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L. Moreau, « Profanation des cadavres », Les aberrations du sens génésique, Éd. Asselin et Houzeau, Paris, 1887, pp. 247-258.

Les faits que nous relatons dans ce chapitre constituent le degré le plus extrême et le plus rare des déviations de l’appétit vénérien, et dénotent chez leurs auteurs la plus étrange aberration mentale coïncidant parfois, en apparence, avec la plus saine raison.

Connus dans l’antiquité et au moyen âge sous le nom de lycantropes, vampires, démoniaques, dénommés nécrophiles par Guislain etc., ces malheureux furent la terreur des populations et l’objet des plus cruelles mesures.

Des exemples se sont produits où des faits de ce genre ont pu être imputés à des individus parfaitement responsables (au premier abord) de leurs actes et qui pour toute excuse alléguaient l’influence exercée sur leur libre arbitre par des besoins vénériens excessifs, par la violence de certaines passions et la dépravation extrême de l’imagination, une cause inconnue, mais impulsive, irrésistible, instantanée, à laquelle ils succombaient malgré eux, fatalement. Recherchant avec soin les antécédents de ces individus, on retrouvait bien vite dans leur histoire une hérédité implacable qui pesait sur eux, donnant la clef de ces impulsions morbides,

On se rappelle qu’il n’y a pas plus de trente ans l’attention du monde entier fut attirée par un homme, le sergent Bertrand, accusé et auteur de profanations et de viols de cadavres. Cette perversion monstrueuse mit en lumière un fait de pathologie mentale dont la nature fut la cause de nombreuses discussions scientifiques sur lesquelles nous n’avons pas à revenir.

Tout l’intérêt qui se rapporte à ces dépravations étant du domaine de la médecine légale, nous serons brefs et nous ne citerons que les observations les plus remarquables qui toutes confirment ce que nous venons de dire.

« En 1787, près de Dijon, à Cîteaux, un mien aïeul, dit Michéa, qui était médecin de cette célèbre abbaye, sortait un jour du couvent pour aller voir dans une cabane, située au milieu des bois, la femme d’un bûcheron que, la veille, il avait trouvée mourante. Le mari occupé à de rudes travaux, loin de sa cabane, se trouvait forcé d’abandonner sa femme, qui n’avait ni enfants, ni parents, ni voisins autour d’elle. En ouvrait la porte du logis, mon grand-père fut frappé d’un spectacle monstrueux : un moine quêteur accomplissait l’acte du coït sur le corps de la femme qui n’était plus qu’un cadavre [1]. »

— Peu d’années avant la révolution de 1789, un prêtre fut convaincu d’avoir assouvi une passion brutale sur le cadavre encore chaud d’une femme auprès de laquelle il avait été placé pour réciter des prières [2].

— Un homme fut arrêté dans une petite ville de province, pour un crime auquel personne ne voulait croire, et qui cependant fut prouvé aux débats.

Il venait de mourir une jeune personne de seize ans, qui appartenait à une des premières familles de la ville. Une partie de la nuit s’était écoulée, lorsqu’on entendit dans la chambre de la morte le bruit d’un meuble qui tombait. La mère, dont l’appartement était voisin, s’empressa d’accourir. En entrant, elle aperçut un homme qui s’échappait en chemise du lit de sa fille. Son effroi lui fit pousser de grands cris, qui réunirent autour d’elle toutes les personnes de la maison. On saisit l’inconnu qui paraissait presque insensible à ce qui se passait autour de lui, et qui ne répondait que confusément aux questions qu’on lui adressait. La première pensée avait été que c’était un voleur ; mais son habillement, certains signes, dirigèrent les recherches d’un autre côté, et l’on reconnut bientôt que la jeune fille avait été déflorée et polluée plusieurs fois. L’instruction apprit que la garde avait été gagnée à prix d’argent ; et bientôt d’autres révélations prouvèrent que ce malheureux, qui avait reçu une éducation distinguée, jouissait d’une grande aisance, était lui-même d’une bonne famille, n’en était pas à son premier coup d’essai. Les débats démontrèrent qu’il s’était glisse un assez grand nombre de fois dans le lit de jeunes femmes mortes, et s’y était livré à sa détestable passion.

Il fut condamné à une détention perpétuelle [3].

— Le sieur X…, âgé de vingt-sept ans, d’un tempérament lymphatique, mais doué néanmoins d’une très grande force musculaire, a présenté, dès ses premières années, des signes non douteux d’idiotie. À mesure qu’il avançait en âge, l’absence d’intelligence devenait de plus en plus manifeste.

X… ne put jamais apprendre à lire ; il était d’ailleurs violent, indocile, plein de bizarreries. Élevé par les soins de l’administration de l’hospice de Troyes, il fut successivement placé chez plusieurs paysans, mais aucun d’eux ne put le garder. On le ramenait à l’hospice, déclarant ne rien pouvoir obtenir de lui.

Plus tard X… devient sujet à des accès de manie périodique. Presque tous les mois il était, pendant plusieurs jours, d’une violence extrême, injuriant les personnes qui l’entouraient, proférant des menaces de mort et d’incendie. Il fallait alors quelquefois le renfermer dans une cellule et même, dans quelques cas, le maintenir fixé par la camisole de force.

De temps en temps, il quittait furtivement l’hospice, et après avoir erré plusieurs jours dans la campagne, il revenait exténué de fatigue, les vêtements en lambeaux et couverts de boue. Cependant, dans les intervalles de ses accès, X… pouvait se livrer aux plus rudes travaux ; il était infatigable et faisait à lui seul l’ouvrage de plusieurs hommes. Aussi, malgré son état d’imbécillité, trouvait-on de temps en temps des cultivateurs qui consentaient à le prendre.

Cependant, un fait d’une extrême gravité vin mettre fin à ces essais de liberté. X… se trouvait alors chez un cultivateur du bourg d’Eslissae, lorsque, en présence de cinq ou six personnes, il commit une tentative de viol sur une paysanne. On lut forcé de le réintégrer à l’hospice de Troyes, où bientôt se passèrent les actes monstrueux qu’il reste à raconter

X…, trompant la surveillance, s’introduisait dans la salle des morts, quand il savait que le corps d’une femme venait d’y être déposé, et il se livrait aux plus indignes profanations. vIl se vanta publiquement de ces faits, dont il ne paraissait point comprendre la gravité. D’abord on ne put y croire ; mais, appelé devant le directeur, X… raconta ce qui se passait de manière à lever tous les doutes.

On prit, dès ce moment, des mesures pour mettre cet homme dans l’impossibilité de renouveler les profanations qu’on venait de découvrir mais cet idiot, si privé d’intelligence pour toutes choses, déploya dans ce cas un instinct de ruse qui le fit triompher de tous les obstacles. Ii avait dérobé une clef qui ouvrait la salle des morts, et les profanations de cadavres purent ainsi continuer pendant longtemps.

Il fallut enfin reconnaître l’inutilité des mesures employées jusque là pour prévenir le retour d’actes si odieux, et X… fut envoyé à l’asile des aliénés de Saint-Dizier [4].

— François Bertrand, âgé de vingt-cinq ans, avait fait ses études, jusqu’à la philosophie exclusivement, au séminaire de Langres, qu’il quitta pour embrasser la carrière militaire.

Sans nous étendre longuement sur ce procès qui fit tant de bruit, nous donnerons les éléments principaux du corps du délit, tels qu’ils résultent de l’acte d’accusation et de l’audition des témoins, actes monstrueux dont l’accusé n’hésite pas à se déclarer l’auteur, sauf quelques circonstances qu’il nie avec obstination.

Le 6 février 1847, dans le cimetière de Bléré (Indre-et-Loire), Bertrand déterre le cadavre d’une femme et, s’il faut l’en croire, le frappe avec fureur. Le 6 août 1848, dans le cimetière d’Ivry-sur-Seine, il viole la sépulture d’une jeune fille de sept ans, inhumée la veille, puis lui ouvre le ventre et l’estomac. Quelques jours après, dans le même lieu, il profane le cadavre d’une femme morte à la suite de couches, et mise en terre treize jours auparavant. Dans la nuit du 5 au 6 novembre, au cimetière du Sud, à Paris, il exhume le cadavre d’un homme âgé de quarante-deux ans nommé Desroches. Le 16 novembre, il déterre le corps d’une femme de cinquante à soixante ans. Il lui fend la commissure droite de la bouche ; il pratique des incisions au cou, aux parois thoraciques et abdominales. Il désarticule de même la cuisse et la jambe gauche. Le 12 décembre, toujours dans le même cimetière, il mutile encore le cadavre d’une femme. Mais il y a plus : il éprouve de l’ardeur vénérienne à la vue de ces cadavres de femmes, il cherche la volupté dans la putréfaction. On remarqua qu’un des cadavres exhumés avait les jambes écartées, comme si on eût voulu s’assurer de son sexe. Enfin, ce qui enlève toute espèce de doutes à cet égard, Bertrand avoue, par la bouche de M. Marchai de Calvi, chirurgien major au Val-de-Grâce, l’existence de l’aberration dans l’appétit vénérien.

Voici maintenant les judicieuses réflexions de M. Michéa sur ce cas si extraordinaire, réflexions auxquelles nous nous associons pleinement

« Bertrand est aliéné ; cela est évident pour tous les médecins. Un homme jeune, un militaire intelligent, de figure et de tournure agréables, qui, sans motif de cupidité, sans désir de vengeance, se livre à des actes si horribles, ne peut être considéré autrement, à moins de calomnier et de dégrader la raison humaine.

« D’ailleurs les antécédents de l’accusé et certains caractères physiques, la tristesse, l’amour de la solitude dans le jeune âge, la périodicité des désirs, l’état convulsif et presque l’anesthésie durant les accès, sont autant de preuves irréfutables. La combinaison de deux manies affectives ne peut être contestée. Seulement il s’agit de savoir si la monomanie érotique s’est jointe ultérieurement à la manie destructive, ou si cette dernière a été précédée par l’autre. M. Marchal de Calvi penche pour la première opinion. Quant à moi, j’incline à admettre la seconde. Me fondant sur les lumières fournies par la connaissance des cas plus ou moins analogues, invoquant surtout certaines circonstances du corps du délit qui n’ont point été suffisamment explorées par M. Marchal de Calvi, je pense que la monomanie érotique était le fond de cette folie monstrueuse ; qu’elle était antérieure à la monomanie destructive et qu’elle dominait l’autre. »

À l’appui de son opinion, Michéa donne les raisons suivantes :

« D’abord presque tous les cas de combinaison des deux monomanies érotique et destructive que l’histoire rapporté viennent appuyer ma manière de voir. Gilles de Rays [5], maréchal de France, qui ensanglantait ses débauches, et qui fut brûlé à Nantes en 1440, ne séparait jamais l’homicide de la lubricité. Dans le livre insensé du marquis de Sade [6] la monomanie érotique se dégage souvent de la monomanie destructive, tandis que le contraire n’a jamais lieu. vBertrand déclara avoir exhumé dans le cimetière du Montparnasse plus de cadavres d’hommes de cadavres de femmes ; mais, pour être en droit d’ajouter foi à ces paroles, son seul témoignage ne suffit pas. Or, les faits donnent un démenti formel à ce qu’il avance. Sauf une seule fois, les procès-verbaux ne constatent aucune violation de sépulture chez les hommes. D’ailleurs, s’il a déterré le cadavre de M. Desroches, il ne l’a point mutilé. En l’exhumant, il pensait peut-être rencontrer le cadavre d’une femme ; ce qui prouve qu’avant de mutiler, il s’assurait du sexe, c’est que dans un cadavre de femme, on a, comme je l’ai dit, constaté l’écartement des cuisses. Enfin, Bertrand avoue lui-même qu’il ne peut jamais mutiler un cadavre d’homme ; qu’il n’y touche presque pas, tandis qu’il coupe en morceaux un cadavre de femme avec plaisir. Si la monomanie destructive eût précédé la monomanie érotique en la dominant, cet insensé aurait pris plaisir à mutiler tous les cadavres sans aucune distinction. Or, il convient lui-même qu’il ne touchait ni aux cadavres d’hommes ni à ceux des animaux [7].

Pour terminer la lugubre énumération de ces aberrations, nous citerons textuellement le récit suivant que nous avons recueilli dans le journal I’Événement du 26 avril 1875. Les rapides appréciations données par l’auteur de l’article, parfaitement justes et sensées, traduisent exactement l’impression pénible que l’on éprouve à la lecture de faits aussi monstrueux :

« Depuis deux jours nous retardons le récit de cette cynique histoire, qui ferait certainement crier à l’invraisemblance, si nous n’en garantissions la parfaite et horrible authenticité.

« L’imagination humaine est arrêtée à ces bornes ; la loi n’a pas franchi ces limites, si bien qu’il n’y a pas un mot pour dire cette honteuse action pas plus qu’il n’y a un châtiment à appliquer au coupable.

« La femme de P…, apprêteur de faux cols, rue Chaudron, était morte. On devait l’enterrer mardi matin. Un ami du mari, nommé L…, demeurant dans la même rue, lui proposa de veiller près de la morte, pendant une des absences qu’il était obligé de faire pour les dernières formalités. Le mari accepta et L… s’installa au chevet de la morte, avec son fils, un jeune homme de 17 ans.

« Il était dix heures du soir : L… renvoya son fils et resta seul avec la morte. Le mari étant retenu chez l’imprimeur des lettres de faire part ne revenait pas.

Alors une idée incompréhensible, hors nature, épouvantable, passa par l’esprit du veilleur de la morte. Il souffla les bougies allumées près du lit ; et ce cadavre glacé, raidi, déjà en décomposition, fut la proie de ce vampire sans nom.

« Pendant ce temps le mari revenait. Étonné de ne plus voir de lumière chez lui, il appelle son ami L… La voix brisée de celui-ci lui répond au bout de quelques instants. Il se trouble, il est pâle, il est horriblement défait : tel il parait à la lueur d’une lumière qu’on a rallumée, et son premier mouvement est la fuite.

« Mais le mari a vu le cadavre dérangé, le lit en désordre. Fou de douleur, n’osant deviner cette profanation, il saute a la gorge du coupable, il appelle, il prend même un couteau et, sans l’intervention d’un voisin, justice serait bientôt faite.

« Dans ce désordre, L… parvint à se sauver. M. le Dr Pousson, appelé, constata scientifiquement le sacrilège ; sur son attestation et la plainte du mari, M. le procureur général de la République fit remettre l’inhumation au lendemain et l’enquête fut faite.

« Le sieur L… fut arrêté dans son atelier, rue Quincampoix.

« Cet homme est marié, il a six enfants ! À quel délire a-t-il obéi ? »

Enfin que dire du fait suivant ?

« Le nommé P… âgé de 23 ans, avait prémédité un acte odieux sur la fille de la propriétaire chez laquelle il était employé comme domestique.

« Le jour où il s’était promis de mettre à exécution son projet criminel, sa victime désignée était à la fête du pays.

« P… tourna alors sa brutalité sur la mère, âgée de 53 ans : furieux de sa résistance, il l’assomme à coups de bêche, et sur le cadavre se livre aux derniers outrages ; puis, jetant le corps à l’eau, il le repêcha bientôt après pour renouveler ses actes de bestialité.

« P…, condamné à mort, fut exécuté à Beauvais le 13 novembre 1879. »

Après l’exécution, le Dr Évrard a fait l’autopsie du cerveau devant plusieurs de ses confrères. Il a trouvé des lésions cérébrales très prononcées et entre autres un épaississement et des adhérences des méninges, au niveau des circonvolutions frontales. Ces lésions, dont on connaît la signification pathologique, ont inspiré à MM. Cornil et Galippe qui rendaient compte du fait [8], cette réflexion que nous reproduisons sans commentaire : « Si la guillotine doit être comprise dans le traitement de l’aliénation mentale, qu’on le dise. »

Avant de terminer cette longue énumération de la perversion du sens génital, il est encore un crime qui de nos jours infecte toutes les classes de la société et dont il est utile de dire quelques mots :

Nous avons nommé le viol.


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