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L'affaire Joseph Vacher

Joseph Vacher

Le 31 août 1895, fut découvert au lieu dit le Grand-Pré, situé commune de Bènonces (Ain), le cadavre affreusement mutilé d'un jeune berger, âgé de seize ans, Victor Portalier. Vers une heure de l'après-midi, il avait quitté le domicile de son maître, le sieur Berger, cultivateur au hameau d'Anglas, pour conduire le bétail au pâturage. A trois heures environ, un autre berger, Jean-Marie Robin, âgé de douze ans, aperçut le troupeau de Portalier dans un champ de trèfle. Il appela en vain son camarade et s'efforçait de ramener le bétail quand il remarqua sur la terre des traces de sang. Effrayé, il héla d'autres pâtres qui lui signalèrent la présence du garde champêtre. Celui-ci se rendit sur les lieux et, suivant les traces de sang, se trouva bientôt en présence du cadavre de Portalier, caché sous des genévriers, presque nu et couvert de blessures. Une énorme plaie s'étendant de l'extrémité inférieure du sternum au pubis ouvrait entièrement le ventre ; les intestins s'en échappaient et se répandaient sur l'abdomen et sur une cuisse.

Une autre blessure avait ouvert l'estomac et laissait se répandre sur le sol des matières alimentaires. Le thorax portait trois blessures, dont une de six centimètres de longueur sur trois de largeur, trois autres blessures existaient au cou : l'une d'elles, longue de trois centimètres, large de quatre, avait sectionné la carotide. Portalier avait donc été égorgé, éventré puis odieusement mutilé. Quatre des blessures qu'il avait reçues devaient entraîner la mort presque immédiate. L'état de la victime a permis de penser que le mobile du crime avait été l'assouvissement sur le cadavre d'une passion immonde. Le jeune Portalier avait été confié par sa mère à la Société lyonnaise pour le sauvetage de l'enfance qui l'avait placé, depuis trois ans, chez le sieur Berger, où sa conduite avait été exemplaire. Il avait su se faire aimer de tous.

Personne dans la région ne pouvait être son assassin, mais les soupçons se portèrent sur un vagabond d'allure sinistre qui avait rôdé dans le village la veille et le jour du crime. Les déclarations précises de plusieurs témoins qui l'avaient remarqué permirent de formuler son signalement. Il était âgé de trente ans environ, de taille moyenne, vêtu d'un gilet de lustrine noire avec manches, d'un pantalon à raies noires et blanches, coiffé tantôt d'un béret tantôt d'un chapeau de paille. Il était chaussé de galoches et portait un sac de toile grise et un bâton. La barbe noire comme ses cheveux était taillée en pointe et clairsemée sur les joues. La bouche était déformée, son œil droit était taché d'une rougeur et surmonté d'une cicatrice. La trace de ce vagabond fut suivie pendant toute la journée du 3 août jusqu'à six heures du soir, au moment où il traversait la ligne du chemin de fer, au passage à niveau de Villebois ; mais il fut impossible de savoir ce qu'il était devenu à partir de ce moment, et les recherches restèrent infructueuses pendant deux ans. Elles n'avaient pas cependant été abandonnées.

M. le juge d'instruction de Belley, frappé comme plusieurs magistrats, de la similitude qui existait entre le crime de Bénonces et divers crimes commis dans des circonstances analogues sur plusieurs points delà France, s'était efforcé de préciser et de compléter le signalement de l'auteur présumé et avait rédigé une commission rogatoire qui, adressée à de nombreux parquets, amena enfin la mise sous la main de la justice, de l'assassin de Victor Portalier.

Le 4 août 1897 ; le nommé Joseph Vacher était arrêté dans l'arrondissement de Tournon à raison d'une agression significative commise sur une femme. Son signalement présentait une analogie tellement frappante avec celui du vagabond désigné par des témoins de Bénonces, qu'il fut après sa condamnation par le tribunal de Tournon (7 septembre 1897), transféré à Belley. Il opposa d'abord a l'inculpation des dénégations énergiques, mais formellement reconnu par plusieurs témoins qui l'avaient vu à Bénonces il se reconnut coupable non seulement de l'assassinat du jeune Portalier, mais encore de plusieurs autres crimes semblables, par lui commis dans diverses régions de la France, qu'il avait parcourues en vagabond pendant les années 1894, 1895, 1896 et 1897 et à raison desquels l'opinion publique surexcitée, avait injustement fait peser des soupçons sur des innocents.

Ces aveux n'étaient point inspirés par le remords. Convaincu d'être l'auteur du crime, Vacher a tenté d'échapper à l'expiation suprême en faisant surgir des doutes sur sa responsabilité et il a cherché son salut dans le nombre et l'horreur de ses crimes, se représentant comme un aliéné en proie à des accès subits et inconscients de rage furieuse, tuant alors au hasard, souillant parfois les cadavres de ses victimes et leur faisant subir d'affreuses mutilations sous l'empire de la folie. La répétition et la monstruosité des crimes devaient être l'un des éléments de ce système de défense, et c'est pourquoi Vacher a fait certains aveux. Si incomplets qu'ils soient, ces aveux corroborés par une longue et patiente information, révèlent une véritable série de crimes qui dépassent en horreur tout ce que l'imagination humaine peut concevoir.

En ce qui touche le crime de Bénonces, Vacher l'a avoué au magistrat instructeur dans les termes suivants :

« De Saint-Ours, je suis revenu à Bénonces, où j'ai tué un jeune garçon que vous me dites s'appeler Portalier, mais dont je ne savais pas le nom ; il était debout, je crois, dans un pré où il gardait son bétail. »

« Je suivais un chemin qui conduisait à la montagne et passait non loin du pré. Je me suis approché du berger. Je ne lui ai rien dit, il ne soupçonnait pas pourquoi je m'approchais de lui. Je l'ai saisi brusquement à la gorge. Je l'ai tué avec un couteau dont je ne me rappelle pas la forme et que j'avais sur moi. Je lui ai coupé la gorge et je crois aussi lui avoir arrache les parties sexuelles avec les dents. J'aurais préféré abandonner certains détails en ce qui concerne certaines vilaines choses que j'ai faites, et je crains que l'exemple de ma maladie ne devienne nuisible à la moralité de la jeunesse... « Vous me demandez comment j'étais habillé, je ne m'en souviens pas ; si je me suis lavé après le crime, je ne m'en souviens pas non plus, mais je le crois. J'ai traversé ensuite des bois. Au surplus il n'est pas possible de me rappeler d'autres détails, en raison de l'état dans lequel je me trouvais.

Ces aveux complétés par les constatations matérielles ne laissent aucun doute sur la culpabilité de Vacher. C'est bien lui qui a égorgé, éventré, mutilé, pour satisfaire ses monstrueuses passions, le jeune Portalier. Et il a commis ce crime non dans un accès de folie furieuse comme il le prétend, mais avec préméditation et en pleine conscience. Apercevant un enfant isolé, sans défense, il s'est détourné de son chemin et il s'est approché doucement de lui, sans éveiller sa défiance, tenant ouvert dans la main son couteau pour lui couper la gorge. Puis brusquement, il l'a saisi par surprise et l'a frappé mortellement. Obéissant ensuite à son effroyable perversité, il l'a déshabillé, éventré, mutilé, souillé. Sa passion satisfaite, avec la même présence d'esprit et le même sang-froid qu'il avait apportés à la préparation du crime, il cache le cadavre sous les buissons, change de coiffure, met son vêtement sous son bras afin de n'être pas reconnu et entreprend à grande allure une marche forcée à travers champs, qui le soustrait bientôt aux recherches. Ce crime prémédité, accompli en pleine conscience, est le seul que les règles de la procédure criminelle aient permis de comprendre dans la présente accusation.

Joseph Vacher est né à Beaufort (Isère), le 16 novembre 1869. Il est issu d'une famille de cultivateurs honorables et très nombreuse. Ses parents étaient sains de corps et d'esprit. Parmi ses ascendants, il n'a jamais existé de fou, d'épileptique ou d'idiot. Il n'a souffert dans son enfance d'aucune maladie susceptible d'ébranler ultérieurement son système nerveux. Il allègue cependant que dans son jeune âge, il fut mordu par un chien enragé et que sa famille lui fit prendre un remède secret qui eut pour effet de l'hébéter et de lui vicier le sang. Ses crimes ne seraient d'après lui, que des accès de rage dus à cette morsure et à ce traitement.

Il a été établi que Vacher n'a jamais été mordu par un chien enragé, il aurait été seulement léché par un chien suspect d'hydrophobie et aurait bu un breuvage. Les médecins experts affirment que ce fait ne peut avoir eu aucune influence sur son état mental. Il a grandi à Beaufort, laissant le souvenir d'un enfant sournois et méchant.

Plus tard, il essaya de se mettre en service, mais il ne put rester nulle part. A dix-huit ans, il entra comme postulant chez les frères maristes de Saint-Genis-Laval.

Il en sort deux ans après, pour s'être livré, d'après un témoin à des actes infâmes sur ses camarades. Peu après, il tente d'accomplir violemment sur un enfant un acte contre nature. Il contracte ensuite une maladie honteuse pour laquelle il est soigné à Grenoble et à Lyon.

Après un séjour à Genève, il commence, le 15 novembre 1890, son service militaire au 60 e régiment d'infanterie à Besançon. Les renseignements recueillis sur cette période de sa vie, auprès de ses camarades et de ses supérieurs, le représentent comme se livrant à des actes de violence et inspirant des craintes, pour leur sécurité, aux hommes qui devaient vivre auprès de lui. Il fut même, en octobre 1891, mis en observation à l'infirmerie comme atteint d'idées noires et de délire de la persécution. Il n'en obtint pas moins le grade de sergent. Mais en 1893, ses menaces, ses violences, certaines incohérences dans ses paroles entraînèrent son envoi à l'hôpital avec ce diagnostic « troubles psychiques ».

Quelques jours après, il était mis en congé de convalescence de quatre mois afin qu'il n'eût plus à reparaître au corps. Pendant ce congé, il alla rejoindre à Beaume-les-Dames, une jeune fille qu'il avait connue à Besançon et avec laquelle il voulait se marier, dit-il. Ne pouvant triompher de ses refus, il se rendit le 25 juin 1893 auprès d'elle, la blessait à la tête de trois coups de revolver, puis tournant son arme contre lui-même, il essayait de se suicider en se tirant plusieurs coups de revolver. L'une des balles pénétrait par l'oreille droite où elle se trouve encore, causant la surdité complète du côté droit, ainsi que la paralysie du nerf facial et du nerf auditif du même côté.

Les blessures reçues par la victime n'entraînèrent qu'une incapacité de travail de quinze jours. Quant à Vacher, il fut, à raison des signes de dérangement cérébral qu'il avait donnés au régiment, placé en observation à l'asile d'aliénés de Dôle, le 7 juillet 1893. Le 2 août suivant, il était définitivement réformé avec congé pour troubles psychiques, et le certificat de bonne conduite lui était accorde. Il s'évadait peu après de l'asile de Dôle était repris à Besançon et bénéficiait d'une ordonnance de non-lieu, basée sur son état d'aliénation mentale caractérisée par le délire de la persécution.

Mais, s'il était considéré par la justice comme irresponsable à raison de son attentat de Baume-les-Dames, il devait, par cela même, être maintenu dans un asile d'aliénés. Aussi fut-il transféré comme aliéné dangereux à l'asile de son département d'origine, à Saint-Robert. Mais il y était à peine interné, que son état mental se transformait, tout indice de folie disparaissait, si bien que le 1 avril 1894, il sortait de l'asile de Saint Robert entièrement guéri d'après la déclaration du médecin-directeur et ne présentant plus aucune trace de folie.

Il résulte donc des appréciations des médecins aliénistes qui doivent être acceptées en leur entier comme l'expression de la vérité au moment où elles ont été formulées, que Vacher, après avoir été atteint d'une aliénation mentale transitoire à l'expiration de son service militaire avait quelques mois plus tard recouvré toute sa raison, qu'il sortait de l'asile-Saint-Robert sain d'esprit, conscient et responsable. Les sanglants attentats auxquels il va se livrer ne seront donc que la manifestation toujours identique de la même passion sadique et sanguinaire. Ils seront l'œuvre d'un monstrueux criminel, ils ne seront pas celle d'un fou.

En tenant compte que des révélations faites par l'accusé au magistrat instructeur et dont l'exactitude a été vérifiée, révélations qu'il a un jour brusquement interrompues, Vacher a, depuis sa sortie de l'asile Saint Robert, jusqu'au moment de son arrestation, tué quatre garçons, six jeunes filles et une vieille femme. Il a en outre tenté de violer une enfant de onze ans. Après avoir quitté le 1 avril 1804 l'asile Saint-Robert, Vacher se rendit à Saint-Genis-Laval, puis il se dirigea vers Grenoble en passant à Beaurepaire (Isère).

C'est dans cette commune que le 20 mai 1894, il a assassiné, puis violé Eugénie Delhonme, agee de 21 ans. Elle passait seule, le soir, dans un chemin isolé. Il se jeta .sur elle, l'étrangla, puis lui coupa la gorge avec un couteau, la frappa violemment au ventre à coups de soulier et lui arracha une partie du sein droit. Il transporta ensuite sa victime, dont il avait déchiré les vêtements, derrière une haie et la viola.

Le corps ne fut découvert que le lendemain. Mais l'assassin avait pris la fuite à travers champs et allait se placer dans une ferme aux environs de Grenoble, taudis que les soupçons se portaient successivement sur plusieurs jeunes gens de Beaurepaire signales à tort par l'opinion publique. Des environs de Grenoble, Vacher se rendit dans la Bresse, puis il eut la pensée d'aller à Menton auprès d'une de ses sœurs fixée dans cette ville et par laquelle il espérait être recueilli. Au cours de ce voyage qu'il effectuait en entier à pied, suivant son habitude, il rencontra le 20 novembre 1894, sur le territoire de la commune de Vidauban, une enfant de treize ans, Louise Marcel, fille d'un fermier. Elle était seule dans ce lieu isolé. Il la saisit au cou et l'entraîna dans une bergerie, puis il tenta de l'étrangler, lui coupa la gorge, l'éventra et lui arracha les seins. Il prétend ne l'avoir pas violée.

Dans cette affaire encore, un innocent fut injustement soupçonné. Quant à Vacher, s éloignant à la hâte, capable, grâce à sa constitution physique de parcourir de grandes distances, inconnu dans le pays, s'écartant des chemins, sachant dissimuler sa marche, il était bientôt à l'abri des recherches. Il lui fut ainsi possible de revenir à Grenoble. Il y séjourna trois mois à la ferme de l'hospice, puis il prit la résolution de se rendre à Paris en passant par Dijon et Lyon. Il se trouvait aux environs de cette ville le 12 mai 1895. Il rencontra sur la route, vers 9 heures du matin, à proximité du lieu dit le Bois-de-Chêne, une jeune fille de dix-sept ans, originaire d'Etaule, nommée Augustine Mortureux. Il se jette sur elle, l'égorgé à coups de couteau, transporte son cadavre dans une friche longeant la route et essaye de mutiler ses seins. Le cadavre fut retrouvé dans une cavité du sol, les jupes relevées sur la poitrine et les jambes écartées. Il n'y avait pas eu viol. On constata que les souliers de la victime et ses boucles d'oreilles lui avaient été enlevées.

Ce crime causa une émotion profonde dans la région, plusieurs personnes furent inculpées, l'une d'elles même dénoncée avec passion par ses ennemis, fut renvoyée devant la chambre des mises en accusation qui rendit une ordonnance de non-lieu. Or, ce crime était l'œuvre de Vacher qui l'avoue. Il reconnaît même qu'il a pris les souliers de la victime qui paraissaient convenir à ses pieds. Apres l'assassinat d'Augustine Mortureux, Vacher au lieu de continuer son chemin vers Paris revient sur ses pas. Il se place chez un fermier pour la saison des foins, et prend ensuite la route de Chambéry et d'Aix-les-Bains en passant par Benonces, où il reviendra plus tard et assassinera Victor Porlalier.

A Saint-Ours en Savoie, il égorge dans sa maison la dame veuve Morand, Agée de 58 ans et la viole, puis il s'enfuit après avoir fermé la porte à double tour et enlevé la clef. On voit sur les vêtements de la victime des taches d'huile. Or, dans le sac de Vacher on a trouvé un flacon d'huile dont il n'a pu indiquer l'emploi et les médecins experts ont pu se demander si Vacher, qui avoue le viol, n'avait pas en réalité pratiqué sur sa victime un attentat plus odieux encore. C'est quelques jours après ce crime que Vacher revenant sur Bénonces, y assassina Victor Portalier le 31 août, dans les circonstances ci-dessus rapportées. Après avoir traversé les départements de l'Ain et de l'Isère, il passe dans la Drôme et le 22 septembre il égorge à Truinas d'un coup de couteau qui tranche le cou jusqu'à la colonne vertébrale la jeune Aline Alaise, âgée de seize ans. Il pratique sur son corps quelques mutilations et un commencement d'éventration. Dérangé dans sa sinistre besogne, il dut abandonner sa victime et tandis qu'un berger atteint d'imbécillité était arrête comme coupable de l'assassinat d'Aline Alaise, il se rendit dans le département de l'Ardèche où le 29 septembre il commettait à Saint-Etienne-de-Boulogne un nouveau crime sur la personne d'un berger de quatorze ans, Pierre Massot-Pelé. Ce crime est l'exacte répétition de celui de Bénonces. Surpris dans un lieu désert, le jeune Massot-Pelet est étranglé, égorgé, éventré, ses organes génitaux sont blessés, puis l'assassin se livre sur le cadavre à un immonde attentat.

Un innocent a été longtemps soupçonné d'être l'autour de ce crime. Pour faire tomber ces soupçons injustes, il a fallu que les aveux de Vacher fussent l'objet d'une vérification qui n'a laissé aucun doute sur leur véracité. Après le crime de Saint-Etienne-de-Boulogne la trace de Vacher est perdue jusqu'au 1er mars 1896 où on le retrouve dans la Sarthe, essayant de violer une enfant de onze ans, Marie Dérouet, qui fut sauvée par l'arrivée d'un garde particulier accouru à ses cris. Frappé par Vacher d'un coup de pied au visage, le garde dut le laisser fuir. Un gendarme monté sur un vélocipède le rencontre, lui demande ses papiers, ne reconnaît pas en lui l'inculpé signalé et le laisse continuer sa route. Tandis que le parquet de la Flèche instruisait celte affaire, le parquet de Beaugé poursuivait Vacher pour vagabondage et coups et blessures, et le faisait condamner le 9 mars 1896, à un mois d'emprisonnement. Cette peine et celle de trois mois d'emprisonnement prononcée par le tribunal de Tourtion sont les seules que Vacher aient encourues.

A la fin de ce mois, il prend la direction du Midi. Le 10 septembre, il assassine à Busset (Allier) une jeune femme âgée de dix-neuf ans, Marie Mounier, récemment mariée au sieur Laurent. Il l'étrangle, l'égorge comme ses autres victimes et lui enlève son alliance en or. La disposition des vêtements déchirés indique qu'il s'apprêtait à pratiquer l'éventration. Le corps fut trouvé dans des fougères, au pied d'une haie vive.

Quelques jours plus tard, le 1er octobre, dans la Haute-Loire, à la Varenne-Saint-Honorat, il donne la mort à la jeune Rosine Rodier, bergère, âgée de quatorze ans, dont le corps fut trouvé dans un fourré de pins, de genêts et de bouleaux.il l'égorge, l’éventre et lui enlève les parties génitales externes par une incision qui entame les cuisses. Il prétend s'être dirigé immédiatement après ce crime vers l'Espagne et être revenu ensuite à Lyon, en passant par Montpellier et Nîmes.

Cette période de l'existence de Vacher n'est pas connue. Il est certain toutefois qu'il se trouvait en février 1897, dans le Tarn. Vers la fin de mai 1897, il tue aux environs de Lyon, à Tassin-la-Demi Lune, un jeune vagabond, Claudius Beaupied, âgé de quatorze ans. Cet enfant avait quitté sa famille qui avait cessé de se préoccuper de lui, son cadavre ayant été jeté par le meurtrier dans le puits d'une ferme abandonnée, sa mort fut ignorée. Vacher a fait l'aveu de cet assassinat dans un moment de vanité et pour montrer la véracité de ses récits.

Claudius Beaupied était entré le matin dans une maison inhabitée où Vacher avait passé la nuit. Ce dernier lui coupa la gorge avec un rasoir, déshabilla le corps et le jeta dans le puits où il ne fut découvert que le 25 octobre à l'état de squelette. Quelques jours plus tard et encore dans le Rhône, à Courzieux-la-Giraudière, il tue, le 18 juin, un berger de treize ans, Pierre Laurent.

Entre onze heures et minuit, cet enfant ramenait des bœufs chez son maître. Il est assailli par Vacher qui tente d'abord de l'étrangler, puis l'égorgé et lui fait au bas-ventre une large plaie. Il traîne ensuite le corps derrière une haie et se livre sur lui à un acte de pédérastie. Après ce crime, il se dirige vers Lyon qu'il traverse et passe dans l'Isère, où il reste quelques jours. Il est enfin arrêté à Champis, dans l'Ardèche, au moment où il tentait de faire subir à la femme Plantier le même sort qu'à ses autres victimes. Grâce à la prompte arrivée du sieur Plantier, accompagné de deux autres personnes, il fut saisi malgré sa résistance acharnée ; mais rien n'indiquait à ce moment que le vagabond qui venait de renverser la dame Plantier, sans avoir d'ailleurs le temps de se livrer à d'autres violences, fût l'auteur de tant de crimes impunis.

Le présent acte d'accusation a rapporté sommairement les crimes avoués par Vacher, au cours de l'instruction ouverte, au sujet de l'assassinat de Bénonces, du jeune Portalier. Il ne croit pas pouvoir rechercher si d'autres attentats du même genre à l'égard desquels des charges pèsent sur l'accusé mais qu'il n'a pas avoués, ne lui sont pas aussi imputables. Après de longues et minutieuses observations, les trois docteurs qui l'ont examiné ont formulé leur avis en ces termes : « Vacher n'est pas un épileptique, ce n'est pas un impulsif. C'est un immoral violent, qui a été temporairement atteint de délire mélancolique avec idées de persécution et de suicide.

« L'otite traumatique dont il est porteur semble n'avoir eu jusqu'à présent aucune influence sur l'état mental de l'inculpé. »

Vacher, guéri, était responsable quand il est sorti de l'asile Saint-Robert. Ses crimes sont d'un antisocial sadique, sanguinaire qui se croyait assurer de l'impunité grâce au non-lieu dont il avait bénéficié et à sa situation de fou libéré. Actuellement, Vacher n'est pas un aliéné, il simule la folie. Vacher est donc un criminel. Il doit être considéré comme responsable, cette responsabilité étant à peine atténuée par les troubles physiques antérieurs.

Issu d'une famille honorable et nombreuse, Vacher n'a pas souffert d'une seule de ces maladies d'enfance qui laissent si souvent dans le système nerveux des foyers d'irritation susceptibles de favoriser, le cas échéant l'explosion d'états convulsifs. Les parents étaient sains de corps el d'esprit, et toutes les dispositions concourent à établir que, parmi les ascendants de l'accusé il n'a jamais existé de fou, d'épileptique ou d'idiot.

Pour mémoire, il faut toutefois noter la mort en bas Age d'une sœur jumelle et l'incident du chien enragé. Un jour, le petit chien d'un garde s'élance sur Vacher enfant, le couvre de caresses el le lèche à la figure ; quelques jours après, ce chien est abattu comme hydrophobe. La famille Vacher s'émeut, une sœur sacrifie quelque argent gagné par son travail et va chercher un de ces remèdes secrets qui passent pour préserver de la rage. On fait absorber à l'enfant le mystérieux contenu d'une grande bouteille et, pendant assez longtemps, il en reste comme hébété. De là, toute une théorie sur laquelle l'accusé ne craint pas d'échafauder une bonne partie de son système de défense. La famille n'y contredit pas, bien entendu, quoi qu'il soit avéré qu'il n'y a pas eu morsure. Soit par le virus du chien, soit par l'action des remèdes, le sang de Vacher aurait été vicié et, depuis ce temps, il n'était plus comme tout le monde, éprouvait de temps à autre le besoin de faire des fugues et, plus tard, se sentait comme enragé.

Ces affirmations sont à la fois trop puériles et trop intéressées pour mériter une discussion scientifique. Nous laisserons donc ce fait entièrement et définitivement décote. Vacher grandit à Beaufort, dans sa famille, sans que rien fit bien prévoir sa sombre destinée. Sans être très intelligent, il fit des études primaires et son instruction. D'un caractère sournois et porté aux violences, il brisait volontiers, coupait même, paraît-il, les jambes des animaux confiés à sa garde, et, dans un accès de colère vindicative, aurait tiré au plombs, dans la direction de camarades qui avaient cherché à le faire tomber en tendant, la nuit, un fil de fer sur le chemin qu'il devait suivre. Quand il fut grand, comme il ne se plaisait pas à la maison, il tenta de se mettre en service, mais ne put rester nulle part. Le côté menaçant de son caractère commençait à se manifester et la confiance qu'il inspirait était si faible, que M. Declérieux dit de lui, en 1883 « qu'à son avis, il n'aurait pas été prudent de le laisser seul avec des enfants ».

Ne réussissant pas à se caser, Vacher finit par échouer, comme postulant chez les Maristes de Saint-Genis-Laval, le 20 novembre 1887. Il avait alors dix-huit ans. Au reste, il quitte bientôt l'établissement, parce que, disent les frères « nous ne le trouvions pas suffisamment sérieux et trop excentrique pour la vie religieuse » ; parce que, dit le témoin Loyonnet, « il avait masturbé ses camarades » et en fut chassé. C'est du reste à la même époque, qu'obéissant aux impulsions d'un génitalisme irrégulier, Vacher tente d'accomplir sur le jeune Bourde (1888) un acte contre nature qui n'était probablement pas un essai. Entre temps, il contracte une maladie vénérienne pour laquelle il fut soigne dans le service du Dr Girard, à Grenoble, pour orchite blennorragique (septembre 1888). Une récidive l'amène, plus tard, dans le service du Dr Gailleton, à l'Antiquaille où il subit un traitement qui entraîne la perte d'une partie d'un testicule.

Guéri, il fait un voyage à Genève et tente encore de se placer, mais, en raison de son mauvais caractère de plus en plus aigri, chez Piquet ou chez Guinet, partout il se fait mal voir. Il sort môme de la maison Piquet en 1889, après s'être gravement disputé avec le témoin Charpigny. Vacher mis à la porte, menaça d'attendre un jour avec un couteau Charpigny qui ne s'en inquiéta pas et ajoute dans sa déposition « nous disions de lui qu'il devait avoir une araignée dans le plafond ».

Avant d'entrer au régiment, Vacher avait donc donné des preuves certaines d'une tendance aux actes, d'une immoralité avec inversion des instincts, en même temps que, par ses allures louches, il faisait naître la méfiance et justifiait l'opinion que peut-être il avait le cerveau quelque peu malade. En 1891, Vacher arrive au régiment. Il se conduit d'abord assez bien, mais non sans laisser voir ses tendances sournoises et vindicatives : « Il ne cessait de se plaindre par lettre aux officiers des misères que, prétendait-il, on lui faisait » (Témoin Tissot). A vrai dire ses camarades auxquels il ne plaisait point, le brimaient volontiers en sorte que les officiers durent souvent intervenir» (témoin de Gentile). En somme, il était mal considéré par ses camarades de chambrée, parce qu'il était craint (témoin Maigret).

En revanche, il ne buvait pas « on ne le voyait pas à la cantine « (témoin Bourquin) et il ne manifestait pas un gout excessif pour les femmes. Peu difficile dans ses choix, il ne fréquentait pas les maisons publiques, il allait avec n'importe qui, les rouleuses de remparts, rodeuses de trottoirs, femmes en chambre, etc. On le tenait pour un ours, « pour un fou » (témoin Obermesser). « Je savais, dit le lieutenant Grunfelder, qu'on l'appelait le fou et j'avais appris par la rumeur publique qu'étant élève-caporal, il n'avait pu obtenir sa nomination de caporal; que désespéré, il s'était entaillé la gorge avec un rasoir; que transporté à l'infirmerie, il avait écrit une lettre de réclamation au colonel et que ce dernier, après examen et interrogatoire, avait reconnu qu'il savait très bien sa théorie et l'avait nommé caporal. » Voici d'ailleurs comment le témoin Barbier raconte, avec quelques variantes le même incident: « En 1891, au départ de la classe, Vacher qui avait suivi le peloton, furieux, le soir des nominations de ne pas être nommé caporal, faisait en mon absence du tapage dans la chambrée en me menaçant. Étant arrivé à ce moment, je lui imposai le silence. Comme il tenait un rasoir dans ses mains, il a bondi sur moi pour m'en frapper, mais, aidé des hommes de la chambrée, nous l'avons désarmé, et, le même soir, sur l'avis de l'aide-major, Vacher a été conduit à l'infirmerie du corps où il a passé la nuit : le lendemain, il a été dirigé sur l'hôpital mixte de Besançon où il est resté en traitement pendant huit jours. Il a ensuite obtenu, je crois, un congé d'un mois et c'est à sa rentrée au corps qu'il a été nommé caporal. »

Ainsi Vacher dans un accès de fureur, menace un supérieur, bondit sur lui, armé d'un rasoir et au lieu d'être conduit en prison, se voit mené à l'infirmerie et traité comme un malade. Cette indulgence mérite d'être remarquée.

Cette tendance meurtrière, toujours impunie, se retrouve dans l'incident Guyot. Ce sous-officier ayant voulu plaisanter Vacher, le vit se lever de son lit, saisir un banc de troupe qu'il a soulevé en le menaçant de le frapper. Guyot pour se défendre, dut tirer son épée (témoin Bourquin). Même note, émanant du sergent Ohermesser. « Cet homme, dit-il, était un halluciné, nous le prenions pour un fou. Un jour, a propos d'une discussion très futile, Vacher me courut après, armé d'une paire de ciseaux de tailleur, me menaçant de me couper le cou. J'ai dû fuir devant lui. » Vacher, très vigoureux, aimait à faire parade de sa force et d'une sorte de stoïcisme vaniteux. « En ma présence, dit le lieutenant Grunfelder, il s'arrachait les poils des bras ou des cheveux pour me montrer combien il était insensible à la douleur. »

Devenu caporal, l'accusé allait volontiers dans les chambrées se battre avec les soldats qu'il avait pris en faute. Il faillit même en étrangler un, s'il faut en croire le témoin Bailly. On s'explique aisément pourquoi Vacher « inspirait une véritable terreur aux hommes qui couchaient dans sa chambre. Il les menaçait très souvent de leur couper le cou avec un rasoir qu'il portait toujours dans sa poche ». On le craignait tellement « que le nommé Guinder, libéré de 1893, plaçait sous son oreiller la hache dont il avait la garde, pour se défendre de Vacher en cas d'agression (témoin Griffoult, adjudant). Un jour, dit le témoin Tissot, les hommes de sa chambrée accoururent me prévenir que Vacher, venant d'absorber un demi-litre d'eau-de-vie paraissait fou furieux et menaçait de tuer tous ses camarades avec son épée-baïonnette. Je me rendis aussitôt près de lui et lui arrachai des mains la bouteille qui contenait encore un peu d'eau-de-vie, et comme je faisais des observations à Vacher, pour toute réponse il fouilla dans sa poche et sortit un rasoir qu'il ouvrit en poussant un cri de bote fauve. Je n'ai jamais entendu un homme crier de cette façon.

Le témoin ajoute avec simplicité : « Je ne sais quelle était l'intention de Vacher à ce moment, mais pour éviter quoi que ce soit, je lui saisis les deux poignets et aidé de quelques hommes, je parvins avec la plus grande difficulté à lui enlever le rasoir qu'il serrait convulsivement dans sa main. Dès qu'il fut désarmé, Vacher tomba comme une masse à terre, où il demeura raide comme un morceau de bois. J'ai fait immédiatement prévenir le médecin-major qui a fait conduire Vacher à l'infirmerie ; quelque temps après, il était versé dans la 3e compagnie et je le perdis de vue. »

Ces divers détails sont d'ailleurs confirmés par des lettres authentiques adressées par divers officiers au colonel du 60e en juin 1893. Dans une de ces lettres, un lieutenant écrit les lignes suivantes : « Poursuivi par cette manie de la persécution, Vacher ne voyait autour de lui que des mouchards ou des gens qui cherchaient à lui nuire. L'état d'énervement dans lequel il se trouvait lui causait des insomnies pendant lesquelles il monologuait avec des gestes menaçants et le moindre froissement qu'il avait pu éprouver avec ses camarades ne faisait qu'augmenter cet état de surexcitation. Vacher parlait alors de leur couper le cou avec un rasoir. Ses camarades ne se couchaient plus alors sans craindre pour leur vie et plaçaient leur épée-baïonnette à côté d'eux. J'ajouterai que lorsque Vacher se trouvait dans cet état, il leur paraissait être un somnambule en proie à une idée fixe. Il exprimait alors le besoin qu'il avait de voir couler le sang ».

Les mêmes affirmations se trouvent confirmées par le témoin Grunfelder qui couchait alors dans la chambre de Vacher devenu sergent. « Pendant dix à quinze nuits consécutives, dit ce témoin, il s'éveillait, se levait ou restait accoudé dans son lit, prononçant des paroles incohérentes, accompagnées de gestes menaçants. Je distinguais ce mot toutefois: sang... ils ne savent pas ce dont je suis capable... Je le tuerai. « Craignant qu'il ne pensât à me faire un mauvais parti, je me décidai à coucher avec mon sabre-baïonnette que je dissimulai sous mes draps; puis j'informai de ces faits mon lieutenant M. Greelsammer. Ce dernier m'invita à consigner tous ces faits dans un rapport qui fut soumis au colonel. Quelques jours après, Vacher entrait à l'hôpital, passait à la commission et fut réformé pour troubles mentaux.

La réforme de Vacher ne se fit pourtant pas aussi simplement. Le rapport du Dr Grandgury (postérieur à l'affaire de Beaume-les-Dames) constate qu'à deux reprises Vacher fut mis en observation à l'infirmerie: le 9 octobre 1891 « il fut pendant quelques jours sous le coup d'idées noires avec délire de persécution ». Envoyé en permission dans sa famille, Vacher ne fut plus revu par le Dr Grandgury jusqu'au moment ou il fut nommé sergent. C'est alors qu'il fut pour la seconde fois dirigé sur l'infirmerie. Au début de son observation le Dr Grandgury, sans considérer Vacher comme effectivement malade, le « trouvait dans un état d'affaissement nerveux » mais depuis « cet état morbide ne cessa de progresser, les idées de persécution déjà observées en 1891, vinrent de nouveau tourmenter Vacher, à tel point qu'il fut nécessaire de l'évacuer sur l'hôpital, avec le diagnostic: troubles psychiques. »

La situation est donc bien nette et il semble qu'il suffisait d'envoyer Vacher en observation dans un asile spécial, mais cette décision pourtant si naturelle n'est pas prise. « En raison de la prochaine libération de ce sous-officier (Vacher), le médecin traitant (?) lui fit obtenir un congé de convalescence de quatre mois afin qu'il n'eût plus à reparaître au corps. » C'est précisément pendant ce congé peu prudent, que Vacher commit l'acte criminel qui motiva son internement. Dans son rapport, le Dr Grandgury émet l'opinion que cet acte fut motivé « par une nouvelle crise d'excitation cérébrale avec idées délirantes. » et il conclut : « il est manifeste que le sergent Vacher est atteint du délire de persécution, qu'il est absolument hors d'état de continuer à servir et qu'il y a lieu de le proposer pour la réforme. » Vacher fut, en effet, réformé par congé numéro deux, par la commission spéciale de Besancon, dans sa séance du 2 août 1893 « pour troubles psychiques caractérisés par des idées de persécution. Idées de suicide, grande irritabilité. Il est à retenir que le certificat de bonne conduite fut accordé.

Nous n'avons aucune raison de mettre en doute la justesse de vue du Dr Grandgury, mais nous ne pouvons omettre de faire remarquer que son diagnostic semble n'avoir été définitivement posé qu'après l'affaire de Beaunie-les-Dames, ce qui prouve une certaine hésitation. Notre remarque est corroborée par ce fait que le médecin traitant de l'hôpital crut pouvoir envoyer Vacher en congé de convalescence, ce qui parait très peu justifié vis-à-vis d'un soldat proposé pour la réforme, en raison de troubles psychiques qui le rendaient dangereux pour ses camarades. On peut donc supposer que les troubles psychiques observés chez Vacher se montraient par accès plus ou moins régulièrement espacés et qu'après son séjour à l'hôpital de Besançon, l'accusé allait sensiblement mieux. Il put, d'ailleurs, rejoindre sa fiancée, habiter chez les parents de celle-ci, sans attirer l'attention sur son état mental. Dans cet ordre d'idées, il eût été intéressant de savoir pourquoi Louise B... retira la parole qu'elle avait donnée.

Quoi qu'il en soit, la tentative d'assassinat suivie de suicide qui constitue l'affaire de Beaume-les-Dames, n'a pas très nettement le caractère d'un acte délirant. Il semble plutôt le fait d'un homme violent et vindicatif, rendu furieux par les dédains imprévus d'une fille qu'il croyait bien à lui et peut-être aussi par l'alcool, si les dires du témoin Loyonnet sont exacts. L'acte d'ailleurs a lui-même été prémédité, comme le prouve nettement l'achat du revolver. On se trouve donc en présence d'un de ces crimes passionnels pour lesquels l'opinion publique se montre d'ordinaire assez indulgente. Dans l'espèce, et comme il l'a souvent répété depuis, Vacher pouvait d'autant mieux compter sur une condamnation bénigne, qu'il avait fait peu de mal à sa fiancée et que, par une tentative de suicide nullement simulée, il avait réussi à se loger une balle au moins dans l'oreille, en une région telle qu'un écart de quelques millimètres pouvait léser des vaisseaux importants et entraîner rapidement la mort. La balle y est encore et sa présence est une constante menace.

Il conviendrait, pensons-nous, d'arrêter en ce point la première période de la vie de Vacher. Deux éléments nouveaux ont fait leur apparition : une tentative criminelle, un acte de suicide. Le résultat est double.

La tentative criminelle confirme les médecins militaires dans leur opinion, Vacher est réformé d'une part et de l'autre mis en observation à l'Asile de Dôle, aux fins de savoir s'il doit ou non être poursuivi.

L'ébauche de suicide ajoute un traumatisme sous-cérébral aux causes mal connues qui mettaient le cerveau de Vacher dans un état d'équilibre instable. Elle fait d'un détraqué nuisible un cérébral, en fera-t-elle un véritable impulsif ?

Recueilli après son arrestation, par l'hôpital de Beaume-les-Dames, et dans un état que nous ignorons, Vacher blessé, réussit à s'évader, en emportant son revolver. Il se rend à Besançon où, dans la rampe de la citadelle on le reconnaît un jour, menaçant de son arme les hommes de son régiment. Vacher avait en outre écrit au caporal Loyonnet son ami, une lettre où il lui donnait rendez-vous sur la place de Ghamard. Le colonel du 60e, justement ému par le crime de Beaume et l'évasion de Vacher, avait fait mettre au rapport « que tout militaire du régiment qui le rencontrerait devait tacher de l'amener près d'un poste pour le faire arrêter ». On se servit de Loyonnet et Vacher maîtrisé non sans peine fut dirigé sur l'asile d'aliénés de Dole. Aux environs de la station de Le Banc Labarre et avec une décision dont il a donné plusieurs exemples, Vacher sauta du train, se réfugia dans un bois et ne fut arrêté par la gendarmerie que cinq jours après.

Quelque parti pris que l'on puisse avoir, il est bien difficile d'admettre qu'une telle série d'aventures soit le fait d'un homme parfaitement sain d'esprit et l'on peut aisément se figurer quelles devaient être les préoccupations des aliénistes appelés à examiner Vacher qui, jusqu'alors n'avait pour ainsi dire fait de mal qu'à lui-même. Vacher entre à Saint-Ylie le 7 juillet 1893. Le certificat de vingt-quatre heures constate qu'il est calme, répond docilement aux questions et regrette l'acte qu'il a commis. L'oreille suppure abondamment et le médecin juge que l'état psychique est très grave ». Le certificat de quinzaine constate seulement un peu d'excitation. Vacher se plaint de ne pas être soigné et menace dé faire une nouvelle tentative de suicide. Il n'est pas question de délire, mais le Dr Bécoulet conclut à la maintenue. Sur ces entrefaites, Vacher s'évade de nouveau le 2 août et n'est réintégré que le 11 septembre. Un rapport médico-légal rédigé par le Dr Guillemin et daté du 12 septembre 1893, conclut ainsi:

- Le sieur Vacher est atteint d'aliénation mentale caractérisée par le délire de persécutions.

- Il est irresponsable de ses actes.

Ces conclusions sont affirmées et corroborées par le Dr Bécoulet, à la date du 6 octobre 1893, en ces termes: « Le nommé Vacher toujours en proie à des idées mélancoliques, sombre et taciturne, se croit en butte aux persécutions et à la jalousie de tout le monde. Il a dernièrement tenté de se suicider en se précipitant tête première contre un angle de mur. Nous sommes souvent obligés de prendre envers lui des mesures énergiques pour l'empêcher de se faire du mal. En conséquence nous estimons qu'il y a lieu de le maintenir à l'asile. »

D'autre part, le certificat fourni par le médecin de l'asile le 3 décembre 1893, à l'occasion du transfert est ainsi conçu : « Vacher Joseph, militaire réformé, entré le 7 juillet 1893, est toujours hanté par des idées de suicide. A fait une tentative de suicide vers la fin d'octobre. Se jetait la tète contre les murs. En veut aux médecins parce qu'ils ne l'ont pas opéré et croit qu'autour de lui on le jalouse, on le persécute, etc. Peut être transféré, mais en raison de la ténacité des idées de suicide, exigera une surveillance rigoureuse et de tous les instants. » (Dr Chaussinand).

Ce certificat mérite d'attirer l'attention à deux points de vue différents. Vacher en voulait aux médecins qui ne l'avaient pas opéré et depuis, il est souvent revenu sur cette affirmation. Or, il est constant, que la présence de la balle avait été reconnue ou soupçonnée par le Dr Lombard de Dôle, qu'on avait tout préparé pour l'opération mais qu'il refusa, parce que nous a-t-il dit depuis, il n'avait pas confiance.

Le second point vise les précautions qu'il paraissait nécessaire de prendre vis-à-vis de Vacher. Il apparaît que, trompés par le calme apparent de celui ci, les agents de Saint-Robert négligèrent quelque peu de le surveiller, car Vacher prétextant un besoin, se dirigea vers les cabinets et se mit à courir à toutes jambes. On le rattrape, on l'attache, ce qui ne l'empêche pas d'essayer encore de se précipiter par la portière au moment du départ du train. Dès lors, il crie à toutes les stations, accusant le personnel de l'asile de Dôle de sévices et de négligences. A Ambérieu, changement à vue, il promet d'être tranquille si on le desserre et tient parole. « Ces faits prouvent, dit le Dr Dufour dans son rapport, que Vacher était parfaitement maître de lui à ce moment. »

Nous ne possédons pas les certificats officiels de vingt-quatre heures, de quinzaine et de sortie que le Dr Dufour a sans doute fournis en temps et lieu, mais nous pouvons juger de leur contenu par le rapport spécial émanant de cet aliéniste expérimenté : « Nous ne pouvons, dit-il, nous prononcer sur l'état mental de Vacher avant son entrée à Saint-Robert, notre observation personnelle ne nous ayant jamais fait constater chez lui de signes bien positifs de folie. » Pour ne pas être positifs, les signes en question n'étaient sans doute pas nuls, puisque Vacher fut maintenu à l'Asile.

En outre, la question de simulation n'eut aucun motif d'être posée pendant le séjour de Vacher à Saint-Robert, le Dr Dufour n'ayant pas eu à se préoccuper de sa responsabilité avant l'époque où il dut songer à sa sortie, le tenant, par suite des faits anciens, pour malade et par suite irresponsable à son arrivée. Vacher d'ailleurs était « doux, docile, inoffensif et convenable avec tout le monde, nullement incohérent » et comme il mettait de l'insistance à obtenir et sa sortie et son transfert à l'Hôtel-Dieu de Lyon pour être opéré, M. Dufour le fit examiner par le Dr Comte, chirurgien en chef des hôpitaux de Grenoble, qui malheureusement ne vit pas la balle et conclut à une carie du rocher. Dans ces conditions, l'opération ne fut pas décidée. Que serait-il arrivé si elle avait été faite ?

« Considérons donc que Vacher ne donnait plus de signes de folie et constatant son état de conscience parfaite et par suite de responsabilité nous n'hésitâmes pas, ajoute le Dr Dufour, à proposer sa sortie qui fut ordonnée. »

En dépit de cette assurance, on retire à Vacher son revolver et son couteau « par précautions et dans la crainte de nouvelles tentatives de suicide. » Ce manque de confiance était d'ailleurs partagé par le gardien de Vacher.

« Il y a quelques jours, je vous ai demandé, M. le Directeur, l'autorisation d'aller me reposer dans mon lit quand la tête me fessait trop souffrir. Vous me l'avez permis, mais le gardien me l'a refusé, il a peur que je me suicide. »

En résumé, Vacher a été maintenu à Saint-Robert, sur le vu des certificats antérieurs; le Dr Dufour ne s'est pas demandé si Vacher avait simulé la folie ou si, ayant été aliéné et l'étant encore, il ne simulait pas la guérison. Il l'a fait sortir comme guéri ayant suivant le mot de Vacher lui-même trouvé à Dole le remède à son esprit et par conséquent responsable de ses actes.

Nous n'avons pas plus de raison de douter de la compétence du Dr Dufour que de celle de ses collègues de Dôle ou du Dr Crandgury, ni de suspecter la sincérité des dépositions des officiers, sous-officiers et soldats sur l'étal mental de Vacher quand il était au régiment. Nous considérons donc que Vacher atteint dune aliénation mentale transitoire en a guéri et qu'à sa sortie de Saint-Robert, il était comme l'affirme le Dr Dufour, conscient et responsable. L'élude minutieuse de son épopée sanglante nous permettra sans doute de savoir si cette épouvantable série de forfaits est l'œuvre d'un impulsif ou d'un criminel.

ÉTUDE MEDICO-LEGALE DES CRIMES AVOUÉS PAR VACHER



Les crimes de Joseph Vacher


Elle s'étend de la sortie de Vacher de l'asile de Saint-Robert à son arrestation à Champis, et comprend, par conséquent, les crimes commis par l'inculpé de 189i à 1897. Vacher a avoué onze assassinats. Nous décrirons ceux-ci au point de vue médico-légal, d'après les constatations des premiers témoins sur les lieux du crime, les rapports des experts, les renseignements donnés par Vacher. Cela fait, nous pourrons indiquer le manuel opératoire qu'il a répété d'une façon assez uniforme, au moins dans les grandes lignes : procédés d'attaque, strangulation, égorgement, parfois éventration ou mutilations diverses, cadavres plus ou moins bien cachés. Vacher a refusé de nous faire connaître comment il tuait ses victimes, l'instrument employé, pourquoi sur la plupart des cadavres il a pratiqué d'horribles mutilations. Il nous a répondu de nous reporter à tout ce qu'il avait raconté dans ses divers interrogatoires : « Je n'ai rien à ajouter, et je ne dirai pas un mot de plus. » Et il prononce ces paroles sur un ton qui indique un parti pris, que nos demandes réitérées ne parviennent pas à vaincre. Il a donc fallu renoncer à entendre de sa bouche des renseignements qui, présentés sous une forme nouvelle, auraient pu avoir de l'intérêt. Nous n'avons cependant pas tardé à nous apercevoir que, servi par une mémoire fidèle, Vacher répète, même à plusieurs semaines d'intervalle, des phrases identiques, comme stéréotypées, soit dans les lettres qu'il nous adresse, soit dans les conversations séparées avec chacun de nous.

D'ailleurs, la lecture du dossier nous a donné des renseignements suffisants. Les nombreux documents réunis avec une patience et une habileté incomparables par le magistrat instructeur, constituent un faisceau de preuves qui n'attendent qu'une explication médicale. L'interprétation du tour de main de Vacher éclaire aussi la question. Les actes sont des paroles et comme la manifestation d'un langage intérieur, la dernière conséquence d'un raisonnement. Nous suivrons, pour ainsi dire, les étapes successives de la pensée de cet homme. Nous verrons s'il obéit à un plan préconçu, s'il suit un dessein délibéré d'une manière logique, d'après des idées systématisées; ou, si au contraire, ses actes sont ceux du fou, de l'agité, de l'individu obéissant à une force irrésistible, à une impulsion dont il n'est pas le maître; si, esclave de celle idée déraisonnable, il ne se préoccupe cependant que-de celle-ci, sans en prévoir pour lui les conséquences et les dangers. Or, on va le voir au récit et aux circonstances de ces onze assassinats, les victimes sont assaillies et tuées dans des conditions presque identiques. Vacher n'improvise pas : il suit toujours la même méthode. Rôdeur infatigable, fuyant les cités el les villages, séjournant peu dans les agglomérations humaines quelconques, il va et vient sur les routes, à la lisière des forêts. Il s'avance sous bois « comme le chasseur de bergers et bergères » et attend du hasard ou de ses interminables pérégrinations la proie facile et qui, dans certaines conditions, ne peut lui échapper. Constamment en rut, il assouvit rapidement sa lascivité bestiale, aussi bien sur les routes ou les chemins que dans les endroits écartés. Toute occasion qui se montre est une bonne fortune dont il veut profiter.

AFFAIRE DE BEAUREPAIRE (Isère). — 19 mai 1894

Le cadavre d'Eugénie Delhomme, ouvrière, vingt et un ans, a été trouvé près d'une haie, à deux cents mètres d'une usine. A côté, sur les herbes et le sol, on voit des traces de lutte et des taches de sang; à quelque distance, on relève des vêtements de la victime : le corset et un fichu. Voici les aveux de Vacher :

Je me précipitai sur elle, la renversai à terre et après l'avoir frappée à la tète à coups de soulier, je l'étranglai... Il est possible que mon couteau m'ait échappé... J'ai placé le corps de ma victime derrière une haie et l'ai violée... Il me semble que ma rage de tuer était moins forte pour ma première victime que pour les autres, la façon dont j'ai commis le crime de Beaurepaire semblerait indiquer le contraire, mais si j'ai porté des coups nombreux à la victime, c'était pour hâter sa mort, car ne trouvant pas mon couteau que je croyais avoir cependant, j'ai dû précipiter mes coups (sic) ».

Le récit de Vacher n'est pas tout à fait exact ou bien sa mémoire est en défaut. Les constatations du médecin-expert montrent qu'il y a eu égorgement. Mais les blessures par le couteau ont porté un peu haut, à la partie supérieure du cou, derrière l'oreille droite. Probablement, Eugénie Delhomme, âgée de vingt et un ans, vigoureuse, d'une taille de 1 m. 60 a lutté pour se dégager de la main qui la serrait à la gorge. Vacher dit vrai, cette fille a été étranglée. En effet, il y a des ecchymoses sur le cou depuis l'os hyoïde jusqu'au sternum, à la peau, dans l'épaisseur des muscles, dans le larynx. Eu même temps, pour étouffer les cris de la victime, la main était appliquée sur la bouche, aussi la lèvre inférieure s'est-elle déchirée sur les arcades dentaires. La suffocation s'accuse d'ailleurs par des taches de Tardieu sur le poumon et le péricarde, l'écume dans la trachée. L'égorgement en haut du cou et à droite, a fait une blessure de huit centimètres de long qui a ouvert les vaisseaux du cou et les veines jugulaires : de là les hémorragies abondantes externes et internes. On relève des ecchymoses profondes des parois de l’abdomen et des empreintes de clous de soulier produites par les coups de pied portés au-dessus du pubis, à l'aine gauche, sur la rotule du môme côté. L'auréole du sein droit a été arrachée par une déchirure à lambeau interne : cette blessure est peu profonde et mesure six à sept centimètres d'étendue. En résumé, à la nuit commençante, Vacher s'est précipité sur Eugénie Delhomme, l'a saisie à la gorge, avec les mains, l'a étranglée, égorgée, frappée à coups de soulier au ventre. Il a probablement ébauché une mutilation sur le sein droit. L'expert n'a pas trouvé de spermatozoïdes dans le vagin. L'anus n'a pas été examiné.

AFFAIRE DE VIDAUBAN (Var). — 20 novembre 1894

Le cadavre de Louise Marcel, fille d'un fermier, âgée de treize ans, a été trouvé dans une bergerie couchée sur le dos. Les vêtements étaient eu désordre, il y avait des flaques de sang en deux endroits. « Il est probable, disent les experts, que la tète de Louise Marcel reposait d'abord sur ce dernier point et que sou corps a été retourné et traîné là où il a été découvert; de la sorte s'expliqueraient tout à la fois la direction des deux mares do sang, le relèvement de vêtements en arrière et la souillure du tablier. » On peut aussi supposer que le corps a été mis sur le ventre et que les vêtements ont été relevés en arrière pour pratiquer le coït anal.

Voici les aveux de Vacher : » C'est bien moi qui suis l'auteur de ce crime. J'ai rencontré la jeune fille sur le chemin, je l'ai saisie au cou comme les autres et je l'ai emmenée dans la baraque qui se trouvait à quatre ou cinq mètres de ce chemin, là je lui ai fait comme aux autres. » Dans l'interrogatoire du 16 octobre, il dit qu'il se dirigeait vers Menton où il espérait être recueilli par sa sœur Olympe : « Chemin faisant et en traversant le Var, j'ai rencontré une jeune fille qui m'a paru avoir dix huit ans, elle venait en sens contraire de moi sur la route; sans prononcer une parole, je me suis jeté sur elle et lui ai coupé le cou avec un couteau que j'ai trouvé dans une cabane isolée. Ce couteau était fraîchement aiguisé et coupait très bien. Je n'ai pas violé ma victime, c'était cependant une jolie fille... c’était malheureux. »

Le rapport médico-légal montre qu'il y a eu :

1° Egorgement caractérisé par une large plaie en T dont la branche horizontale la plus longue est sous le menton et la branche perpendiculaire de trois centimètres est parallèle à l'axe du cou. Voici quel serait le procédé employé, d'après les experts : La pointe de l'instrument piquant et tranchant a pénétré sous le menton et est allée ressortir sous l'oreille droite ; ensuite le manche de l'instrument ayant été relevé en haut, en décrivant un arc de cercle, le tranchant a sectionné les tissus de bas en haut et a produit la branche transversale de la blessure qui a huit centimètres. L'instrument a sectionné la veine jugulaire et la carotide externe, les vaisseaux laryngiens et thyroïdiens ; il a produit une large saignée du cou. Les experts ajoutent avec beaucoup de justesse : « La partie antérieure et supérieure des vêtements n'étant pas ensanglantée, il est probable que la victime était déjà étendue sur le sol quand le meurtrier couché ou incliné sur elle lui a porté ce coup qui a occasionné la mort en quelques minutes. »

2° Des plaies de défense : La victime a lutté et résisté en voulant arrêter le couteau de l'assassin avec la main gauche, tous les doigts ont été coupés dans la face palmaire. La main droite présente deux plaies semblables au pouce et à l'index.

3° Mutilations : Les seins sont détachés par de nombreuses incisions, le droit remis en place, le gauche jeté à 2 m. 10 de distance loin du corps.

4° Eventration : A l'abdomen il y a sept blessures. Une dans l'hypocondre droit longue de vingt centimètres ; une autre, au-dedans de celle-ci, longue de trois centimètres; une troisième parallèle aux précédentes, près de l'ombilic, c'est une incision pénétrante longue de douze centimètres avec perforation des intestins, la colonne vertébrale a été atteinte; en bas l'angle delà plaie est très aigu : les bords, sur une longueur de onze centimètres, sont irréguliers. Cette plaie a donné lieu à une hémorragie interne; à gauche de l'ombilic, il y a deux autres plaies profondes taillant un lambeau en V renversé sur l'aine gauche, cette plaie a saigné; une autre plaie au flanc gauche ; en arrière une autre plaie de quarante-quatre centimètres et profonde de douze, sur le côté gauche et descendant dans l'espace inter fessier jusque près de l'anus. Dans cette large plaie, il y a quatre sillons, pas d'hémorragie ; sur la cuisse gauche, en avant une longue plaie de l'aine au genou sans hémorragie.

En résumé, dans la matinée, sur un chemin, Vacher saisit au cou Louise Marcel et l'emmène dans une baraque. Il y a eu tentative de strangulation par les mains ou par un lien, résistance de la victime qui, en se défendant, s'entaille les mains sur le couteau, égorgement et, la mort n'étant pas encore venue, éventration, puis mutilation et ablation des seins. L'hymen est intact, pas de viol, mais l'anus n'a pas été examiné et il y a des indices de coït anal.

AFFAIRE DU BOIS DU CHÊNE OU ETAULE (Côte-d’Or). — 12 mai 1895

Le cadavre d’Augustine Mortureux , âgée de dix-sept, ans a été trouvé dans une friche longeant la route 91 : la ligure était ensanglantée, les jupes relevées sur la poitrine et les jambes écartées ; sur le sol, il y avait une large tache de sang indiquant l'endroit où la jeune fille avait été tuée. Le corps avait été trouvé à trois mètres plus loin dans une cavité du sol formée par l'extraction des pierres. Vacher fait les aveux suivants : « Arrivé non loin de Dijon, j'ai rencontré sur la route nationale, une jeune fille de quatorze ans environ. Sans rien dire, comme d'habitude, je me suis précipité sur elle et l'ai tuée comme les autres avec un couteau, je ne sais lequel. On a dû retrouver le cadavre à deux ou trois mètres de la route; j'avais enlevé les souliers de la jeune fille, je ne l'ai pas violée. Plus tard le juge interroge Vacher sur ce crime.

« Quelqu'un est-il passé sur la route quand vous accomplissiez votre crime ? N'avez-vous pas aperçu des militaires passant à ce moment et n'était-ce pas pour vous abriter de leurs regards, que vous vous êtes caché derrière un parapluie que vous avez ouvert? » Vacher ne répond pas.

Le rapport médico-légal constate qu'il y a eu :

1° Egorgement, caractérisé par quatre plaies du cou. La plus importante, longue de 10 centimètres, oblique de gauche à droite, et de haut en bas, a ouvert au niveau du cartilage thyroïde, la trachée, la veine jugulaire et la carotide primitive droite. L'instrument a appuyé davantage du côté droit delà victime. Trois autres plaies sous la mâchoire, deux à droite et une à gauche : c'est presque la plaie en T.

2° Mutilations et plaies au voisinage des seins. — Sur le sein droit, une petite plaie très superficielle ; à trois travers de doigt au-dessous du sein gauche, plaie pénétrante de poitrine, mais n'intéressant ni le poumon ni le cœur.

3° Circonstances accessoires : vols. — Vacher reconnaît avoir pris les souliers de sa victime, qui paraissaient convenir à son pied. L'expert constate que les boucles d'oreille d'Adèle Mortureux ont été enlevées avec beaucoup de dextérité.

En résumé, dans la matinée, sur la route nationale, Vacher s'est précipité sur Adèle Mortureux. Bien qu'il n'en dise rien, il a dû la saisir au cou. Il y a eu manœuvres de strangulation avec les mains ou avec un lien. La jeune fille n'a pas résisté. La large plaie d'égorgement n'a pas permis à l'expert de constater les traces de cette strangulation. Il y a eu ensuite essai de mutilation du côté des seins. Peut-être l'assassin a-t-il été dérangé dans sa sinistre besogne. L'hymen est intact, donc pas de viol. Mais il n'y a pas eu examen de l'anus.

AFFAIRE DE SAINT-OURS (Savoie). — 24 août 1895

Le cadavre de la veuve Morand, pauvre ménagère, âgée de cinquante huit ans, a été trouvé étendu au milieu de la cuisine, couché à la renverse ; la robe et la chemise relevées laissaient voir les parties sexuelles. La cuisse droite et les genoux sont maculés de sang. Vacher énumérant les crimes qu'il a commis, dit : « En revenant de Saint-Ours, où j'avais tué, dans le courant d'août, avec un couteau, je ne sais lequel, une vieille femme qui m'a paru avoir soixante ans et que j'ai violée après le meurtre Si j'avais surtout à regretter un crime, ce seraitcelui-là, à cause du caractère loyal et hospitalier des gens du département. » M. Pourquet, dans un autre interrogatoire, rappelle à l'inculpé une conversation qu'il a eue dans son cabinet avec le juge d'instruction de Chambéry. Vacher a prétendu s'être servi de l'instrument qui lui était représenté, mais avoir aussi également frappé avec un autre couteau qui lui appartenait.

L'expert fait remarquer que « l'horrible ouverture de la gorge, résulte évidemment de plusieurs coups sauvages portés avec un instrument tranchant mal affilé. » La peau et les muscles offrent plusieurs incisions : ils sont, pour ainsi dire, mâchés. Il est possible que Vacher ait d'abord employé le couteau de cuisine couvert de sang et dont la lame était tordue. Mais les incisions et les mâchures, peuvent tenir aussi à la résistance de la victime, mal saisie à la gorge : en effet, la veuve Morand, porte au médius de la main gauche une petite plaie de défense. Quoi qu'il en soit, de l'aveu même de Vacher, il a employé un second instrument avec lequel il a déterminé l’Egorgement mortel. C'est une plaie béante énorme, située au-devant du cou, parallèlement à la mâchoire inférieure. En passant sous le menton, l'instrument a tranché les tissus entre l'épiglotte et l'os hyoïde.

Les gros vaisseaux latéraux du cou sont divisés. Signalons encore une précaution prise par Vacher. En s'en allant, il ferme la porte et prend la clé qu'il a jetée. En résumé, le matin, d'assez bonne heure, Vacher entre chez la veuve Morand, l'étrangle, l'égorge malgré ses résistances et emploie deux couteaux, peut-être le rasoir. Il n'y a pas eu trace de viol dit l'expert. Vacher avoue l'avoir pratiqué. L'anus n'a pas été examiné. Peut-être y a-t-il eu coït anal, ainsi que semblerait l'indiquer les taches d'huile sur les vêtements de la victime. Or, dans le sac de Vacher, on a trouvé un flacon d'huile dont il n'a pu indiquer l'emploi.

AFFAIRE DE BENONCES (Ain). — 1" septembre 1895

La victime est Victor Portalier, jeune berger âgé de seize ans. Sur le lieu de l'événement on remarque d'abord près d'un noyer une flaque de sang et des excréments frais. Dix mètres plus loin une large flaque de sang et des débris d'aliments à peine digérés. Non loin, un testicule bien dépouillé, des débris du scrotum, l'enveloppe cutanée de la verge. Puis on trouve une chemise ensanglantée et dont les manches sont retournées, mais sans déchirure ni perforation par instrument tranchant. Enfin, à 60 mètres du noyer, entre deux genévriers, dans le décubitus dorsal, on arrive près du cadavre complètement nu, sauf les pantalons étirés, déchirés, qui ne tiennent qu'aux malléoles. Ce qui frappe tout d'abord, ce sont les anses intestinales qui sortent par une vaste plaie de l'extrémité inférieure du sternum au pubis, se répandant sur le côté droit de l'abdomen et sur la cuisse fléchie. C'est une éventration complète.

Voici la scène du crime telle que la raconte Vacher : « ce jeune homme était debout, je crois, dans un pré où il gardait son bétail. Je suivais un chemin qui conduisait à la montagne et passait non loin du pré. Je me suis approché du berger, je ne lui aie rien dit, je l'ai saisi brusquement à la gorge et l'ai tué avec un couteau, je ne sais lequel; l'enfant s'est débattu, il a beaucoup crié ; il y a eu lutte ; ce devait être tout près d'un bois. Quoi qu'il en soit, après l'avoir tué, je ne l'ai pas souillé ; je l'ai mordu aux testicules. »

Il est certain qu'après cette horrible scène de cannibalisme, regorgement, l'éventration et les mutilations, après avoir dépouillé le cadavre de ses vêtements, lui avoir enlevé la chemise ensanglantée-et traîné le corps à une certaine distance, Vacher doit avoir du sang aux mains et sur ses vêtements. Un témoin raconte avoir vu un homme se laver dans un ruisseau ; Vacher dit qu'il ne croit pas s'être lave et il ajoute avec un aplomb vraiment cynique : J'aurais préféré abandonner certains détails en ce qui concerne certaines vilaines choses que j'ai faites, car je crains que l'exemple de ma maladie ne devienne nuisible a la moralité de la jeunesse. » Les médecins experts relèvent les blessures suivantes :

1° L'égorgement. — Sur le côté gauche du cou, il y a trois plaies ; deux sont peu profondes, la troisième portée avec beaucoup de violence, large de quatre centimètres, longue de trois, a sectionné la carotide.

2° L'éventration. — C'est une longue plaie en partie pénétrante s'étendant de l'extrémité inférieure du sternum au pubis.

3° Des mutilations et plaies. — Les parties sexuelles ont été enlevées avec un instrument tranchant. Vacher probablement pour montrer qu'il avait bien eu un accès de rage, prétendait avoir arraché les parties avec les dents. Il est utile de montrer l'exagération ou la fausseté des assertions de Vacher. Le D' Ravet spécialement interrogé sur ce point, maintient d'une façon formelle que la plaie faite pour enlever les parties sexuelles a été produite par un instrument tranchant; il rappelle qu'il a trouvé la peau de la verge avec un lambeau du scrotum, un testicule bien dépouillé et énuclée ; il serait difficile d'admettre que cette blessure ait été faite avec les dents. « Enfin, ajoute l'expert, la plaie présentait un angle droit, résultat certain d'une section faite avec un instrument tranchant. Peut-être que cet instrument était un rasoir. » D'autres blessures ont été relevées. Ainsi, une plaie de l'épigastre qui a ouvert l'estomac, une plaie de la poitrine, pénétrant jusqu'aux poumons, un peu au-dessous de l'appendice xyphoïde, à droite et ayant sectionné les fausses côtes ; une petite plaie du mamelon droit .

4° Ya-t-il eu attentat pédérastique. — Les experts disent : l'anus parait intact, nous n'avons observé ni égratignures, ni coups d'ongles, ni traces de lutte, Nous pensons au contraire qu'il y a eu coït anal post mortem : la présence des matières fécales près d'une flaque de sang, le cadavre mis complètement à nu comme celui de Tassin-la-Demi-Lune, ces blessures semblables à celles trouvées sur les jeunes bergers de Saint-Etienne-de-Boulogne et de Courzieu, pour lesquels, de l'aveu même de l'assassin, il y a eu coït anal. Tout constitue la grande mise en scène ou le paroxysme de l'extrême excitation génésique de Vacher.

En résumé, Victor Portalier saisi à la gorge, mais incomplètement étranglé a, d'après Vacher lutté et crié ; c'est croyons-nous peu probable. Le jeune berger a eu bientôt la gorge ouverte et la mort n'a pas tardé à venir. Il a été éventré, des blessures diverses ont été faites, il y a eu mutilation des parties génitales. Le cadavre a été mis à nu et l'assassin a souillé sa victime. Dans tout cela, nous voyons une excitation portant à la fois sur l'instinct génésique et sur l'instinct destructeur. Cette association est extrêmement fréquente. Nous ne reconnaissons pas là les traits d'une impulsion irrésistible tenant à une vésanie quelconque : ce n'est pas le délire d'un épileptique, Vacher dit: c'est un accès de rage et pour le montrer, il prétend qu'il a mordu sa victime. Vacher, c'est certain, n'a pas arraché avec les dents les parties génitales de Portalier. Son désir d'exagération n'ajoute pas à l'horreur du crime. Il est démontré d'une façon irréfragable que les blessures ont été faites par un instrument tranchant. Nous estimons même contrairement à ce que dit Vacher qu'il n'a pas employé un couteau quelconque, mais le rasoir.

AFFAIRE DE TRUINAS (Drôme), — 23 septembre 1895

La victime est Aline Alaise, Agée de seize ans, fille d'un propriétaire du pays. Le cadavre se trouvait dans le remblai du chemin, la tôle en bas, la face couverte de terre. On aurait dit que le corps avait été précipité du haut du talus, ou môme traîné jusqu'au fourré le plus voisin du chemin. Le cadavre était à demi couvert par des branches de hêtre et d'acacia. Vacher donne les renseignements suivants : « De Bénonces, j'ai passé dans l'Isère, puis dans la Drôme et dans ce département, en traversant l'arrondissement de Die, trois semaines ou un mois après l'affaire de Bénonces, j'ai rencontré un soir sur une route, une jeune fille d'environ dix-huit à vingt ans, sur laquelle je me suis précipité comme je l'avais fait pour les autres victimes et à laquelle j'ai coupé la gorge. Je n'ai pas violé cette jeune fille. Le rapport de l'expert relève :

1° L'égorgement. — C'est une plaie au-dessous du menton, absolument semblable à celle qui a été constatée sur le cadavre de la veuve Morand à (Saint-Ours) plaie profonde allant jusqu'à la colonne vertébrale, à bords nets, avec une boutonnière à gauche. La section comprend la peau, les muscles, le larynx, les vaisseaux, les nerfs, l'œsophage. L'assassin a pu employer le rasoir.

2°Eventration. — Ce sont des plaies, l'une à la cuisse gauche sur presque toute la longueur de celle-ci ; une seconde plaie dans le flanc droit pénètre dans l'abdomen. C'est un commencement d'éventration probablement interrompu.

3° État des parties sexuelles. — L'examen direct des organes ne permet pas de dire s'il y a eu viol. Mais, ajoute l'expert, la disposition des vêtements permet de supposer une tentative. Il n'y a pas eu examen de l'anus.

En résumé, sur un chemin, de bon matin ou le soir, Vacher a saisi à la gorge Aline Alaise, l'a égorgée, a pratiqué quelques mutilations et un commencement d'éventration. L'assassin a dû être interrompu dans sa besogne. En voici la preuve :

Dans un interrogatoire, le juge demande A Vacher : « Aussitôt après avoir assassiné Aline Alaise, n'avez-vous pas dit à un voiturier qui passait et qui s'étonnait que vous fussiez couvert de sang, que vous étiez sujet au mal caduc et qu'en tombant au cours d'une crise, vous veniez de vous blesser. Le voiturier a encore dit que vous vous teniez la tête d'une main probablement pour cacher une infirmité faciale et que de l'autre vous rameniez la terre sur la flaque de sang. » Vacher répond : « Cela n'est pas exact. Lorsque la voilure est passé, j'étais assis sur le talus de la route, je venais de me tordre le pied fortement en tombant avec ma victime.

L'entorse était légère ou a vite guéri. Ceci se passait le 23 septembre, six jours après, le 29, Vacher était dans l'Ardèche.

AFFAIRE DE SAINT-ETIENNE-DE-BOULOGNE (Ardèche). — 29 septembre 1895

La victime est Pierre Massot-Pellet, Agé de quatorze ans. Le lieu du crime, situé à peu près à deux kilomètres de la commune de Gourdon, est absolument désert. Il y a là des bois et des rochers. On y trouve une grange auprès de laquelle on aperçoit le cadavre du jeune berger étendu sur le côté droit, la face presque contre terre. Les cuisses étaient A demi-fléchies sur le ventre, les jambes complètement fléchies sur les cuisses, les pantalons déboutonnés et rabattus jusqu'aux genoux; le sol était abondamment imprégné de sang, la tète, la veste et la chemise étaient aussi imbibées de sang. Vacher raconte ainsi ce crime. « Le crime de Truinas, une fois commis, j'ai passé dans l'Ardèche, où quelques jours après, j'ai tué de la même manière, un jeune berger que j'avais rencontré auprès d'une bergerie. » Dans un autre interrogatoire, il ajoute : « Il est inexact que j'ai surpris l'enfant au moment où il se livrait à la défécation. J'ai souillé aussi cette victime après le meurtre. Le rapport médico-légal relève :

1° L'égorgement. — C'est une blessure en T, la plaie transversale de quinze centimètres intéresse les tissus jusqu'à la colonne vertébrale. La plaie descendante longue de dix centimètres arrive jusqu'au sternum.

2° L'éventration. — Une plaie du ventre s'étendant du pubis à la pointe du sternum et laissant passer la masse intestinale. L'intestin grêle a été ouvert et laisse échapper un liquide jaunâtre, gluant, qui a coulé sur le ventre, les cuisses, jusqu'aux fesses. L'expert dit: « Les bords des plaies sont nets, la section ayant été faite avec un instrument tranchant manié avec une grande vigueur par une main assurée. Nous pouvons nous demander si Vacher n'a pas employé le rasoir.

3° Les parties génitales. — Il y a une petite plaie intéressant la peau du scrotum ; elle est sans importance et paraît avoir été faite en même temps que la plaie du ventre.

L'anus n'a pas été examiné, mais nous savons que Vacher a avoué avoir souillé sa victime. En résumé, dans un lieu désert, à la lisière d'un bois, le malin, Vacher saute à la gorge d'un jeune berger, l'étrangle, l'égorgé, pratique sur lui une éventration, peut-être une mutilation des organes génitaux, puis sur le cadavre se livre au coït anal. Voila l'ensemble caractéristique du procédé de Vacher. C'est ce que nous avons relevé sur le corps de Victor Portalier à Bénonces, ce que nous dirons pour le berger tué à Courzieu, et, sans forcer une analogie, ce que nous pouvons supposer pour le crime de Tassin-la-Demi-Lune. Ces jeunes patres allument chez Vacher les désirs les plus lubriques et les plus sanguinaires. Vacher dit en effet dans un de ses interrogatoires : « Je me suis attaqué à des enfants parce que la maladie le voulait. Peut-être les enfants exerçaient-ils une sorte d'attraction sur moi. » Oui, voilà la vérité : de tous temps, Vacher a été pédéraste, plus tard, il est devenu assassin et sadique.

AFFAIRE DE BUSSET (Allier). - 10 septembre 1896

La victime est la nommée Marie Mounier, âgée de dix-neuf ans, bergère. Le cadavre fut trouvé dans les broussailles, étendu sur le dos, au bas d'une haie vive servant de clôture au pré. Les vêtements étaient déchirés, la chemise coupée jusqu'au dessus du nombril, le corset décroché laissant la poitrine complètement à découvert. Voici les aveux de Vacher: « A la fin de juillet, je quitte la Seine-et-Oise avec la résolution de me rendre dans le midi pour y passer l'hiver. Vers septembre ou octobre je traverse successivement l'Allier où je tue une jeune femme paraissant avoir vingt ans. C'était non loin de Vichy, comme je vous l'ai déjà dit; j'avais pris la bague de ma victime que j'ai jetée ensuite je ne sais où. Le rapport médico-légal relève les blessures suivantes :

1° Egorgement. — Sur le côté gauche du cou, il y a une blessure de cinq à six centimètres de long, à bords nets, à direction transversale; elle occupe la moitié antérieure du coté gauche du cou et s'avance jusqu'à la ligne médiane. Les tissus superficiels, le muscle sterno-cléido-mastoïdien, le bord inférieur du lobe gauche du corps thyroïde, la carotide et les trois quarts antérieurs de la trachée avaient été sectionnés d'un seul coup, en raison de la direction unique et rectiligne des bords de la blessure. A quelques mètres de la victime, il existait sur le sol une large tache de sang. A proximité du cadavre, on a ramassé un fragment de chair, de forme triangulaire, que l'examen histologique a démontré être un morceau du corps thyroïde. Ce fragment nous semble indiquer que la coupe de cet organe, et, par conséquent, la plaie d'égorgement résulte de l'action d'un instrument très aiguisé, tel qu'un rasoir.

2° Le nez présentant les caractères d'une morsure.

3° Du côté des organes génitaux, l'expert ne trouve pas trace de viol mais il suppose une tentative en raison de l'état des vêtements. Il n'y a pas eu d'examen de l'anus.

En résumé, à la fin de la journée la bergère, qui gardait son bétail dans un pré, est assaillie par Vacher qui la tue de la même manière que ses autres victimes, c'est-à-dire qu'elle est égorgée et étranglée. La disposition des vêtements déchirés nous parait indiquer qu'il s'apprêtait à pratiquer l'éventration et qu'il en a été empêché par une circonstance fortuite. Y a-t-il eu coït anal ? Nous ne pouvons que poser la question. Mais il est à remarquer que c'est la seule victime à laquelle Vacher ait fait une morsure. Nous avons dit à propos de l'affaire de Bénonces qu'il avait avancé avoir arraché les parties génitales de Portalier avec les dents. On sait qu'il n'en est rien; les affirmations de M. le Dr Ravet, la description des caractères de la blessure, montrent d'une façon indiscutable que les parties sexuelles de la victime ont été enlevées avec un instrument tranchant. Or, Vacher, dans son système, tient à montrer que ses victimes ont été tuées dans des accès de rage et il vent faire jouer un grand rôle aux morsures. Ainsi, il dit dans différents interrogatoires:

« J'ai mordu plusieurs de mes victimes; Je me précipitais sur ma victime; si je n'avais pas eu de couteau, je les aurais eu tuées en les mordant; cela me souriait tellement de mordre, qu'en ce qui concerne plusieurs des personnes que j'ai tuées, je leur ai fait des morsures, même après les avoir tuées avec un couteau. Je m'étonne qu'on ne n'ai pas parlé plutôt de ces morsures, attendu qu'on a du en remarquer sur plusieurs de mes victimes. »

Il est fâcheux pour le système des « accès de rage » que nous n'ayons, dans tous les rapports des médecins légistes, relevé qu'une seule morsure.

AFFAIRE DE SAINT-HONORAT (Haute-Loire). — 1 octobre 1896

La victime est la jeune Rosine Rodier, une bergère de quatorze ans. Le cadavre fut trouvé dans un fourré composé de pins, de génois et de bouleaux. Dans le pré voisin, on remarque d'abord, avec un seul des sabots de la victime, une petite mare de sang, puis une traînée de sang de cet endroit au fourré où était le corps couché sur le dos. Les vêtements du bas étaient relevés au-dessus des genoux. Vacher raconte ce crime de la façon suivante : « Après le crime de Busset, je passe dans la Haute-Loire, où je donne la mort, non loin du Puy, à une jeune fille d'une quinzaine d'années en lui coupant la gorge et en la mutilant à l'aide d'un couteau. » Voici les constatations faites par le médecin-expert:

1° Égorgement. — Au cou, une plaie dirigée de gauche à droite et de bas en haut, d'une longueur de huit centimètres : tous les gros vaisseaux ont été ouverts.

2° Éventration. — Le ventre est ouvert, à droite de haut en bas : par cette incision étendue de l'ombilic à la plaie de la vulve.il y a sortie des intestins. Cette blessure est consécutive à la plaie du cou qui a entraîné la mort.

3° Mutilation. — Les parties génitales externes sont enlevées par une incision qui a détaché ces organes et entamé les cuisses. Cette plaie a huit centimètres en hauteur et dix en largeur. Elle a été faite après la mort. Ces plaies peuvent avoir été faites avec un rasoir.

4° La question de tentative de viol, dit l'expert, peut être résolue en la déduisant de l'ensemble des faits, malgré la mutilation des parties génitales externes; elle parait subsidiaire par l'effet même de cette mutilation. L'examen de l'anus n'a pas été fait.

En résumé, un matin, Vacher se précipite sur cette jeune bergère de quatorze ans. Il l'étrangle, l'égorge, procède à une éventration et à des mutilations. Il n'est pas possible de dire s'il a violé sa victime ou pratiqué le coït anal. Toutefois, nous relevons dans l'exécution de ce crime, tous les éléments qui se sont trouvés sur ses victimes masculines ; égorgement, éventration, mutilation des parties sexuelles. Or, tout ce carnage est l'accompagnement de la lubricité de cet homme.

Un détail complémentaire montre bien que pendant ou après le crime Vacher observe ce qui se passe. Sa mémoire fidèle retrace plus tard une circonstance oubliée des autres personnes. Ainsi on confronte l'inculpé avec un témoin et Vacher rappelle à celui-ci qui l'avait oublié, que le jour du crime, il régnait un brouillard intense. Vacher ajoute : « Je ne savais où aller après le crime. J'étais perdu dans le brouillard et ce jour la, il faut bien croire que Dieu m'a sauvé, puisque tout à coup, je me suis retrouvé sur la route où je me suis reconnu; puis, j'ai pris un chemin qui passe dans la voie ferrée et que j'avais suivi avant le crime.

AFFAIRE DE TASSIN-LA-DEMI-LUNE. — (fin mai 1897)

La victime est un vagabond de quatorze ans nommé Claudius Beaupied. Vacher a fait l'aveu de ce crime dans un moment de vanité et comme pour montrer la véracité de ses récits à la presse incrédule qui affirmait qu'il endossait une série de crimes dont il avait entendu parler, mais n'avait pas commis. « Que diront les journalistes si je fais connaître un crime ignoré de tous? » Et aussitôt, il fait la déclaration suivante: C'était quinze jours ou trois semaines environ avant le crime de Courzieu, à deux heures de marche au delà de Fourvière, en se dirigeant du côté des Cévennes, j'avais couché dans une maison inhabitée, sur la gauche de la route. Le matin, un garçon d'une quinzaine d'années, que j'ai pris pour un roulant, est entré dans cette maison. Je lui ai coupé la gorge avec un rasoir que j'avais trouvé quelques jours auparavant et j'ai jeté le corps dans un puits qui se trouve dans la cour. La maison dont je vous parle est à l'angle d'un chemin qui aboutit à la route et il y a derrière, une haie de sureaux. C'est de là que je me suis dirigé sur Courzieu. »

Avec ces renseignements précis qui montrent la fidélité de la mémoire topographique de Vacher, il fut facile de trouver la maison située sur la commune de Tassin-la-Demi-Lune. On retira du puits des ossements. Après examen, l'expert conclut que ces débris humains ont appartenu à un individu âgé de douze à quatorze ans, mesurant de 1 m.38 à 1 m.42 de taille. Le squelette ne présentait pas de trace de blessures. Les constatations faites sur les vêtements établissent que le porteur de ceux-ci a été atteint d'un certain nombre de blessures et que quelques-unes de ces blessures ont été produites dans la région postérieure au niveau des fesses, probablement dans la région anale. Les parents affirment que les vêtements ont appartenu à Claudius Beaupied, né à la Charité à Lyon, en 1883. La femme Beaupied a reconnu la mâchoire et la dentition de son fils. Vacher a dit encore que sa victime de la même taille que lui, était maigre, imberbe et paraissait avoir de seize à dix-huit ans. Vacher ajoute que s'il a dépouillé le cadavre de ses vêtements, c'est parce qu'ils étaient déchirés. Voilà une explication étrange et que nous ne saurions admettre la vérité, mais les aveux de Vacher, l'état des vêtements examinés par l'expert l'indiquent. Claudius Beaupied a été étranglé, égorgé, probablement éventré, mutilé aux parties génitales et probablement à l'anus, comme l'ont été les autres jeunes garçons, Portalier ;Massol-Pellet, Pierre Laurent. Comme eux, cette victime a été souillée. Ce que la passion de Vacher le poussait à faire, dans les chemins, sur une route, pouvait-il hésiter à l'accomplir dans une maison abandonnée; les actes si souvent répétés tiennent lieu d'aveux. .Notre conviction est complète sur ce point.

AFFAIRE DE COURZIEU. — 18 juin 1897

La victime est un berger de treize ans, Pierre Laurent. Le rapport médico-légal indique la position du cadavre. Dans un petit sentier et à côté du chemin d'intérêt commun n° 17, on a relevé une large tache de sang et des traces de piétinement. Un peu au-dessous, un débris souillé et piétiné qui était le testicule droit enlevé à la victime. Le corps se trouvait derrière une haie, la face contre terre, le bras droit engagé sous le corps, le gauche plié avec la main contre le buste et le coude écarté; la jambe droite allongée et la gauche légèrement ployée. Le pantalon était déboutonné et tous les vêtements en désordre.

Voici le récit de Vacher : « J'ai rencontré dans la nuit, sans que je puisse préciser l'heure, sur une route, un jeune garçon conduisant des bœufs non attelés à une voiture, je l'ai tué comme les autres en lui coupant le cou avec un couteau je ne me rappelle pas lequel, puis j'ai placé le corps derrière une haie, non pour ne pas le laisser sur la route, mais parce qu'en se débattant, il m'avait entraîne vers la haie. Je crois avoir essayé sur lui un acte de pédérastie que je n'ai cependant pas consommé. Après le crime de Courzieu, je me suis dirigé sur Lyon et cette nuit là j'ai traversé beaucoup de villages. » Dans un précédent interrogatoire, parlant du petit garçon de Courzieu, Vacher avait dit: « J'ai essayé de souiller ma victime, mais je ne sais si c'était avant ou après le meurtre. Je crois cependant que c'était après. » Le Dr Boyer, médecin-expert, relève les lésions suivantes :

1° Égorgement. — Le cou est sectionné en avant par une plaie transversale de huit centimètres et demi de long sur quatre de large, pénétrant jusqu'à la colonne vertébrale. Les bords de la plaie sont irréguliers, hachés, avec deux encoches très marquées à droite et en haut. Il y a une plaie secondaire à gauche. La section n'a pas été faite d'un seul coup et le meurtrier a dû procéder en deux ou trois temps pour accomplir cet égorgement. L'action de l'instrument a porté surtout sur la région médiane et un peu plus à droite. L'état des vêtements indique aussi la lutte, mais le siège des taches ne montre pas si l'enfant a été frappé debout ou à terre, le cadavre ayant été trouvé derrière la haie.

2° Mutilation. — Le scrotum est ouvert par une plaie ayant neuf centimètres de haut et sept centimètres transversalement. Le testicule droit est enlevé: on se le rappelle, il a été ramassé sur le chemin. Le cordon et tout le paquet vasculo-nerveux ont été coupés un peu au-dessus de l'anneau inguinal. La présence de caillots et de sang infiltré montre que cette blessure a été faite pendant la vie. La plaie du scrotum a ouvert la tunique qui enveloppe le testicule gauche, mais de ce côté pas de mutilations.

3° Actes de pédérastie ou coït anal. — Les constatations de l'expert sont importantes après les aveux de l'inculpé. Dos matières focales s'échappent de l'anus. En arrière de l'ouverture anale, près de la ligne médiane, on voit trois petites déchirures do la muqueuse, très nettes, de l'orme triangulaire, mesurant environ six millimètres de la hauteur. « Il y a la les signes d'un acte de pédérastie récent et surtout d'actes pédérastiques anciens et répétés, dit le Dr Hoyer. »

En résumé, la nuit, entre onze heures et minuit, Vacher assaille un jeune berger de treize ans. Ses tentatives de strangulation ne produisent pas l'effet ordinaire; l'enfant résiste, lutte, et regorgement se l'ait en plusieurs temps. L'irrégularité de la plaie retarde probablement le moment de la mort, et celle-ci n'était pas encore venue quand Vacher fait au bas du ventre, sur les parties sexuelles, une large plaie, enlevé un testicule. Les aveux de l'inculpé et les observations du médecin nous montrent qu'il a souillé sa victime. Mous pouvons même dire, d'après les constatations de l'expert, que Vacher a pratiqué le coït anal brusque, c'est-a-dire sur l'enfant non encore mort. Un a trouvé, en effet, les signes dit l'intromission brutale d'un corps étranger dans l'anus, signes qui ne se produisent pas sur le cadavre, alors que les sphincters sont toujours relâches. Une question peut encore se poser. Avec quel instrument ont été faites ces blessures ? Vacher répond : « Avec un couteau, je ne sais lequel ». M. le Dr Hoyer dit: A l'aide d'un couteau assez solide et d'un certain calibre ». Les bords de la plaie, irréguliers et hachés, avec encoches se voient dans les blessures pur coups de rasoir. Do plus, il faut une lame remarquablement affilée pour tailler une plaie du scrotum, semblable à celle dont il a été parlé, et il est plus facile de la faire avec un rasoir qu'avec un couteau. Si nous insistons sur ce détail, c'est pour réfuter une fois de plus les assertions de Vacher, dont lu mémoire merveilleuse ne lui fait jamais défaut, on s'en aperçoit par toutes les citations que nous avons faites et de plus, pour détruire le système de défense de l'inculpe qui croit avoir intérêt à donner certains détails plutôt que d'autres.

Nous venons de passer une revue des onze assassinats avoués par cet homme. Il était indispensable d'examiner ce nécrologe pour bien connaître les procédés employés par l'inculpé, rechercher quel était le but poursuivi, la passion a assouvir. Il faut, enfin, se demander si la répétition constante de ce grand appareil de manœuvres sanguinaires et implacablement mortelles est l'œuvre d'un cannibale, mais d'un cannibale responsable, ou, au contraire, d'un fou inconscient, dont la société a quand môme ù rougir, car on est à se demander quelle est la part de la collectivité dans la préparation ou l'élaboration d'un monstre pareil. Reprenons donc le problème, sous une autre face, en récapitulant les façons de faire de Vacher, et en groupant systématiquement les coups qu'il porte à ses victimes. D'abord, il est bien certain qu'il choisit celles-ci. Il les faut adolescentes : les enfants exercent sur lui une sorte d'attraction. La chair fraîche et jeune le fascine, l'attire. Vacher tue quatre garçons, six filles, une vieille femme. Les premiers ont de treize à seize ans : les autres ont seize, dix-sept, dix-neuf et vingt et un ans. Puis, comme pour faire contraste, Vacher avoue l'assassinat d'une femme de cinquante-huit ans, qu'il croyait même beaucoup plus âgée, ajoute-t-il, lorsqu'il l'a violée. Comment trouve-t-il ses victimes ? Il sort des bois et assaille bergers et bergères qui gardent leur bétail dans les prés. Il rencontre sur les grandes routes ou les sentiers de nombreux voyageurs, mais lu rage ne. le prend qu'en voyant devant lui, loin des habitations, un adolescent de sexe quelconque; ainsi, le jour à Vidauban, à Étaules, à Dénonces, ou la nuit, comme à Beaurepaire, à Truinas, à Busset et a Courzieu. Si une baraque, une bergerie, une maison déserte sont près de lui, Vacher remarque de suite cet isolement et y traîne la victime.

Il n'est donc pas douteux que Vacher choisit l'heure, le moment, le lieu. Quand le juge lui pose une question semblable sur cette préméditation évidente, l'inculpé répond : Il m'est arrivé plus d'une fois de me trouver précisément dans les conditions que vous indiquez et de causer tranquillement avec de jeunes personnes, sans que jamais l'idée me soit venue de leur faire du mal. Quoi que vous puissiez eu croire, j'affirme que jamais aucun de mes crimes n'a été de ma part un acte, réfléchi. Ainsi, jamais qui que ce soit, n'a pu me voir attendre ma victime : je les ai toutes rencontrées sur mon passage, sauf celles de Suint-Durs et de la Demi-Lune, et encore, en ce qui concerne ces deux la, n'ai-je fait qu'obéir à mu rage de tuer qui m'a pris un moment où je les ai vues. Et dans un autre interrogatoire : « Une rage me poussait à marcher droit devant moi et à commettre mes crimes, je ne cherchais pas les victimes ; c'était le hasard des rencontres qui décidait de leur sort ; les pauvres gens ne sont pas à plaindre ; ils n'ont pas souffert plus de dix minutes; je les tenais d'une main a la gorge et les tuais de l'autre avec l'instrument que j'avais et que je vous indiquerai plus lard ".

Attaque et assassinat des victimes.

Les aveux précédents montrent la rapidité de la scène et le procédé employé. L'inculpé opérait vite. Il ose presque dire sans douleur, l'attaque était aussitôt suivie de mort. C'est qu'en effet, Vacher n'improvise pas, il procède méthodiquement. Il ne tue pas comme le fait un fou, en frappant d'une façon quelconque sa victime, s'acharnant sur elle, faisant des blessures de tous cotés, au hasard de sa furie. Il étrangle d'abord sa victime, puis la saigne au cou. Toutes ont péri de la même manière : strangulation d'abord, égorgement ensuite. La méthode de Vacher est la suivante : il se débarrasse de la personne vivante, pour prendre possession du cadavre qu'il mutile et souille. Après l'assassin, le vampire. Etudions successivement ses procédés de strangulation, d'égorgement, de mutilation.

La strangulation. — Elle était produite par la constriction du cou avec les mains ou à l'aide d'un lien. Vacher est vigoureux, d'une force musculaire au-dessus de la moyenne, il portait les ongles très longs, ceux-ci ont laissé des empreintes manifestes sur le cou d'Eugénie Delhomme et les ecchymoses étaient bien visibles parce que regorgement mal pratiqué avait fait porter la plaie en haut et à droite, presque à la hauteur de l'oreille. Dans les autres cas, les rapports médico-légaux ne parlent pas de coups d'ongles, d'ecchymoses superficielles ou profondes. Les lésions pouvaient cependant exister, mais elles disparaissaient dans la béance de la plaie du cou, et, d'ailleurs, l’égorgement ne tardant pas à être pratiqué, les ecchymoses n'avaient pas le temps de se produire à cause de l'abondance de l'hémorragie. La strangulation pouvait encore être opérée à l'aide d'un lien. Vacher connaissait très bien ce que dans l'argot des rouleurs on appelle « le coup du père François ». Une corde, un foulard, une ceinture sont enroulés autour du cou de la victime qui, saisie d'effroi et inanimée, est, à l'aide d'un lien, facilement chargée sur l'épaule de l'agresseur. N'est-ce pas ainsi que Vacher a fait à Louise Marcel : « Je l'ai amenée par le cou dans une baraque. » Ces procédés de strangulation empochent la victime de crier, peuvent déterminer une syncope et môme la mort. En immobilisant la personne étranglée, ils permettent toutes les violences et surtout regorgement. Mais quelquefois, la strangulation est incomplète, l'évanouissement peut n'être que passager. La victime se débat et lutte. Une seule a vraiment des plaies de défense : c'est l'assassinée de Vidauban. Une autre s'est débattue au moment de regorgement : c'est le petit berger de Courzieu. Sur les neuf autres, la béance du cou, la plaie énorme, comme disent plusieurs rapports, montrent que la gorge a été ouverte alors que la victime était encore immobile. Vacher l'indique lui-même : Je les tenais d'une main à la gorge et les tuais de l'autre. » Nous en avons assez dit et nous croyons avoir montré que pour agir ainsi, il fallait de l'audace, du sang-froid, une entière possession de soi-même, la conviction basée sur l'expérience que le manuel opératoire employé conduisait rapidement et fatalement à la mort. En effet, tout cela se faisait si vite, que Vacher avait peu de sang sur ses vêlements et qu'il n'a jamais été blessé ni égratigné par les victimes. Dans l'interrogatoire du 26 octobre, le juge demande ù l'inculpé s'il n'a pas jeté ses vêtements couverts de sang. Vacher répond : « Non, Monsieur, je n'avais jamais beaucoup de sang sur moi, vu que j'agissais très précipitamment, et s'il m'arrivait parfois d'être par trop taché, je me lavais dès que j'avais l'occasion de trouver de l'eau sur mon passage. » Le juge reprend : « N'avez-vous jamais porté de traces de coups ou d'égratignures de vos victimes? » Vacher répond : « Le hasard a voulu que jamais je ne fusse égratigné. Voici la dernière question : « N'avez-vous jamais laissé échapper aucune des personnes sur lesquelles vous vous êtes précipité ? » Et l'inculpé de répondre : « Jamais aucune ne m'a échappé, celle de Champis n'a été épargnée que parce que mes idées malades m'ont abandonné à ce moment » (sic). . En résumé, il saute à la gorge des victimes, pour les égorger ensuite plus facilement. Son adoption montre la préméditation et quoi qu'il eu dit, c'est une suite d'actes délibérés.

L'égorgement. — Voici encore un acte mûrement réfléchi et nous allons le faire voir exécuté avec une précision et une habileté vraiment extraordinaire, prouvant jusqu'à l'évidence, la mise en œuvre d'un calme et d'une volonté imperturbables. Il est d'abord probable que pas une victime n'a été frappée debout. Toutes paraissent avoir été égorgées étant allongées à terre. Il y a de ce fait trois preuves démonstratives : l'absence de blessures ou contusions à la tête ou au dos des victimes ; l'examen des flaques ou mares de sang sur le lieu du crime ; la disposition des taches de sang sur les vêtements mêmes des victimes. 1° L'absence de blessures ou contusions à la tête ou au dos des victimes nous semble prouver que lorsque celles-ci ont été égorgées, elles devaient se trouver allongées à terre. Si elles avaient été frappées debout, elles seraient tombées brusquement, et, dans leur chute se seraient fait des blessures qui auraient fixé l'attention des médecins experts. Le cadavre de la veuve Morand à Saint-Ours présentait une ecchymose au front que l'expert a dit pouvoir être attribuée peut-être à la chute. Tous les rapports font mention d'une ou môme de deux flaques ou mares de sang (Vidauban, Bénonces). D'après les descriptions qui en sont faites, il nous semble que les témoins veulent parler d'une abondance de sang répandu eu un môme endroit. Si la victime avait été frappée debout et s'était débattue, le sang qui s'échappe brusquement et avec violence des vaisseaux du cou peut être projeté à 1m. et même 2 mètres, les objets du voisinage sont arrosés et présentent des taches de projection tout à fait caractéristiques. Dans un pré ou dans un champ, cette constatation eût pu passer inaperçue, mais il n'en aurait pas été ainsi dans les endroits limités où les victimes ont été tuées, ainsi à Vidauban, à Saint-Etienne-de-Boulogne, à Saint-Ours, à Tassin-la-Demi-Lune. Dans ces espaces restreints, les murs ou objets quelconques auraient été éclaboussés par le sang projeté. Dans leur rapport, sur l'affaire de Vidauban, les experts font remarquer que les vêtements ne portent pas de sang en avant et ils disent avec raison que si la victime était restée quelque temps debout, après regorgement, le sang se serait répandu sur la partie supérieure et antérieure des vêtements. Dans la plupart des rapports en effet, on constate que les vêtements sont surtout imbibés de sang en arrière, sur les côtés, soit que le corps ait séjourné près de la flaque de sang, ait été retourné, soit qu'il ait été traîné plus loin. Vacher tenait sa victime d'une main et de l'autre lui ouvrait la gorge. La victime devait être allongée à terre presque insensible ou immobilisée par la strangulation. L'assassin la saignait en ouvrant largement le cou sur un côté. Le sang se répandait à terre sans atteindre môme Vacher. On s'explique ainsi, comme il l'a dit d'ailleurs, qu'il eût en général, peu de sang sur les vêtements. Personne n'ignore que les plaies du cou donnent lieu aux hémorragies les plus abondantes. La plupart des victimes de Vacher d'après l'état d'anémie des organes et la vacuité des cavités du cœur, ont été saignées à blanc. Pour en finir avec cette question de regorgement, il faut indiquer quelles étaient les parties du cou atteintes par l'instrument de l'assassin. La victime à terre, comme nous l'avons montré, Vacher choisissait la région à inciser. Le plus souvent, c'était une plaie transversale, au-dessous On peut se demander quelle quantité de sang s'est ainsi écoulée. Autrefois on estimait la totalité du sang à dix litres ; aujourd'hui, on sait quelle est de six à sept kilos, c'est-à-dire six litres on moyenne pour un homme adulte. Nous pouvons évaluer à quatre on cinq litres la quantité de sang répandue par chacune des victimes de Vacher. La plaie du cou est parfois en T, ainsi sur le jeune berger de Saint-Etienne-de-Boulogne, ou bien la plaie siège surtout à droite et près de la mâchoire et est à peine transversale : C'est ce que l'on a constaté sur les victimes de Beaurepaire, de Vidauban, d'Etaule, Vacher devait alors se trouver en arrière ou à gauche. L'assassin occupait une position contraire lorsqu'il égorgeait les victimes de Busset et de Bénonces qui portaient une plaie sur le côté gauche du cou. En résumé, une fois la position choisie ou imposée par les circonstances, l'assassin faisait telle ou telle incision pour éviter de recevoir des jets de sang. Ce tour de main de Vacher montre toute sa présence d'esprit au moment où il égorgeait méthodiquement ses victimes.

L'éventration. — Celle-ci a eu lieu sept fois sur onze victimes. Cinq fois l'éventration a été complète. Sur la victime de Vidauban qui a été éventrée, alors qu'elle n'était pas encore morte, on relève sept blessures à l'abdomen. L'éventration par une longue incision du sternum au pubis, a été pratiquée de la môme manière sur les deux bergers de Bénonces et de Saint-Etienne-de-Boulogne. Cette éventration ou ces mutilations qui terminaient la scène de carnage sont là, comme pour montrer qu'en les pratiquants au hasard, Vacher était arrivé au paroxysme de l'excitation. Il y a lieu de remarquer que les causes manifestes de cette excitation étaient la jeunesse et le sexe des victimes. Ce sont, en effet, les plus jeunes et les quatre garçons. Voilà probablement les vrais motifs de cette surexcitation passionnelle.

Les mutilations. Notre explication est si vraie que l'on ne peut en trouver d'autre, au sujet des mutilations diverses qui ont été relevées sur les jeunes garçons ; il y a ablation d'un ou des deux testicules, de la verge. Ces organes sont détachés et jetés au loin. A la victime de Saint-Honorat, âgée de quatorze ans, l'assassin a détaché les parties génitales externes. Les seins sont enlevés sur la jeune Louise Marcel, âgée de treize ans. Le cadavre présent, en outre, des plaies du côté de l'anus et des cuisses. En résumé, éventrations et mutilations sont des blessures produites dans les mômes conditions psychiques : c'était la période d'acharnement pendant laquelle Vacher frappait avec une sorte de rage. La prise de possession du cadavre l'exaltait ; alors, mais seulement alors, il portait des coups un peu à l'aventure, bien que toujours localisés aux organes génitaux ou à leur voisinage. Même dans cet état d'agitation extrême, Vacher restait érotomane. Cette mutilation des organes génitaux est vraiment la marque sadique.

État des vêtements des victimes. — Il est tout aussi important de faire voir, puisque le grand nombre de crimes nous donne tous ces éléments d'information, que l'état des vêtements, la manière dont Vacher se comporte à leur égard, apportent aussi des preuves sur la nature des actes accomplis par l'assassin. Les premiers témoins qui trouvent le cadavre sont tous impressionnés par les restes d'une mise en scène : l'état et le désordre des vêtements indiquant plutôt des déchirures faites par l'agresseur que le résultat d'une lutte. A Beaurepaire, le fichu et le corset sont jetés à une certaine distance du cadavre. A Vidauban, les vêtements sont en grand désordre. La victime d'Etaule a les jupes relevées sur la poitrine, les jambes écartées. Le cadavre de la vieille femme de Saint-Ours a aussi la robe et la chemise relevées, laissant voir les parties sexuelles. A Bénonces, on trouve d'abord une chemise ensanglantée, dont les manches sont retournées, sans déchirure ni perforation, le cadavre du jeune berger est complètement nu. Sur le corps de la victime de Truinas, la taille de la robe et la jupe ont été tirées et relevées violemment. A Saint-Etienne-de-Boulogne, on constate que les pantalons de l'enfant sont déboutonnés et rabattus jusqu'aux genoux. Sur la victime de Busset, les vêtements sont déchirés, la chemise coupée jusqu'au nombril, le corset décrocheté laissant la poitrine à découvert. De même à Saint-Honorat, les vêtements sont relevés au-dessus des genoux. Rappelons que Vacher dit avoir dépouillé le cadavre de Tassin-la-Demi-Lune de ses vêtements parce qu'ils étaient déchirés. Enfin le petit pâtre de Gourzieu avait les pantalons abaissés jusqu'au pli fessier et tous les vêtements en désordre. En résumé, les vêtements sont des obstacles que Vacher écarte pour atteindre le but convoité : la vue ou l'étalage de la chair.

De l'instrument employé Nous ne dirons que quelques mots de l'instrument tranchant employé. Vacher au début de ses interrogatoires avait promis d'indiquer celui dont il avait fait usage. Or, quand il donne des renseignements significatifs sur chaque crime, il ne parle qu'une seule fois du rasoir, à propos de l'assassin de Claudius Beaupied, et, pour les autres crimes, il dit le plus souvent : « Je me suis servi d'un couteau, je ne sais plus lequel. » Nous pensons avoir montré que Vacher a dû se servir sûrement du rasoir dans les affaires de Courzieu, de Busset, de Saint-Honorat et probablement dans celles d'Etaules, de Saint-Ours, de Bénonces et de Truinas. C'est dire que Vacher, contrairement à ce qu'il raconte, a fait usage du rasoir au moins huit fois dans onze égorgements.

Le viol ou les attentats.

A propos de chaque victime, dans le récit qu'il fait de ses crimes, Vacher indique s'il a ou non commis un attentat quelconque. Il a avoué avoir pratiqué deux fois des viols (affaires de Beaurepaire et de SaintOurs et deux fois des manœuvres pédérastiques ou coït anal (affaires de Saint-Étienne-de-Boulogne et de Courzieu). Nous avons déjà dit que ce dernier genre d'attentat est probable ou certain pour les victimes de Bénonces et de Tassin-la-Demi-I.une et nous avons indiqué les raisons qui ont motivé notre opinion. Il nous a môme été possible d'après les constatations si nettement relevées par M. le D' Boyer, d'affirmer que sur le jeune Pierre Laurent encore vivant, le coït anal avait été pratiqué et que c'était à une intromission brusque qu'il fallait probablement attribuer les trois déchirures caractéristiques de l'anus. Nous savons aussi, puisqu'il a souillé de cette façon tous les jeunes garçons qui ont été ses victimes, que Vacher a eu de tous temps des habitudes pédérastiques. Il nie un attentat de ce genre dans son pays, mais il a avoué à Loyonnet qu'il avait été expulsé de Saint-Genis, parce qu'il avait masturbé des camarades. Le même témoin ajoute : « Il est taciturne, paraissant ne pas aimer les femmes. Au quartier, je me suis souvent aperçu qu'il se masturbait dans sa chambre. »

Quoi qu'il en soit, il reste bien certain que Vacher est un génital. Le juge d'instruction lui demande un jour s'il est bien passionné pour les femmes. L'inculpé répond : « Je crois être à peu près comme tout le monde. Il me semble cependant qu'après l'opération que j'ai subie aux Antiquailles, j'ai été plus porté pour les femmes. » Cette réponse est un peu vague. Celle qu'il fait au témoin Dupré (lors de son arrestation à Champis, est autrement caractéristique : « J'aurais préféré que la femme de ce matin fut plus jeune et qu'elle eût treize à quatorze ans de préférence. Toi, tu as ta femme, tu le fais quand tu veux, tandis que moi, je ne le fais que par hasard. Lorsque je vais dans les maisons publiques, elles me repoussent, du reste ce sont de sales femmes, j'aime mieux les bergères. »

Sur les cadavres de filles ou de femmes, les experts n'ont pas songé à examiner l'état de l'anus. Chez quelques-unes, Louise Marcel, Adèle Mortureux, l'hymen est trouvé intacte et cependant ces victimes ont été éventrées et horriblement mutilées. C'est peut-être même à cause de toutes ces blessures qu'il n'y a eu ni coït anal, ni coït vaginal. La mise en scène, la strangulation, regorgement, la vue du sang, l'entaille des chairs, tout cela était vraisemblablement suffisant chez ce sadique pour provoquer l'érection et l'éjaculation sans qu'il y eût intromission. Nous nous sommes demandé quelle pouvait être l'origine de cette perversion sexuelle. D'où Vacher tire-t-il ses idées de sadisme? A-t-il entendu parler de crimes analogues ? Est-ce de l'imitation ? A-t-il eu, comme cela se voit souvent à l'époque de la puberté une impression vive ou une secousse morale qui seront restées chez lui comme une obsession consciente d'abord, puis inconsciente ? Peut-être! Vacher nous a raconté que, pendant son séjour chez les frères Maristes, il fut vraiment impressionné par le sermon d'un missionnaire exposant toutes les horreurs qui se passaient chez les sauvages, les mutilations et les supplices auxquels on soumettait les néophytes. Vacher a ajouté que très longtemps ce sermon s'était présenté à son souvenir, sa mémoire fidèle lui retraçant toutes les péripéties de ces scènes sanguinaires. Sans ajouter plus d'importance qu'il ne convient à ce récit, il peut se faire cependant que le mélodramatique prédicateur ait eu quelque influence sur ce jeune cerveau. A sa sortie du couvent, Vacher a adopté les idées les plus subversives. A Lyon, un de ses patrons le renvoie parce qu'il est effrayé par les théories émises par Vacher. Il est dès lors un révolté contre la société et d'autant plus excité qu'il est obligé de se contraindre pendant sa vie régimentaire. Lors de son arrestation à Champis et du transfert de Tournon à Belley, il tient des propos anarchistes, fait appel à des compagnons se pose en ennemi d'une société défectueusement organisée. Dans ses voyages, d'ailleurs, il tient souvent des propos menaçants; il exige l'aumône ou des secours plutôt qu'il ne les demande. En prison, il affecte un Ion de commandement, il tutoie les gardiens, il est exigeant, impérieux. En résumé, les idées que Vacher avait sur le milieu social, ses façons de vivre et de vagabonder lui donnaient une indépendance complète sur le choix des moyens pour subvenir à ses besoins ou satisfaire son extraordinaire passion génésique.

Après le crime.

Nous avons montré que Vacher choisissait le moment et le lieu du crime, préférait les jeunes bergers ou bergères, les tuait suivant une méthode infaillible et dans des conditions qui font de l'événement une suite d'actes réfléchis. Il nous reste à faire voir qu'après le crime, il se conduit avec habileté et prudence pour échapper aux premières recherches dès la découverte de l'attentat. Tout semble le désigner aux soupçons : sa mine patibulaire, son aspect évident dérouleur et, quelles que soient les précautions prises, le sang qui se trouve parfois sur les vêtements et toujours aux mains. Cet assassin migrateur emporte dans son bagage des effets de rechange, des coiffures diverses. La lecture du dossier le montre portant la barbe ou n'ayant que la moustache, vêtu ou coiffé de différentes façons suivant les circonstances. De plus, Vacher est admirablement disposé par son squelette et son système musculaire à faire des courses à pied rapides et prolongées. Il peut parcourir dit-il, sans s'arrêter des distances de soixante à quatre -vingts kilomètres. C'est sans cloute un peu exagéré. Quoi qu'il en soit, il est établi qu'il a pu marcher toute la nuit. Il mettait donc une grande distance entre le lieu du crime et l'endroit où il pouvait se trouver huit ou dix heures plus tard. Quand Vacher avait commis un assassinat, il changeait brusquement d'itinéraire ou revenait en arrière, dépistant ainsi les agents mis à ses trousses. Remarquons encore que si Vacher tue sa victime sur une route, en un point où le corps peut être facilement découvert, il le traîne derrière une haie (ainsi à Beaurepaire, à Étaules, à Busset, à Gourzieu) toujours à une certaine distance du chemin. Il recouvre même de terre la mare de sang, comme à Truinas. Le cadavre d'Aline Alaise placé dans un taillis est recouvert de feuilles ; le corps de la victime est mis à Busset dans des broussailles ; à Bénonces, dans des genévriers ; à Saint-Honorat, dans un fourré de pins, de genêts et de bouleaux. Des branches d'acacias ou d'arbustes dissimulent parfois le cadavre. Rappelons qu*à Saint-Ours, Vacher ferme la porte de la maison à double tour et enlève la clef et qu'à Tassin, il jette le corps dans un puits. Sont-ce là les façons de faire d'un impulsif, d'un fou qui, une fois l'acte accompli ne se préoccupe pas de le dissimuler? Vacher cherche au contraire à effacer momentanément les traces du crime, afin d'avoir le temps de fuir. Ces précautions précises et méticuleuses sont la caractéristique d'une grande présence d'esprit, l'évolution implacable d'actes prémédités, combinés, réfléchis. Le juge d'instruction interroge plusieurs fois Vacher sur ce sujet : « Vous me demandez quelle sensation j'éprouvais après un meurtre commis ; je vous réponds que je ressentais comme un soulagement et que j'étais plus tranquille. Après chaque crime, je lavais mes vêtements tout tachés de sang aux ruisseaux ou fontaines que je rencontrais, mais je ne suivais pas les routes et me tenais prudemment à travers les champs et les blés.» Cet adverbe prudemment est tout un programme. « Je comprends qu'un homme dont l'esprit serait lucide et qui aurait conscience de ses actes, ait des émotions violentes après un crime. Mais moi je n'ai jamais eu d'émotion violente lorsque je tuais. J'éprouvais ensuite un gros soulagement à tel point que, si d'une part, ma physionomie avant le crime au moment où la maladie me prenait, pouvait inspirer des inquiétudes aux personnes qui me rencontraient, après le crime, le contraire se produisait. Voilà pourquoi j'ai échappé à tant de recherches. » Sans doute dans les phrases de l'interrogatoire précédent, il faut faire la part du rédacteur, mais on ne peut aussi deviner la pensée directrice de Vacher Celle-ci est évidemment, depuis sa lettre d'aveu, de se montrer aliéné et irresponsable, d'après la formule qu'il cite à tous propos et où il énumère « tous les événements » : Morsure du chien, remède absorbé, aveux faits à son frère, accès de divagation dans les champs, accès au régiment , les balles dans la tête, le passage dans les asiles d'aliénés où on l'a déclaré irresponsable. L'arrestation à Champis, son attitude pendant le 'transfert de Tournon à Belley, ses premières réponses au juge d'instruction M. Fourquet, montrent qu'il ne s'est livré et n'a avoué que lorsqu'il a été convaincu par les confrontations et l'évidence des faits.

L'arrestation à Champis

Nous voici au dernier acte de la vie errante, au fait qui a amené l'arrestation de Vacher. I.a femme Plantier dit qu'elle était occupée dans le bois, à ramasser des pommes de pins lorsqu'elle fut saisie par derrière par un individu qu'elle n'avait pas vu. Vacher la renverse à terre et lui serrant le cou pendant une minute, l'empêchait de crier. Elle se débattit si bien que Vacher la quitta un moment pour aller vers une petite caisse qui se trouvait à environ deux mètres. La femme Plantier profite de ce moment pour se sauver, en criant au secours. Son mari arrive et lance des pierres à Vacher; celui-ci lui dit: Ce n'est pas moi qui ai attaqué votre femme, c'est mon collègue », et il se met à donner un grand coup de sifflet pour faire croire qu'il n'était pas seul. Plantier confirme la déposition de sa femme, il ajoute qu'il s'est longtemps battu avec lui et qu'il est parvenu à le terrasser. Vacher a voulu lui porter un coup avec des ciseaux, puis, a cherché à s'échapper. Rappelons la déposition de Dupré dont nous avons déjà parlé plus haut et la réponse de Vacher à une question du magistrat instructeur, lui demandant s'il n'avait jamais laissé échapper aucune des personnes sur lesquelles il s'était précipité : « Celle de Champis n'a été épargnée que parce que mes idées malades m'ont abandonné à ce moment.

ÉTAT PHYSIQUE - ATTITUDE DANS LA PRISON



Les crimes de Joseph Vacher

Joseph Vacher et le Professeur Lacassagne


Vacher est de taille moyenne, mais bien bâti et vigoureusement musclé. Le pied cambré, sec, nerveux, les orteils longs et séparés, la voûte plantaire élevée indiquent une très grande aptitude pour la marche, aptitude qui a été largement et souvent utilisée comme le démontre l'énorme musculature des mollets et un commencement de varices précoces. Les organes génitaux n'offrent à considérer qu'une atrophie incomplète du testicule gauche, conséquence de l'opération subie à l'Antiquaille. On ne constate aucun stigmate de dégénérescence. L'attitude de Vacher pendant la durée de notre observation a été uniforme, presque banale. Il se montre habituellement calme, dormant bien, mangeant régulièrement. Il ne commet pas d'actes extravagants. Parfois, pendant ses promenades au préau, il se met à chanter à tue-tête, mais il se tait dès qu'on le menace de le faire rentrer. Il lit peu et passe son temps à réfléchir ou à écrire. Il apporte le plus grand soin à ses écrits, n'hésite pas à recommencer la même page plusieurs fois de suite et conserve toujours une copie. Autoritaire, très exigeant pour le personnel, il proteste avec aigreur contre tout ce qu'il considère comme un manque d'égards et tout ce qui tend à l'assimiler aux détenus ordinaires. « Que je sois en prison, dit-il textuellement, c'est bon pour l'instruction; elle est finie aujourd'hui. Pour l'observation médicale, je dois être dans un hôpital. » On ne vit jamais aliéné réclamer l'asile avec tant d'insistance. Très vaniteux, son désir évident est de jouer au personnage et d'attirer l'attention. Cette préoccupation semble avoir été la cause des deux seuls incidents qui sont venus troubler la monotonie de son attitude. Un jour, se voyant un peu négligé, Vacher déclare brusquement qu'il veut se laisser mourir de faim et refuse absolument de manger. Dès le lendemain, il sollicitait en cachette et recevait des aliments de ses codétenus et même du personnel de là prison. Ce jeûne apparent dura sept jours, sans grand dommage pour Vacher, qui en tirait toutefois un argument pour démontrer l'intervention de la Providence en sa faveur. « Voyez, disait-il, si Dieu me protège, je n'ai rien mangé depuis six jours, et qu'un autre en fasse autant que moi. » Ce que disant, il se livrait à des tours d'hercule forain. Conscient du peu de succès de sa ruse, il rompit son jeûne et déclara qu'il avait agi de la sorte pour forcer les autorités à s'occuper de lui. Que' contraste entre cette tentative puérile, piteusement avortée, et l'obstination farouche des aliénés résolus à se laisser mourir de faim. . Vers la fin de notre observation, au moment où nos visites s'espaçaient, ce qui l'irritait visiblement. Vacher demanda un jour à assister à la messe du dimanche. Comme on ne lui donnait pas satisfaction, il fut pris d'une terrible colère et, d'un coup de pied rendu formidable par les lourdes bottes qu'il portait alors, il fit sauter le panneau pourtant solide de la porte de sa cellule. Il se glissa par l'ouverture, cherchant à s'enfuir. On l'arrêta d'ailleurs bien vite, non sans qu'il eût opposé la plus vigoureuse résistance.

État mental. — La première impression qu'on éprouve en considérant Vacher, coiffé d'un bonnet taillé dans la peau d'un lapin blanc, parce que dit-il, le blanc est la couleur de l'innocence, c'est qu'on est en face d'un simulateur. Cette impression est immédiate et les personnes les moins expérimentées la ressentent aussi vivement que les spécialistes les plus méfiants. Elle se complète d'ailleurs et s'affirme par un examen attentif. Toutefois, il est dès l'abord nécessaire de se mettre en garde contre une cause d'embarras, sinon d'erreur. Vacher est atteint d'une paralysie faciale droite qui donne à cette moitié de son visage une expression morne et singulièrement gênante. De ce coté, l'œil mi-ouvert, pleurard et fixe, un regard paresseux au-dessus de la joue qui flotte et de la lèvre qui s'affaisse, constituent un demi-masque effrayant par sa nullité mimique. Pour parler à l'accusé tout en l'étudiant, il est indispensable de se placer à sa gauche et de telle sorte qu'on le voie de profil seulement. Dans ces conditions, il est aisé de suivre et d'interpréter des jeux de physionomie qui présentent tous les caractères de l'état normal. De ce côté, le dessin dés lèvres est précis; la commissure, ordinairement abaissée en un rictus amer, se relève quelquefois pour esquisser un sourire railleur; l'œil vif, très mobile, décoche un regard aigu, scrutateur, mais se voilant à propos lorsque l'interrogatoire devient embarrassant. A gauche, l'étude de la physionomie dénonce un homme attentif, intelligent, rusé, maître de sa mimique quand il s'agit de l'immobiliser, mais le plus souvent incapable de lui faire artificiellement revêtir un caractère, approprié aux singulières idées qu'il émet et aux sentiments d'emprunt qu'il étale. Ainsi, quand il invoque la divine Providence qui aurait fait de lui l'instrument inconscient de ses décisions vengeresses. Vacher n'a pas, tant s'en faut, l'allure superbe et le sourire orgueilleux du mégalomane extatique et inspiré. I.e sourire est contraint, le regard trouble, presque anxieux. Vacher n'est pas absolument convaincu, cela est visible, de la réalité de sa mission. En douterait-il s'il était fou ? D'ailleurs,cette mission qu'il sent douteuse, il la discute, cette intervention divine, il tonte delà rendre vraisemblable par des arguments humains. Comment, s'il n'avait été protégé par le ciel, aurait-il pu commettre une si longue série de crimes sans être pris. Alors, il conte des aventures qui sentent le feuilleton; sa rencontre nocturne dans une maison abandonnée avec une bande de brigands authentiques qui l'auraient certainement poignardé s'il n'avait été l'élu de la divine Providence, comme il le dit en son langage dévot, mais sans convictions, sur un ton faux, avec une physionomie discordante. D'ailleurs, par intervalles, comédien novice, Vacher oublie son rôle, et de l'air le plus naturel, émet des propositions judicieuses, de fines répliques, des mots trouvés, ou bien, avec un sourire narquois, il rétorque les argurments insidieux ou esquive les questions pressantes. Souvent, lorsqu'il se voit entraîné en dehors du terrain sur lequel d'une façon très ferme et tout à fait délibérée, il a décidé de se maintenir, Vacher se réfugie dans un mutisme prudent ou émet coup sur coup quelques affirmations volontairement déraisonnable derrière lesquelles il s'abrite. Serré de près, il se laisse aller à des emportements pendant lesquels le côté féroce de son caractère éclate sur son visage irrégulièrement convulsé. Des renseignements sur ses crimes, il les annonce, les promet, mais à l'échéance, il se dérobe dans la crainte qu'il avoue d'être mis en contradiction avec lui-même. Il en réfère à sa lettre d'aveu, document fondamental dont il ne veut pas s'écarter. Son thème ordinaire est celui-ci : En raison de la morsure (?) du chien enragé, des remèdes qui suivirent, et de son traitement a l'Antiquaille, Vacher a le sang vicié et, par moment, il devient comme enragé. Cette théorie s'accommode assez mal, il faut le dire avec son rôle d'instrument providentiel, mais il n'en démord point et ne se rend évidemment pas compte de l'incompatibilité de ces deux affirmations. Ces pseudo conceptions mégalomaniaques si curieusement unies à des affirmations de caractère hypocondriaque, n'ont été constatées par aucun aliéniste avant nous, et n'ont par conséquent, aucun rapport avec le délire de persécution diagnostiqué à Dôle où Vacher a fait des tentations de suicide plus sérieuses que celle dont il a donné le spectacle dans la prison de Lyon. En dehors de sa mission, et comme la plupart des criminels, Vacher tire vanité de sa force, de son intelligence. Il veut qu'on s'occupe de lui, et dès qu'il voit l'attention se refroidir, il fait un éclat pour ne pas se laisser oublier. Son écriture assez belle est pleine de fioritures et d'emblèmes orgueilleux ou menaçants. Dans sa lettre du 17 février, il dessine un couteau entre deux croix, le tout précédé d'un cœur ; de la sorte, il voue à la mort le Dr Pierret, mais au verso de la page, il ajoute : « à effacer si je ne suis pas trahi par lui. » A Belley, il dessinait des cœurs sur ses chaussures ou s'ornait de décorations fantaisistes. Nous ne considérons pas ces actes comme maladifs, mais bien comme des procédés empruntés par Vacher à quelque vieux délirant d'asile. Avec l'achat du chien tué d'une manière théâtrale, en même temps qu'une pauvre pie, ils ne font leur apparition qu'au moment où Vacher inquiet commence, pensons-nous, à éprouver le besoin de laisser par place quelques preuves de dérangement mental. Malheureusement, il choisit mal et cherche à entrer dans la peau de quelque délirant chronique arrivant à la démence, dernière étape d'une longue et irrémédiable folie.

Dans le même ordre d'idées, les spécialistes sont immédiatement mis en garde par un très gros fait clinique. Cet ex-persécuté, devenu trop tôt mégalomane, déjà dément, et qui se prétend protégé, dirigé même par la divine Providence, qui l'aurait sans doute intoxiqué de diverses façons pour en faire un instrument irresponsable, Vacher n'a pas d'hallucinations. Porteur d'une balle dans le rocher, ayant le nerf facial et le nerf auditif non seulement coupés, mais irrités par une suppuration prolongée, Vacher, réformé pour troubles psychiques, ne se plaint que de maux de tête, de bouillonnements et de vertiges qui le rendent comme saoul. En cela, il dit vrai ; mais comme son état actuel de folie supposée deviendrait plus vraisemblable, si, de par cette irritation pathologique, du plus intellectuel de tous les nerfs, il avait pu greffer sur d'anciennes poussées de délire de persécution, quelques conceptions maladives motivées et entretenues par des hallucinations de l'ouïe. Mais on ne peut tout savoir. Au reste, quand on demande à Vacher s'il est fou, il ne répond pas carrément, non comme il le devrait faire s'il était réellement aliéné. Il biaise et discute. Il est fou sans l'être absolument, mais il entend bien l'être assez et le faire voir pour qu'on soit amené à l'envoyer dans un hôpital ou à défaut dans un asile. Là est son but. Il pensait même être interné presque d'emblée, sans discussion, et grande a été sa déception quand il s'est vu maintenir en prison. Aussi, perdant patience, il se laisse un jour aller et dit au Dr Pierret : « Mais pourquoi ne suis-je pas encore envoyé dans un asile? — Eh bien, je vais vous le dire : on craint que vous ne tentiez de vous évader. — M'évader, pourquoi? Maintenant, je suis tellement connu avec mon infirmité, que si je m'évadais, je serais repris immédiatement. Non, non, je ne m'évaderai pas. Ces propos ne sont pas d'un fou, ou tout au moins, ce fou serait bien peu conséquent avec le délire qu'il manifeste. Comment Vacher peut-il concevoir quelque inquiétude, redouter en quoi que ce soit les conséquences de ses crimes? La Providence qui l'a conduit saura bien le protéger ou, s'il est réservé pour le martyre, il doit se soumettre et se glorifier. D'ailleurs, voyant sans doute le peu de succès de toute cette mise en scène, Vacher a peu à peu négligé cette partie de son système de défense et renonçant ostensiblement à se faire passer pour fou, à l'heure présente, il nous écrivit l'intéressante lettre dont nous reproduisons quelques passages caractéristiques.

MESSIEURS LUS DOCTEURS,

« Avis essentiel. — Souvenez-vous surtout, Messieurs les Docteurs, dans votre lourde tâche et sainte mission, en présence de mon importante affaire, que votre devoir consiste plus à connaître l'état dans lequel j'étais lors de ma vie errante, que celui actuel... En effet, si on me veut responsable, comment expliquera-t-on et justifiera-t-on surtout cette responsabilité après qu'on a jugé bon de m'enfermer dans deux maisons d'aliénés et pour comble de malheur qu'on m'a laissé sortir dans d'aussi dangereuses conditions. » Vacher est tout entier dans ces deux formules : Je suis irresponsable parce que j'ai été fou. La responsabilité ne pourrait être démontrée que par la connaissance de mon état mental réel pendant ma vie errante. Or, personne ne m'a jamais vu. Cette quasi certitude où il était de se faire passer pour aliéné très aisément a, nous le croyons du moins, puissamment contribué à affermir Vacher dans la sinistre indifférence avec laquelle il n'a pas craint d'accumuler crime sur crime. Nous ne craignons môme pas d'affirmer après la plus mûre réflexion que dès son premier séjour dans un établissement d'aliénés, alors qu'après l'affaire de Beaume-les-Dames il réclamait des juges, Vacher s'était dit que les fous peuvent tout faire presque impunément. Un internement pour folie est en effet, pour certains criminels, un brevet d'impunité. C'est une sorte d'alibi psychopathique dont ils apprécient bien vite l'importance et que beaucoup voudraient avoir à leur actif. Vacher a tablé là-dessus. Qu'on réfléchisse avec sang froid à ce qui serait arrivé si l'accusé avait été arrêté dès son premier crime. Ayant déjà bénéficié d'une ordonnance de non-lieu pour délire de persécution, réformé pour troubles psychiques, il eût certainement obtenu des circonstances très atténuantes, ou, déclaré fou de nouveau, eût été purement et simplement replacé dans un asile spécial. La série si cruellement monotone de ses attentats, la répétition des mêmes violences et leur terminaison habituelle à un accès de sadisme sanguinaire prendraient mieux un certain caractère pathologique, si cette conclusion n'était infirmée par le certificat de guérison fourni par un aliéniste expérimenté, par les précautions dont s'entourait l'accusé pour préparer et dissimuler des crimes qu'il avait le pouvoir d'ajourner, par la réelle puissance avec laquelle il sait commander à sa pensée, soit pour simuler un délire, soit pour mesurer ou arrêter ses aveux, enfin et surtout par l'insistance qu'il met à se déclarer irresponsable, non plus au moment présent, mais pendant sa vie errante. Dans ce but, il va jusqu'à dire qu'à sa sortie de Saint-Robert, il était encore malade. Cette affirmation est trop habile, trop logique pour être le fait d'un aliéné. Vacher veut trop prouver et le seul résultat de toute celte diplomatie, c'est de mettre en pleine lumière son véritable état d'âme au moment où il se livrait sans frein à sa passion.

CONCLUSIONS

Vacher n'est pas un épileptique, ce n'est pas un impulsif. C'est un immoral violent, qui a été temporairement atteint de délire mélancolique avec idées de persécution et de suicide. L'otite traumatique dont il est porteur, semble n'avoir eu jusqu'à présent aucune influence sur l'état mental de l'inculpé. Vacher, guéri, était responsable quand il est sorti de l'asile de Saint-Robert. Ses crimes sont d'un antisocial, sadique, sanguinaire, qui se croyait assuré de l'impunité, grâce au non-lieu dont il avait bénéficié et à sa situation de fou libéré. Actuellement, Vacher n'est pas un aliéné : il simule la folie. Vacher est donc un criminel, il doit être considéré comme responsable, cette responsabilité étant à peine atténuée par les troubles psychiques antérieurs.

PIÈGES ANNEXES AU RAPPORT DES EXPERTS

MM. les médecins experts Lacassagne, Pierret et Rebatel, m'ayant demandé de procéder à un examen spécial de l'oreille de Vacher, je me suis à cet effet rendu à la prison Saint-Paul, le 6 janvier 1898. Sur la réquisition de M. le juge d'instruction Fourquet, je me suis également transporté à Belley le 10 juillet 1898 pour renouveler cet examen. Les différents points qu'il m'était demandé de préciser étaient les suivants :

A. — Existe-t-il une balle de revolver dans l'oreille droite de Vacher?

B. — Dans l'affirmative :

1° Quels sont les désordres locaux causés parle projectile? D'une manière plus spéciale, y a-t-il eu suppuration et suppuration à odeur repoussante ?

2° Quels phénomènes à distance ont pu être provoqués par la lésion de l'oreille (pertes de connaissance, impulsions, vertiges épileptiques, etc.) ?

Les oreilles externes (pavillons) de Vacher sont normales, à lobule bien détaché, avec un faible déroulement de la partie inférieure de l'hélix. L'oreille droite ne présente aucune cicatrice indiquant la porte d'entrée d'une balle, mais il y a sur le lobule, et surtout sur l'antitragus, un tatouage bleuâtre, comme ou en voit après les coups de feu tirés très près de la peau. Léger suintement apparent à l'orifice du conduit auditif externe ; au lavage avec la seringue, débris épidermiques lamellaires et petits flocons de micro-pus. Il n'y avait pas d'odeur à l'orifice de l'oreille avant le lavage et l'eau de lavage n'est pas spécialement odorante. A l'examen avec le miroir, on constate que le conduit est large et présente à un demi-centimètre environ une petite excoriation granuleuse. Tout le fond du conduit est occupé par une masse d'un gris noir qui ne permet de distinguer aucun détail normal. En touchant cette musse noire et rugueuse avec un stylet, on a la sensation très nette et le bruit d'un corps métallique. Sans qu'on puisse se prononcer nettement sur son siège précis, il parait être encastré dans la partie antérieure de la paroi interne de la caisse du tympan, car le stylet peut le contourner un peu en haut et en arrière. A l'examen fonctionnel, Vacher dit ne pas entendre la parole par l'oreille droite. Il n'entend la montre, au contact le plus intime, ni sur l'oreille, ni sur la tempe, ni sur l'apophyse mastoïde. L'existence de cette surdité complète à droite est corroborée par l'examen avec le diapason . En effet le son n'est pas perçu à l'entrée du conduit; si le diapason est placé sur la ligne médiane (front et dents), le son est latéralisé à gauche et il en est encore de même si le diapason est placé sur l'apophyse mastoïde droite. L'expérience de Rinc est positive à gauche et naturellement négative à droite. Un résultat identique est obtenu avec un diapason plus élevé . Ces résultats n'ont pas été modifiés par le cathétérisme qui a montré que les deux trompes étaient également perméables.

Vacher n'accuse aucune douleur du côté de l'oreille droite, ni actuellement, ni dans le passé (sauf au moment du traumatisme). Il dit également n'avoir aucun bruit subjectif (bourdonnement, sifflement, etc.) dans l'oreille droite. Si on insiste beaucoup, il dit avoir parfois une sorte de bouillonnement dans toute la tète, lorsqu'il est fatigué d'avoir beaucoup marché. Jamais il n'a eu de vertige auriculaire; il est toujours très solide sur ses jambes et peut faire aisément, l'un après l'autre, plusieurs tours sur lui-même en pivotant sur le talon gauche. Après plusieurs expériences, il se dit légèrement entraîné à droite, à la fin du tour, lorsqu'il repose le pied droit sur le sol. On sait que Vacher est atteint de paralysie faciale du côté de l'oreille lésée. Cette paralysie, très apparente, est complète comme les paralysies périphériques : absence de rides sur la moitié droite du front dont le côté gauche présente trois plis transversaux, abaissement net de la commissure labiale droite, pas de pli naso-génien comme à gauche, inclusion de la paupière dans le clignement normal, léger larmoiement. Quand il parle, la difformité s'accentue du fait des mouvements du côté sain et du soulèvement passif de la joue droite. Dans l'effort pour fermer les yeux, il y a un très léger rapprochement des paupières,en môme temps qu'il se produit une déviation de l'œil en haut et en dehors. Il peut aussi souffler et même éteindre une allumette. Pas de déviation delà langue, mais déviation nette de la luette à gauche, bien que les deux côtés du voile semblent se contracter également. Légère diminution de la sensibilité au tact, à la douleur et à la température, dans la moitié de la face hémiplégie. L'examen complémentaire de l'oreille gauche montre un tympan un peu gris, enfoncé, avec la courte apophyse saillante et une dépression évidente au niveau de l'ombilic ; le triangle existe, mais flou. La trompe est perméable, l'audition moyenne. L'examen du nez a été également pratiqué. Il n'existe aucune odeur rappelant celle de l'ozone. Le nez, dans son ensemble, est légèrement dévié à droite, le lobule étant cependant resté sur la ligne médiane. A gauche, il existe une déviation de la partie antérieure de la cloison sous forme d'éperon : les cornets sont normaux, sans croûtes. Adroite, concavité de la» cloison correspondant à la déviation gauche. Les deux cornets, surtout le moyen, sont volumineux, sans croûtes. Cet examen nous permet les considérations et conclusions suivantes :

1° Il existe dans l'oreille droite de Vacher un corps étranger métallique qu'en raison des circonstances du fait, on peut affirmer être une balle de revolver. Celle-ci a pénétré directement par le conduit auditif.

2° C'est très certainement à la présence de ce projectile, qu'il faut attribuer:

a) La surdité complète du côté droit qui est due selon toute vraisemblance à une destruction du nerf acoustique dans lu labyrinthe.

b) La paralysie faciale par lésion delà septième paire nerveuse dans son trajet à travers le rocher (canal de Fallope).

c) La suppuration qui existe encore actuellement.

En ce qui concerne plus spécialement l'odeur de celte suppuration, il est possible qu'elle ait existé, car les écoulements d'oreille négligés, de quelque nature qu'ils soient, s'accompagnent parfois d'une odeur plus ou moins fétide et durable, exceptionnellement repoussante. Tout ce qu'on peut affirmer c'est que cette odeur repoussante n'était aucunement perceptible au moment de l'examen, ce qui démontre au moins qu'elle aurait facilement cédé à quelques soins élémentaires de propreté. Même lorsque Vacher était resté plus de deux mois sans faire de lavage de l'oreille à la prison de Belley, les débris épidermiques plus abondants n'avaient que l'odeur fade habituelle mais pas de fétidité spéciale. Il faut noter en passant que cette odeur repoussante dont parle Vacher ne pouvait avoir son origine dans le nez qui ne présente aucune trace ni de rhinite atrophique, ni d'ozène.

La dernière question ne comporte pas, de l'examen actuel du fait, une réponse catégorique. Une affection de l'oreille, surtout si elle est suppurative, peut déterminer des accès passagers de manie, de vertige avec impulsion : on a signalé l'épilepsie d'origine auriculaire. Les faits de ce genre sont extrêmement rares, mais il est évident que de tels troubles, lorsqu'ils existent, atténuent ou même font disparaître la responsabilité. La présence d'une balle dans l'oreille de Vacher et la suppuration consécutive ont-elles déterminé chez lui des accidents comme ceux que nous venons d'indiquer? Sans en nier la possibilité, on peut répondre que cela est très peu probable. C'est qu'en effet si on examine attentivement les cas publiés, on voit que les manifestations réflexes d'ordre cérébral ou psychique se sont presque toujours accompagnées de l'exagération des phénomènes locaux (exacerbation ou réapparition de la douleur, chaleur et pesanteur dans l'oreille, augmentation ou disparition de la suppuration, etc.) ; or, rien de pareil, d'après son interrogatoire, ne parait s'être produit chez Vacher.

VACHER DEVANT LA COUR D'ASSISES DE L'AIN



Les crimes de Joseph Vacher

Joseph Vacher (Collection Dr Locard)


Vacher a comparu devant la cour d'assises de l'Ain le 26 octobre 1898. Les débats ont duré trois longs jours. Plus de 50 témoins ont été entendus, dont trente-huit à charge. Dix médecins étaient cités et sont venus donner leur avis les uns sur les crimes, les autres sur l'étal mental de l'accusé. C'est en effet la question de responsabilité qui va dominer tous ces débats, c'est le seul point plus ou moins discutable que puisse plaider la défense représentée par M* Charbonnier du barreau de Grenoble. Les crimes, les atrocités commises sur ses victimes, Vacher les a avoués, et il les raconte encore pendant son interrogatoire avec le plus beau sang-froid, le plus épouvantable cynisme qu'il soit donné d'observer. Si bien qu'on se demande tout d'abord s'il est bien un être humain ou un monstre qui n'obéit qu'à des impulsions morbides, à des obsessions sexuelles, à la folie. Cette idée préconçue s'efface vite de l'esprit lorsqu'on observe le personnage. L'impression qu'il a laissée après son interrogatoire conduit avec la plus grande habileté par M. le Président de Coston, c'est qu'on a devant les yeux un paysan madré, discutant point par point, comme tout bon dauphinois, les charges qui pèsent sur lui et armé d'un système de défense très habile, mûri pendant de longs mois dans le silence de la prison. Vacher arrive à l'audience comme un défenseur à cela près qu'il est entouré de quatre gendarmes vigoureux. Il a sur la lête sa toque blanche, il s'est paré pour la circonstance d'un plastron en poils de lapin confectionné par lui, sous le bras une collection de papiers qui constitueront les pièces de sa défense, à la main droite un crayon pour prendre des notes et répondre ensuite à ses accusateurs. Dès qu'il voit le public, le comédien vaniteux dont il est doublé se réveille, il se met à crier suivant son habitude, quand il cherche à produire son petit effet. « Voila le grand martyr, voilà l'envoyé de Dieu — qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son. » Ce ne sont pas là, propos incohérents émanant d'un cerveau en délire, nous verrons que tous ces effets sont préparés et que chacun d'eux a sa place marquée d'avance pour les besoins de la cause. C'est en effet « le grand moment » comme il dit, où doit éclater son innocence synonyme pour lui d'irresponsabilité et dans la crainte de ne pas être entendu, il a écrit en grosses lettres, dans sa cellule, d'immenses pancartes contenant les propos que nous venons de rapporter ou d'autres identiques. Arrivé au banc des accusés, il les déploie et les promène lentement devant les spectateurs.

Ce n'est pas tout, il a trouvé une troisième forme du langage pour impressionner les jurés et mimer sa défense. Lorsqu'il veut expliquer le pourquoi de ses actes, pendant la déposition d'un témoin, il fait des gestes qui sont joliment bien étudiés. Il commence par se mordre le pouce pour faire comprendre qu'il a été mordu par un chien enragé, puis il se passe la main sur la partie droite du visage pour montrer sa paralysie faciale, il désigne du doigt son conduit auditif externe, pour indiquer la présence d'une balle de revolver et enfin il se frappe violemment la tête pour dévoiler le « siège de son mal ». Tout son système se résume en cela. Je suis irresponsable pour trois raisons qui sont celles que je viens d'énumérer. Son attitude devant les assises est donc bien étudiée, bien recherchée. Il ne se présente pas avec les allures physiques de cette brute, telle qu'on la conçoit devant ses monstruosités, ni avec la mine du coupable repentant, honteux d'avoir été pris et de se voir exposé aux regards moqueurs de la foule. Il n'est impressionné par rien : ni par les robes des magistrats, ni par les gendarmes qui l'entourent et avec lesquels il cause aimablement, ni par la présence des jurés dont va dépendre son sort. L'arrivée de sa famille dans cette salle d'assises ne le touche pas d'avantage, il regarde défiler ses frères et sœurs sans éprouver pitié ou reconnaissance. Avec les journalistes, son cynisme est encore plus révoltant. Il a préparé divers factums pour la presse, et il en a écrit un spécialement pour le Petit Journal parce que c'est dit-il le plus répandu dans les campagnes. A la seconde audience, il va jusqu'à échanger ses écrits contre la pièce de cent sous glissée dans sa main par le reporter, à l'insu du gendarme qui le surveille. Tous ses actes, tous ses gestes sont donc étudiés pour arriver à produire l'effet volontairement cherché par lui. Si j'ajoute à cela l'absence complète de manifestations sentimentales spontanées, j'aurai donné, je crois la caractéristique de ce tempérament dominé par les centres moteurs; actif, intelligent, prévoyant comme tous les moteurs mais violent et emporté parce que l'activité de ces centres n'est pas enrayée et gouvernée par la moindre esquisse de celte sensibilité que l'on dénomme vulgairement le cœur.

C'est là, il me semble, la caractéristique de Vacher comme la caractéristique de tous les criminels. L'éducation, la vie irrégulière sont les facteurs évidents de cette anomalie. Chez Vacher elle a été exagérée encore par l'obligation dans laquelle il s'est trouvé à un moment donné de mener cette vie errante, où il n'avait comme compagnon que les arbres des forêts, comme but que celui de se satisfaire, comme règle que celle que lui dictaient ses impérieux besoins. N'est-il pas aussi logique d'admettre que ces besoins eux-mêmes n'ont été que la conséquence poussée au suprême degré par les tendances égoïstes de ce tempérament uniquement moteur et violent que je viens de décrire. Celui qui sent et chez qui l'éducation des centres sensitifs par les amitiés longues et durables, par les devoirs et les charmes de la famille a amené cette sensibilité exquise qui domino toute sa vie, a des règles en amour tout autres que le violent, le fort, le brutal. Chez le premier on remarquera l'amabilité, la douceur, « l'instinct caressant », chez le second le désir ne sera assouvi que par la brutalité d'un acte qui annihilera en même temps l'excitation de ces centres moteurs. Poussez cette disposition au suprême degré et vous arriverez à la conception de l'être qui fait précéder l'acte sexuel de l'assassinat de la personne qu'il veut souiller et même de la mutilation des organes sexuels de ses victimes. Voilà, je crois une conception du sadisme tout à fait applicable à Vacher. Son insensibilité morale est curieuse à mettre en évidence et elle a éclaté à nos yeux avec tout son côté repoussant pendant l'interrogatoire et la suite des débats. C'est par cette particularité que Vacher est anormal mais il n'est pas pour cela irresponsable : c'est au contraire un raisonneur dont tous les actes sont prémédités et bien pesés. Avant son interrogatoire, il a demandé la parole au Président pour la lecture de deux mémoires qu'il a préparés. Le premier est intitulé : Trois coupables : l'empirique qui m'a donné le poison, le directeur de l'asile de Dôle, le D' Dufour de Saint-Robert. Le deuxième, Trois événements dans ma tue, qui a pour but de démontrer en un style très lucide son irresponsabilité. Ces deux mémoires étaient rédigés dans le but d'appuyer les conclusions de son avocat qui réclame une contre-expertise médico-légale pour prouver l'irresponsabilité de son client. Oui le Ministère public, l'accusé et son défenseur en leurs observations : considérant que pour que la Cour puisse statuer utilement et en pleine Vacher lit d'une voix calme, scandant les phrases à effet ou les grands mots qu'il a intercalés. Au cours de l'interrogatoire, il débitera avec emphase encore une ou deux de ces élucubrations pour éclairer, dit-il, les jurés sur certain événement de sa vie.

A part quelques réponses toujours les mêmes, simulant l'incohérence « je suis l'anarchiste de Dieu » etc., Vacher a discuté avec une connaissance sur les conclusions déposées immédiatement après le tirage du jury, au nom de l'accusé Vacher et tendant à ce que celui-ci soit soumis relativement à son état mental à une contre-expertise, et que, dans ce but, l'affaire soit renvoyée a une autre session, il est nécessaire qu'il ait été procédé aux débats. Par ces motifs, la cour, après en avoir délibéré, renvoie jusqu'après la clôture les débats à statuer sur les dites conclusions; « Considérant qu'il résulte des débats que l'expertise médico-légale à laquelle l'accusé Vacher a été soumis pendant l'instruction au point de vue mental et de la question de responsabilité a eu lieu dans toutes les conditions désirables et avec toutes les garanties possibles ; que cette expertise a été faite par trois spécialistes dont la compétence est indiscutable ;que l'examen auquel a été soumis l'accusé, a été effectué tant à Belley qu'à Lyon, où il avait été transféré pendant plusieurs mois pour rendre cet examen plus facile et plus fréquent, que chacun des trois experts pour examiner et étudier l'accusé a vu celui-ci un très grand nombre de fois et cela pendant plusieurs mois; que trois ont eu sous les yeux la procédure pour y puiser tous les éléments nécessaires a l'accomplissement de leur mission-, que leur étude et leur examen ont été aussi soigneux ut complet que possible, ainsi que leur rapport et les débats en témoignent manifestement; que cette expertise offre toutes les garanties possibles.

« Considérant que, sur un point spécial touchant aussi à l'état mental et à la question de responsabilité de l'accusé, celui-ci a été soumis à une expertise médicolégale spéciale, et a été l'objet d'un examen de la part d'un spécialiste dont la compétence est également indiscutable.

« Considérant, en outre, que les débats ont fourni tous les éléments nécessaires pour permettre d'apprécier l'état mental de l'accusé et la question de responsabilité.

« Considérant, d'autre part, qu'il est constant que, non seulement la copie des pièces prescrites par la loi, mais encore toutes les pièces de l'information entière ont été plus d'un mois et demi avant l'ouverture de la session des assises, à la disposition du défenseur, qui a eu ainsi le temps largement suffisant pour soumettre le rapport des experts à qui il pouvait estimer que cela était utile.

« Considérant qu'en cet état et dans ces conditions toutes garanties et dans la plus large mesure ont été fournies à la défense, et qu'une nouvelle expertise parait inutile.

« Par ces motifs, la cour après en avoir délibéré, dit qu'il n'y a pas lieu de soumettre l'accusé Vacher à un nouvel examen et, par suite, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer l'affaire »,

Arrivé au récit de son premier crime, son attitude change, il feint quelques troubles de la mémoire il dit ne pas se souvenir les circonstances qui ont précédé les crimes alors qu'à l'instruction il a tout raconté avec détails. C'est qu'il veut essayer d'éloigner l'idée de préméditation.

M. le Président lui explique ce que signifie le mot préméditation. Vacher répond qu'il connaît parfaitement les dispositions de la loi relatives à la préméditation. Son défenseur lui en a parlé. Nous comprenons désormais ce changement complet dans ses aveux et aussi les contradictions apparentes de ces réponses. Il prétend par exemple que « sa crise de rage » s'emparait de lui subitement et qu'il sautait sur le premier individu venu. Puis un témoin vient dire : Vacher s'est arrêté à ma porte et m'a réclamé une tasse de lait et Vacher de répondre « je sentais que ça allait me prendre, le lait c'est le calmant ». Plusieurs personnes établissent nettement que ses victimes étaient choisies par lui. On le voyait rôder quelquefois toute une matinée dans les environs du lieu où il devait accomplir son crime. Il attendait ainsi le moment opportun et employait souvent des artifices grossiers pour attirer les malheureux bergers dans un bois à l'abri des regards d'autrui. L'incident si curieux à ce point de vue survenu entre le berger Léger et Vacher a été nié énergiquement par ce dernier. Cet enfant est pourtant venu renouveler devant la cour ses déclarations si précises corroborées par la déposition de la bergère X... Vacher n'était donc pas poussé par une de ses impulsions irrésistibles qui se réveillent subitement et portent l'individu à accomplir son acte sans que la volonté et la raison aient le temps d'intervenir et de mettre un frein à cet emportement. On ne peut pas dire qu'il soit atteint d'épilepsie psychique; d'épilepsie larvée (1). Les précautions qu'il prenait pour l'accomplissement de ses crimes, le souvenir précis du lieu, des circonstances dans lesquelles il se trouvait à ce moment, montre bien qu'il possédait toutes ses facultés. En essayant pendant son interrogatoire, de donner le change sur tendances impulsives, mais il est bien loin de notre idée de déclarer que tous les criminels du genre de Vacher sont des épileptiques. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici ce que Lombroso entend par épilepsie ou folie morale, paranoïa. Dans le long exposé qu'il a fait des caractères de l'épileptique [Homme criminel, édit. franc, 1895) nous lisons à propos de Verzeni et Garayo : « Dans ces cas, nous trouvons les preuves de l'épilepsie latente dans les vertiges, dans les caractères physiques, dans l'hérédité alcoolique, dans le penchant à remplacer la cohabitation par le démembrement, dans le cannibalisme, dans les contrastes frappants de la vie antérieure, dans la périodicité constante des accès. »

Si je ne m'en tiens qu'à ces symptômes et pour moi ils ne suffisent pas à caractériser l'épilepsie (c'est-à-dire l'excitation partielle ou totale des zones corticales motrices sensitives ou psychiques), je pourrai réfuter chacun de ses points par les renseignements précis contenus dans le rapport des experts. Vacher n'a pas de tares héréditaires. Il n'a aucun stigmate physique de dégénérescence. Ces accès n'ont rien de périodique. Ce sont les circonstances favorables à l'impunité qui le décident. Je ne veux pas passer en revue les autres caractères donnés par Lombroso de ce qu'il appelle les états épileptoïdos. Religiosité, amour des bêtes, obscénité, cannibalisme, vanité, suicide, tatouage, etc. (Voir Homme criminel). En généralisant ainsi, on pourrait arriver à faire entrer dans le domaine de l'épilepsie, les accès de colère que chacun peut présenter, la gaieté un peu trop franche, etc. Il faut donc se garder des généralisations trop hâtives surtout dans un domaine aussi peu connu que celui do l'épilepsie et de la pathologie cérébrale. Pour nous, nous croyons que l'accès épileptique larvé ou franc a des stigmates bien établis. Impulsion irrésistible, disproportion entre l'effort que peut fournir le sujet el l'acte accompli, absence de préméditation, absurdité des actions, puis après la crise, amnésie plus ou moins complète, torpeur cérébrale amenant le sommeil ou annihilant la volonté et ne permettant pas de juger les conséquences d'un crime. Vacher n'a à son actif que le traumatisme du crâne consécutif à sa tentative de suicide, la présence d'une balle dans le conduit auditif externe, et en admettant même qu'il ait présenté à un moment donné des symptômes d'excitation mentale allant jusqu'aux idées de persécution, il n'est pas possible d'établir d'après la nature de ses crimes qu'il ait jamais été épileptique et encore moins qu'il le soit à l'heure actuelle. Une observation prolongée l'a démontré. Pendant son séjour à la prison, il a été attentivement surveillé la nuit. Il n'a jamais uriné au lit. Son sommeil a été tout à fait tranquille. Il se livrait à la masturbation. Il n'entre pas dans nos vues de faire de Vacher un individu normal, il présente des particularités psychologiques qui sont le propre des grands criminels, mais nous ne croyons pas que ces anomalies puissent suffire à le faire classer dans l'ordre pathologique. Je répéterai volontiers celle formule des conclusions du rapport des experts. C'est un immoral sadique sanguinaire.

Je ne rappellerai pas les dépositions des nombreux témoins. Ils sont venus raconter à la barre la conduite de Vacher avant et pendant son séjour au régiment. Je dois noter pourtant l'attitude de l'inculpé à leur égard. Les témoins à charge, il les menaçait du geste ou bien leur adressait un compliment désagréable, ceux qui lui étaient sympathiques, il les félicitait. On voyait passer sur son visage un sourire de contentement lorsqu'un éloge était fait de sa conduite au régiment. Son orgueil était flatté, sa vanité satisfaite lorsqu'on parlait du sergent Vacher. Il a poussé le cynisme jusqu'à oser applaudir avec le public, le vaillant cultivateur complimenté par M. le Président pour l'acte de courage qu'il avait accompli en arrêtant Vacher au moment où il essayait de violer sa femme. Pas un mot de regret ne s'est échappé de sa bouche, pas un air de pitié n'a paru sur sa physionomie pendant que l'on parlait de ses victimes et que l'on narrait les cruautés accomplies. Il ne s'est pas exalté comme l'aurait fait un fou au souvenir de ses actions passées, il n'a pas essayé d'en tirer gloire. Cette insensibilité morale, révoltante n'a pas même été mitigée par un de ses réflexes involontaires qui amènent des larmes dans les yeux du coupable comme dans ceux du spectateur le plus désintéressé au moment pathétique. Pendant que le professeur Lacassagne développait devant le jury l'atroce manuel opératoire de Vacher, celui-ci s'est borné à dire en approuvant de la tête : « il est très fort ». M. Lacassagne dans sa déposition a étudié particulièrement la période criminelle de la vie de Vacher, de sa sortie de l'asile de Saint-Robert à son arrestation. Il a montré que la méthode employée par Vacher pour sacrifier ses victimes était toujours la même, que chacune d'elles portait pour ainsi dire la signature de son intervention, puis il a insisté sur les circonstances et les précautions prises dans l'accomplissement des crimes pour montrer que leur auteur n'agissait pas sous le coup d'une impulsion et qu'il était absolument conscient de ses actes et des conséquences qu'ils pouvaient entraîner. Il a expliqué enfin aux jurés ce que l'on entendait par sadisme et il a établi que l'on pouvait être sadique et responsable, que le sadisme n'indiquait pas par lui-même l'irresponsabilité et la folie.

M. le professeur Pierret a exposé les antécédents héréditaires et personnels de l'inculpé. De tares héréditaires, Vacher n'en présente aucune. Il a donné ensuite son opinion sur celte morsure de chien enragé et sur le remède administré à Vacher. Il est prouvé, a-t-il dit, que Vacher n'a jamais été mordu, il a été simplement léché par un chien reconnu ensuite hydrophobe. Quant au remède empirique « j'ai jugé, dit-il, que son effet ne méritait pas l'honneur d'une discussion ». Vacher a-t-il été à un moment donné aliéné ? M. le D' Pierret conclut par l'affirmative. On ne peut mettre en doute les nombreux certificats des médecins militaires ou civils qui l'ont soigné. Mais à sa sortie de Saint-Robert où M. Dufour a pu le suivre pendant cinq mois, Vacher n'était pas fou. Reste la question de l'otite traumatique causée par la présence d'une balle de revolver dans le conduit auditif externe. Si cette otite avait eu une influence sur l'état cérébral de Vacher, il aurait présenté des hallucinations auditives ; or, Vacher n'a jamais eu trace d'hallucinations. C'est une raison formelle pour conclure que l'otite traumatique n'a pas eu de conséquences sur sou état mental. M. le Dr Lannois, chargé du cours d'otologie à la Faculté de médecine, dit qu'il a examiné Vacher pour déterminer l'état de son oreille droite. Il existe une balle dans le conduit auditif, elle est facile à voir et a sentir, elle est encastrée dans le rocher. Elle a déterminé la surdité complète par section du nerf auditif et la paralysie faciale en même temps que de la suppuration. Cette suppuration n'exhalait pas une odeur anormale. M. Lannois ne croit pas que la balle ait pu produire des troubles cérébraux. Vacher n'a ni bourdonnement d'oreille ni vertige. Cependant il existe dans la science des cas extrêmement rares d'ailleurs où ces accidents du côté de l'oreille ont amené des crises impulsives. Parmi les témoins à défense, un certain docteur de Paris dont je tairai le nom, est venu contredire l'éminent spécialiste lyonnais. Il est venu, dit-il, pour éviter une erreur judiciaire comme celle que l'on a commise avec Menesclou. Menesclou avait une otite moyenne et cette affection avait amené un « ramollissement du cerveau », que Ton a constaté à l'autopsie. Je ne m'attarderai pas à relever les inexactitudes affirmées par ce témoin. M. le Président a qualifié en public les procédés de ce docteur qui, sans mission judiciaire, a pu s'introduire dans la prison de Belley, examiner Vacher et profiter de ces circonstances pour venir contredire les experts officiels. Il résulte de tous ces témoignages deux points importants. Tout d'abord que l'otite traumatique dont a été atteint Vacher n'a pas eu d'influence sur son étal mental et ne peut pas être la lésion causale d'une épilepsie traumatique. Vacher n'a jamais eu d'hallucinations et s'il en avait eues il n'aurait pas oublié de les raconter. Il n'a présenté ni bourdonnement d'oreille, ni vertige, on peut donc conclure que les centres nerveux n'ont pas été jusqu'à présent influencés par la présence de cette balle. En second lieu, qu'il a été atteint d'excitation mentale mal caractérisée, causée par des ennuis et des peines de cœur. Ces troubles psychiques n'ont été que passagers et le D' Dufour est formel pour dire qu'au moment de son séjour à Saint-Robert, Vacher n'était plus un aliéné. Malgré ces dépositions accablantes, Vacher lutta jusqu'au dernier moment, posant des questions aux médecins, essayant même de les discréditer en affirmant qu'ils ne l'avaient pas examiné comme ils auraient dû le faire. L'éloquent réquisitoire du ministère public eut le don de l'exciter un peu, il fit des gestes inconvenants; menaça l'éminent magistrat requérant. il ne cessa sa comédie que lorsque son avocat prit la parole. Il écouta les bras croisés avec recueillement. Vacher a été condamné à mort. Il a entendu la sentence qui le condamnait à la peine capitale avec le même sang-froid dont il ne s'est pas départi. Trois longues journées d'audience pendant lesquelles son attention a été constamment en éveil, une prévention de près d'une année accompagnée de toutes les émotions que doit produire l'instruction de si nombreuses affaires, les visites des experts, n'ont pas eu pour résultat d'adoucir ce caractère si dur, d'accabler son énergie morale et de diminuer sa vigueur physique.

M. le Professeur Etienne Martin
Joseph Vacher

Mort guillotiné à Bourg-en-Bresse le 31 décembre 1898
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