis un jour à table avec son hôte il avait vu entrer un inconnu qui était venu s’asseoir avec eux : que son hôte avait été fort effrayé, et qu’il était mort le lendemain ; qu’il avait appris ensuite que cet étranger, mort il y avait déjà dix ans, était le père de son hôte lui-même, qu’il lui avait annoncé et même donné la mort. Le comte Cabrera, capitaine du régiment, fut chargé d’examiner l’affaire, et se rendit au lieu et place avec d’autres officiers, l’auditeur et le chirurgien. Il interrogea les personnes de la maison : et comme leur témoignage fut confirmé par celui des autres habitants du lieu, il fit exhumer le cadavre, que l’on trouva parfaitement conservé, avec un regard vif comme celui d’un homme vivant. On lui coupa la tête, et l’on remit ensuite le corps dans le tombeau.

Le vampirisme ne s’est pas borné à la Servie ni à l’époque où se sont passés les faits que nous venons de relater mais nous le retrouvons partout ailleurs en d’autres temps. Les gazettes annoncèrent l’année 1693 et 94 qu’en Pologne, et particulièrement en Russie polonaise, on voyait assez souvent des vampires qui suçaient en plein jour le sang des hommes et des animaux, et que ce sang leur coulait ensuite sous terre de la bouche, du nez et des oreilles ; de sorte qu’on les trouvait souvent nageant dans un bain de sang. Ils ne se contentaient pas d’attaquer une seule personne dans une maison, mais, si l’on n’y prenait garde, tous les membres de la famille devenaient leurs victimes. Quelques-uns avec leur sang mêlaient de la farine, et ceux qui mangeaient de ce pain n’avaient rien à craindre des vampires. Cette dernière circonstance nous rappelle les Capitulaires de Charlemagne, où il est dit dans ceux « pro partibus Saxoniae, 1 -6 » : « Quiconque, séduit par le diable, croit, comme les païens, qu’il y a des hommes ou des femmes qui mangent les hommes, et brûle quelqu’un sous ce prétexte, puis donne à manger ou mange lui-même sa chair, sera puni de mort. »

En Moravie également c’était un bruit public que souvent, depuis quelques temps, des morts apparaissent à leurs amis et s’asseyaient à table avec eux sans rien dire, mais que celui à qui ils faisaient signe de la tête mourait infailliblement au bout de quelques jours. Le clergé du pays avait consulté Rome à ce sujet, mais n’avait reçu aucune réponse. On trouve sur cet objet plusieurs détails intéressants dans la Magia posthuma que Scherz publia en 1706. Ainsi, il parle d’une femme qui, quatre jours après sa sépulture, apparut à plusieurs, tantôt sous la forme d’un chien, tantôt sous celle d’un homme, et les étouffa en leur pressant le cou et l’estomac avec de grandes douleurs. Elle avait tourmenté des animaux et plusieurs fois on avait trouvé des vaches épuisées et à demi-mortes, ou bien encore attachées ensemble par la queue : les cris qu’elles poussaient indiquaient combien elles souffraient. Quelquefois, aussi on trouvait les chevaux fatigués, trempés de sueur, particulièrement sur le dos, essoufflés et écumant comme après un long voyage. Cette calamité dura plusieurs mois. L’auteur ajoute que dans les montagnes de Silésie et de Moravie ces choses arrivent souvent, qu’elles étaient néanmoins plus fréquentes autrefois que, de son temps, et qu’on les voyait de jour et de nuit : que dans les maisons où demeuraient ceux à qui en voulaient les vampires, les choses qui leur appartenaient se remuaient d’elles-mêmes et allaient d’un lieu à l’autre, quoiqu’on ne vit personne les toucher : qu’il n’y avait moyen de se débarrasser d’eux que de leur couper la tête et de les brûler, mais que ces exécutions se faisaient après une enquête juridique et solennelle. On citait le vampire devant le tribunal, on entendait les témoins, on examinait l’accusation, on inspectait son cadavre. Si l’on trouvait des signes annonçant qu’il avait fait réellement le mal dont il était accusé, on le livrait au bourreau. Il y avait cependant des vampires qui se laissaient voir trois ou quatre jours après avoir été brûlés. Pour prévenir ces malheurs, on laissait six ou sept semaines sans sépulture les corps des gens qu’on soupçonnait, et s’ils ne se corrompaient pas pendant ce temps, on les brûlait.

La légende raconte aussi qu’un homme chassa un vampire en lui prenant son suaire, qu’il avait laissé au sortir de sa tombe, et en l’emportant avec lui dans le clocher. Le vampire ne le trouvant pas à son retour, voulut monter au clocher pour le lui reprendre, mais l’autre le jeta du haut en bas. Une autre légende parle du vampire de Grando, dans la marche de Kring en Carniole, qu’on trouva tout rongé longtemps après sa mort, et dont le visage fit des mouvements comme s’il riait ; même il ouvrit la bouche comme pour aspirer l’air frais. Comme on lui présentait un crucifix, il versa des larmes. Enfin, lorsque, après avoir prié pour sa pauvre âme, on lui coupa la tête, il poussa un cri, se tourna et se tordit comme s’il eût été vivant et remplit tout le cercueil de son sang.

Un fait général sert de base à tous ses récits et à tous ces phénomènes, c’est que dans le vampirisme le cadavre est préservé pendant quelque temps de la corruption. La mort, c’est-à-dire, la séparation de l’âme avec le corps, est indubitable. Dans le cours ordinaire des choses, la décomposition devrait survenir aussitôt ; au lieu de cela, non seulement le corps reste intact, mais un sang pur et fluide coule dans le cœur,dans les veines et les intestins, et, continuant jusque dans les ombres du tombeau les fonctions qu’il remplissait pendant la vie, il sécrète encore la graisse dans le tissu cellulaire, de sorte que le corps semble acquérir quelquefois après la mort un embonpoint qu’il n’avait jamais connu pendant la vie. Dans cette turgescence générale du tissu cellulaire, les cheveux croissent, une nouvelle peau et de nouveaux ongles se forment, à peu près comme l’on voit le serpent et d’autres animaux encore changer leur peau chaque année. Ce n’est pas la nature du sol qui produit ces effets ; car à côté des vampires sont enterrés d’autres corps qui n’échappent point comme eux à la corruption ; c’est donc la nature du corps lui-même qui produit ces phénomènes. Ce qui conserve celui-là, ce n’est pas la simple adhésion de ses parties, comme dans les momies d’Egypte par exemple, mais c’est un principe actif, un acte vital qui le dispute à la mort du tombeau, et qui n’est lui-même que le résultat d’un état maladif antérieur. Toute sécrétion qui se produit dans les vaisseaux capillaires suppose un mouvement du sang dans ces parties. Or ce mouvement ne peut être après la mort ce qu’il était pendant la vie, car l’âme supérieure une fois séparée du corps, tous les esprits élémentaires qui tiennent à elle la suivent et ne peuvent plus animer les nerfs ni les muscles.

Le vampire du fond de sa tombe, exerce sur les vivants une action qui fait des vampires de tous ceux qu’elle touche. Tous en effet tombent malades, et leur mal est contagieux, l’appétit disparaît, la vie se dessèche, la consomption survient, ils meurent au bout de quelques temps sans fièvre, et deviennent vampires après leur mort. Le mal auquel il succombe est d’une nature entièrement opposée à l’état où ils se trouvent après la mort.

Le cauchemar accompagne ordinairement cette maladie singulière. Le cauchemar est un fantôme blanc, une ombre muette ou une forme d’animal qui poursuit le malade, l’étrangle avec d’horribles souffrances, en lui pressant le cou ou l’estomac. Toute son action semble dirigée vers les ganglions solaires et les nerfs qui les entourent. Ces parties de l’organisme, au reste, sont particulièrement accessibles à toutes les influences magiques.

Le vampire, tant que son corps échappe à la décomposition, sécrète, à l’aide de ce reste de vie cadavéreuse et venimeuse qu’il a gardée, un virus, lequel, pénétrant la terre, cherche un organisme qui soit déjà dans un rapport harmonique avec lui, afin de lui communiquer sa propre contagion. Or, c’est surtout parmi ceux qui lui sont attachés par les liens du sang, qu’il trouve cette harmonie. De même le métal qui git au fond de la terre cherche pour ainsi dire à se montrer au grand jour, de même que l’eau cherche la lumière par une sorte d’instinct mystérieux, de même que l’un et l’autre sucent en quelque façon celui qui, se trouvant dans un rapport particulier avec eux, entend leur langage muet, de même aussi ce qui a vécu autrefois et garde encore un reste de vie se sent quelquefois attiré vers les lieux qu’il a habités, et cherche à renouer des liens qui lui sont encore chers. S’il réussit, il entre à l’égard des êtres vivants auxquels il s’adresse dans les mêmes rapports que le magnétisé à l’égard de son magnétiseur. Il reçoit d’eux une vie véritable, puis, se l’assimilant, il la change en une vie factice, et à la place de la vie qu’il prend il donne la mort, appauvrissant ainsi les autres sans s’enrichir soi-même. Les hommes en butte aux vampires sont donc vraiment possédés par les morts ; et le peuple, avec son bon sens, a vu plus clair en cette matière que les savants avec leur esprit sceptique. Il a d’ailleurs trouvé dans l’usage de brûler les cadavres le seul remède efficace contre cette contagion, qui, se reproduisant de temps en temps d’une manière épidémique, semble, avec la plique, se rattacher principalement à la race slave, de même que la peste à celle des Turcs, car c’est parmi les Slaves que se sont produits tous les cas connus en ce genre. Le crétinisme dans lequel l’homme vit de la vie des zoophytes, offre quelques analogies avec cette singulière maladie, et peut y disposer.








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